Le beau spleen de Lio

A 43 ans, Lio réussit l’album dont elle rêvait depuis longtemps. Dites au prince charmant signe une renaissance musicale plus proche de Jane Birkin et de Françoise Hardy que des formes  » spitantes  » de la brune

De notre envoyé spécial à Paris

L’ambiance de ce disque tient sans aucun doute à mon âge, mais aussi à ce que je m’échine à dire depuis le début : Lio, c’est 80 % de spleen et 20 % de chansons « spitantes ».  » Dans un salon de l’hôtel Costes, Wanda Ribeiro de Vasconcelos, plus connue sous le patronyme de Lio, sourit doucement. Son beau visage a enfin quitté les rivages de l’adolescence pour la maturité. Son nouvel album, enregistré au c£ur d’une forêt suédoise avec 30 000 euros prêtés par son homme, est un délice de mélancolie qui place Lio au rang des  » tragédiennes de la pop « , ces Birkin, Hardy ou Keren-Ann, capables de faire frissonner les mots sous la couette bordée de mélodies solaires. On entre dans l’album comme happé par son spleen, pour douze chansons et quarante et une minutes organiques sur la vie et ses caprices. Plusieurs titres accrochent d’emblée – Le Vieil Ami, Dans les bras d’un enfant, Hall de gare – et, malgré le tissu de blessures qui forme sa peau neuve, Lio semble requinquée d’avoir engendré ces chansons, qu’elle se promet d’emmener dès le mois de mai sur la route.

Le Vif/L’Express : On a l’impression que ce disque boucle un cycle de vingt-cinq ans.

E Lio : Exactement, il boucle la boucle avec le même désir et la même urgence, la même liberté, qui existaient lors de mon premier disque, Banana Split, sorti en 1979 ! C’est mon album préféré, vraiment. Il a quelque chose d’unique parce qu’il est au bout d’un chemin d’un quart de siècle qui a trié les rêves et qui a définitivement tordu le cou aux illusions ( sourire). Aucune chanson de ce disque n’aurait pu être sur un autre album…

Quel a été l’élément déclencheur du disque ?

E Doriand est arrivé avec L’Age des saisons, un texte d’une grande sérénité qui avait quelque chose de Chet Baker dans sa sensation de fin de nuit :  » Ma solitude/Marche avec l’automne/Le long des rues/Dans les jardins désertés/Quand je vois bien/Que je n’ai plus personne/A qui donner/Mes fleurs séchées.  » Ensuite sont venus Le Prince charmant et Le Vieil Ami : là, j’ai su que j’irais jusqu’au bout du disque. Cela m’a pris cinq ans quand même…

Vous avez travaillé, recluse dans un studio au c£ur de la forêt scandinave, avec vos deux partenaires, le Français Doriand et le Suédois Peter Von Poehl. Et puis vous avez enregistré quelques voix à Berlin ! Drôle de trame.

E Certains pensent que ce disque n’est pas  » pro  » parce qu’il est fluide comme dans un rêve, chaleureux et parfois recouvert d’un voile. On l’a fabriqué dans une véritable cabane de bûcheron aménagée, sur un 24 pistes analogiques. Ce disque est l’histoire de gens qui se retrouvent ensemble et qui ont envie d’accrocher un moment de grâce ! Cette fois-ci, ma voix va avec le reste : elle coule de source. Je ne suis pas une grande chanteuse mais je pense être une bonne interprète. Ma s£ur Helena m’a relancée pour faire un disque alors que j’étais au plus mal. J’avais énormément envie de chanter mais je n’y parvenais pas : j’avais des quintes de toux qui m’éveillaient la nuit pendant une heure. Et qui sont passées depuis que je refais des disques ! Je me disais que personne ne m’attendait, que je ne fais partie d’aucune chapelle et que j’erre dans une sorte de no man’s land…

… comme l’illustrateur Guy Peellaert, qui a réalisé plusieurs pochettes pour vous. Et comme Jacques Duvall, votre parolier fétiche, auteur d’une soixantaine de vos titres, les tubes Banana et Les Brunes, mais aussi de perles spleen comme Mona Lisa !

E Guy et moi, c’est de l’amour passion, on aurait pu s’aimer. C’est un vrai intransigeant et un vrai créateur. Quant à Jacques Duvall, je considère que c’est le meilleur. Je le connais depuis que j’ai 8 ans et personne ne m’a traitée aussi joliment que cet homme-là ! Sans lui, l’aventure de ce disque n’avait aucune valeur ! Jacques n’était pas bien et cela faisait six ans que l’on n’avait plus travaillé ensemble. Je l’ai appelé pour qu’il m’écrive quelques chansons ( NDLR : trois, au final) parce que je voulais l’enlever à sa solitude et à sa douleur. Je crois aux signes et ceci est le début d’une nouvelle collaboration qui va être superbe sur le prochain disque ! ( enthousiaste).

Pourquoi Lio n’écrit-elle pas ses textes ?

E Je suis peut-être trop paresseuse mais je pense être avant tout une conteuse. Je ne suis pas très forte pour fixer les choses, j’aime la tradition orale, les choses qui voyagent et qui, parfois, se perdent… Je me place souvent entre l’utile et le futile, j’aime les différences qui se font sur un souffle. Je trouve plus agréable d’être dans l’acceptation des autres que de donner des leçons. Aujourd’hui que j’ai perdu le côté mutin de ma jeunesse, j’aimerais jouer des rôles classiques, comme Médée.

A plusieurs reprises, vous avez publiquement raconté les violences commises par Z., le père de vos jumelles, notamment dans Pop model, autobiographie écrite avec Gilles Verlant. Ce disque est-il une sorte de réponse à cette terrifiante expérience ?

E C’est un disque victorieux parce qu’il me libère ! Il pourrait être une initiation pour les hommes à l’univers des femmes ( sourire). Il a cette fluidité qui symbolise la présence de l’eau, de Vanja, la déesse de la Mer dans la mythologie viking. Vanja, la femme de Thor toujours protégée d’un casque à cornes, c’est moi ! Lorsque j’étais soumise à la violence de prédateur de Z., j’étais comme prostrée, traitée comme une bête et en passe de le devenir. A ce moment-là, la musique n’avait plus aucune place dans ma vie, je ne pouvais plus rien faire. C’est pour cela aussi que ce disque est une reconstruction !

CD Dites au prince charmant, chez Recall/Bang ! Egalement paru, le Box de Lio (sept CD et un DVD) chez Rough Trade.

Philippe Cornet

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