Laurent, affairiste ou idéaliste ?

Le prince Laurent traîne nombre de casseroles. La défense de ses dadas, l’environnement et le patrimoine architectural, masque-t-elle des intérêts moins louables ?

Laurent de Belgique fait encore parler de lui. Cette fois, plus question d’excès de vitesse, de déclarations tapageuses, d’apparition surréaliste en peignoir et de crâne rasé arboré lors d’un défilé du 21-Juillet. Plus question non plus de mobilier acheté au noir, sur le compte de la Marine, pour meubler sa Villa Clémentine, à Tervuren. Le fils cadet d’Albert et Paola est à présent quasi soupçonné d’être un affairiste. Occupé à s’enrichir en douce grâce à une nébuleuse financière pilotée par un entourage de businessmen tout aussi avides. Grâce à ces messieurs, il serait devenu, indirectement, l’heureux propriétaire d’une splendide villa nichée à Panarea, une île proche de la Sicile. De quoi faire les choux gras de certains médias sur le thème : l’enfant terrible cachait bien son jeu. On le croyait fantasque, capricieux, incontrôlable, et voilà qu’on le découvre au c£ur d’une structure juridico-financière alambiquée. Comble de l’indécence : c’est sous le couvert de la cause environnementale, qu’il prétend défendre par idéalisme, que le prince arrondirait ses fins de mois. Qu’il trouve difficiles, alors que sa dotation annuelle atteint 312 000 euros.

Info ou intox ? Les comptes se règlent désormais sur la place publique. Le scénario est devenu classique : chaque mise en cause des activités du prince entraîne aussitôt une riposte. La cabale orchestrée contre Son Altesse Royale serait cousue de fil blanc. Alimentée par la Flandre, elle n’aurait d’autre but que de déstabiliser l’institution monarchique, dernier ciment qui tient la Belgique. En s’en prenant, lâcheté suprême, à son maillon le plus faible.

Des structures créées à l’insu du plein gré de Laurent….

Mais le pire ennemi de Laurent, c’est sans doute… Laurent lui-même. Depuis le milieu des années 1990, il s’est investi dans la défense de l’environnement et la promotion du développement durable. Mais l’accumulation des entités juridiques qu’il fonde et anime intrigue. Non content d’assumer la présidence de l’Institut royal pour la gestion durable des ressources naturelles et la promotion des technologies propres (IRGT), le prince a porté sur les fonts baptismaux un  » Global Renewable Energy & Conservation Trust « , en octobre 2006, puis un  » Global Sustainable Development Trust « , un an plus tard. IRGT, Grect, GSDT : on finit par y perdre son latin à jongler avec ces sigles d’ASBL et de Fondation privée. Surtout que le montage ne s’arrête pas là : d’autres sociétés, anonymes celles-là, viennent se greffer sur ce réseau. Cerbux Invest, Rec-Arlon 67, Compagnie des éoliennes : d’étranges appellations qui recouvrent des activités immobilières. Laurent n’apparaît certes pas directement dans cette partie de la nébuleuse. Mais ces sociétés ont pour seule vocation le service de la Fondation Grect, présidée par le prince. On peut dès lors craindre une confusion des genres entre l’environnement et l’immobilier. Pourquoi tant de contorsions de contorsions juridiques pour défendre une aussi noble cause que le développement durable ?

D’autant que Laurent, considéré comme un éternel assisté, n’a pas la stature d’un stratège de la finance capable d’échafauder de telles constructions juridico-financières.  » Ce n’est évidemment pas lui qui a imaginé ces ASBL, ces fondations, ces sociétés, lance un familier de la cour. Il n’y connaît rien dans ces matières !  » Qui, alors, tire les ficelles ? Une petite dizaine de personnes, qui trustent les mandats d’administrateur au sein des entités créées dans le sillage du prince. Des hommes exclusivement, souvent liés aux milieux de l’immobilier. Parmi eux, la seule figure connue du grand public est l’incontournable vicomte Etienne Davignon, uniquement présent dans la  » couche  » la moins controversée de la structure, puisqu’il ne siège qu’au sein du conseil d’administration de la Fondation privée Grect. Comme un gage d’honorabilité que ce représentant de l’establishment belgicain apporterait aux activités du prince Laurent.

