L’autre maillon faible

Affaibli par l’explosion de la bulle immobilière, le pays a été pris dans la tourmente née de la crise grecque. Un réveil brutal, qui pourrait alimenter de fortes tensions.

« Nous approchons de la fin de la crise.  » Depuis trois ans, les Espagnols ont pris l’habitude d’entendre le même refrain dans la bouche de José Luis Zapatero.  » L’optimisme anthropologique  » du Premier ministre socialiste (selon sa propre formule) est même devenu un sujet de plaisanterie de l’autre côté des Pyrénées, à mesure que le décalage entre le discours gouvernemental et la réalité se transformait en gouffre. Depuis quelques semaines, pourtant, les Espagnols n’ont plus le c£ur à rire : sous la pression des marchés, Zapatero a été contraint, à la mi-mai, d’annoncer une violente cure d’austérité (15 milliards d’euros d’économies), mélange de coupes claires dans les salaires des fonctionnaires et de gel du montant des retraites. Le signal, pour les enfants de la Movida, que les années folles sont bel et bien finies. La menace d’une grève générale plane d’ailleurs sur le pays, alors que le plan du gouvernement a été adopté de justesse (à une voix près) par le Parlement, la semaine dernière.

Et si l’Espagne, plus encore que la Grèce, était le maillon faible de l’Europe ? Avant la crise, la question aurait semblé saugrenue. L’économie tournait à plein régime, créant des emplois à la pelle. Experts et commentateurs rivalisaient d’éloges sur ce modèle capable de concilier justice sociale et rigueur budgétaire. Las ! La réussite ibère reposait sur du vent. Ou plutôt sur du béton : entre 2002 et 2008, les constructeurs, gorgés d’argent bon marché par les banques, ont édifié près de 1 million de logements par an, davantage que la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne réunis. Quant aux ménages, ils n’ont pas hésité à s’endetter pour des décennies – souvent à taux variable – pour accéder à la sacro-sainte propriété. Une condition sine qua non de l’existence sociale, dans un pays où près de 90 % des foyers sont détenteurs de leur logement.

 » Quand le marché immobilier s’est retourné, les gens ont d’abord cru à un simple ralentissement, se souvient José García Montalvo, professeur d’économie à l’université Pompeu Fabra, à Barcelone. Mais cela a vite pris des proportions inquiétantes.  » D’autant que, crise financière oblige, les banques ont brutalement coupé les vannes du crédit. Résultat : l’atterrissage en douceur s’est transformé en chute libre. Sans filet.  » On est passé de 1 million de maisons construites par an avant la crise, à 60 000, détaille Patrick Artus, directeur des études économiques de Natixis. Soit un effondrement de 95 % !  » Dans le sillage de la construction, l’économie s’est arrêtée net (recul du PIB de 3,6 % en 2009), le chômage a explosé (20 %, soit plus de 4 millions de personnes), ainsi que les déficits (11 % du PIB).

S’ajoute désormais un autre motif d’inquiétude : les banques. Longtemps, les établissements ibériques ont été cités en exemple, îlots supposés de vertu au milieu d’une débâcle financière quasi généralisée.  » Grâce à une réglementation stricte, les grandes banques ont été moins impliquées dans les subprimes que nombre de leurs concurrentes au niveau international « , confirme Philippe Sabuco, économiste chez BNP Paribas. Mais si les grands, comme BBVA et Santander, demeurent en bonne santé, les nombreuses caisses d’épargne régionales, qui ont prêté sans compter aux promoteurs locaux, se retrouvent dans le rouge, menacées par la multiplication des faillites de leurs débiteurs. Au total, les banques espagnoles ont prêté pour 300 milliards d’euros aux professionnels de la construction. Avec un taux de défaut qui s’élève, selon Natixis, à 17 %, ce sont au bas mot 51 milliards de crédits pourris qu’elles détiendraient dans leurs coffres.  » Le gouvernement est obligé de sauver, de restructurer et de fusionner ces établissements, ajoute José García Montalvo. Cela va lui prendre du temps et de l’argent. « 

Sacrifices annoncés

Enfin, l’Espagne souffre d’un marché du travail qui, selon l’expression de Dominique Strauss-Kahn, patron du Fonds monétaire international,  » ne fonctionne pas « . Un système à deux vitesses avec, d’un côté, des salariés très protégés, et, de l’autre, une multiplication de contrats précaires (les CDD représentent 30 % des emplois, record européen). D’un côté, des baby-boomers qui ont brûlé la chandelle de la croissance par les deux bouts. De l’autre, les mileuristas, ces jeunes de 20-30 ans ainsi dénommés parce que leur salaire mensuel ne dépasse guère 1 000 euros. Et qui devront supporter les sacrifices aujourd’hui annoncés.

Tout cela n’aurait pas suffi à affoler les marchés, ni à conduire Standard and Poor’s à abaisser, fin avril, la note du pays, suivi par Fitch vendredi 28 mai. La dette espagnole n’est-elle pas de  » seulement  » 53 % du PIB, soit vingt points de moins que la moyenne de la zone euro ?  » Les marchés jugent surtout le potentiel de croissance, analyse Patrick Artus. Or on se gratte la tête pour imaginer ce qui peut prendre le relais de la construction.  » Certes, l’Espagne compte plusieurs grandes entreprises internationales (Repsol dans le pétrole, Telefónica dans les télécoms, Mango ou Zara dans l’habillement) et a entamé le redéploiement de son économie vers les secteurs des nouvelles technologies et des énergies renouvelables. Mais le processus n’en est qu’à ses prémices. En attendant, elle va devoir affronter une période de vaches d’autant plus maigres que l’objectif de réductions des coûts que s’est fixé le gouvernement – ramener le déficit à moins de 3 % du PIB d’ici à 2013 – est ambitieux. Un casse-tête qui inquiète ses voisins européens. Car si  » l’Espagne n’est pas la Grèce « , comme ne cesse de le répéter Madrid, c’est surtout parce que son poids dans l’économie européenne est beaucoup plus important (11,7 % du PIB de la zone euro, contre 2,7 % pour la Grèce). Et que si l’Espagne boit la tasse, c’est toute l’Europe qui risque bien, cette-fois-ci, de trinquer.

Benjamin Masse- Stamberger

si l’espagne boit la tasse, c’est toute l’europe qui risque de trinquer

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