Circulez, il n’y a aucune galaxie à voir

 » Pour pouvoir parler d’une galaxie Laurent, il faudrait être plus nombreux que cela. Tout est transparent comme de l’eau de roche. Mes réponses risquent d’être plus courtes que vos questions…  » Dans sa demeure située au c£ur de Vilvorde, Rik Van Aerschot cherche d’emblée à couper court à tout soupçon. Inutile d’attendre de ce presque octogénaire volontiers sarcastique qu’il remette en cause l’action de Laurent. Cela fait quinze ans que ce juriste et ex-homme d’affaires épaule et materne le prince. Depuis qu’un certain Fons Verplaetse, à l’époque gouverneur de la Banque nationale, a jugé bon de le placer dans le sillage du prince pour qu’il en soit le poisson-pilote (lire le portrait ci-contre). De l’IRGT à la GSDT, en passant par Cerbux Invest et Rec-Arlon 67, Rik Van Aerschot figure aux premières loges dans les conseils d’administration des ASBL et des sociétés liées, directement ou indirectement, aux activités de Laurent. Bref, il est l’homme de confiance, l’éminence grise ou l’âme damnée du prince, selon les points de vue.  » Notre unique but est de promouvoir la cause des énergies renouvelables, martèle-t-il. Sans esprit de lucre. Si le prince Laurent voulait vraiment cacher ses activités, croyez-vous qu’il créerait des supports juridiques en Belgique ?  »

Ce n’est pas Rodolphe d’Oultremont, 59 ans, qui va contredire le mentor de Laurent. Sa spécialité figure sur son CV :  » Ingénierie financière et immobilière « . Il est d’ailleurs administrateur de nombreuses sociétés immobilières. Une expertise dont il ferait donc bénéficier gracieusement la cause défendue par le prince Laurent.  » Le prince veut sauver les belles maisons de Bruxelles, assure ce consultant qui se présente comme un humble administrateur de « filiale » de la Fondation Grect. Il ne fait que mettre sa notoriété au profit du développement durable et de la défense du patrimoine architectural bruxellois.  » C’est ce combat, et lui seul, qui guiderait les investissements immobiliers consentis sous le  » label  » princier. Dans trois immeubles de la rue d’Arlon à Bruxelles, notamment dédiés à une Maison des Energies renouvelables, bien sûr. Mais aussi dans le cadre, autrement paradisiaque, d’une petite île proche de la Sicile : Panarea. Le hasard a bien fait les choses : c’est là qu’une bien nommée Compagnie des éoliennes, constituée uniquement à cet effet, a acquis, pour 1 million d’euros, une charmante villa en bord de mer, avec vue imprenable sur le volcan Stromboli.  » Il ne s’agissait pas d’en faire une résidence de vacances, mais bien un lieu de retraite, de séminaires. Pour réfléchir à la problématique des énergies renouvelables « , assure Rodolphe d’Oultremont, administrateur délégué de la Compagnie des éoliennes, mais aussi de Cerbux Invest et de Rec-Arlon 67. Bref, la  » Villa Sofia  » est une simple façon de joindre l’utile à l’agréable, même si l’ambiance y incite davantage au farniente qu’à l’étude… A en croire Rik Van Aerschot,  » il s’agit là encore de sauver un patrimoine de valeur historique en mauvais état « .

Le prince Laurent, une relation de choix et un bon placement

Du pur bénévolat, en somme. Qui en fait ricaner plus d’un.  » Allons donc ! Tous ces gens ne sont que des courtisans préoccupés de grimpette sociale. Ils nous jouent le remake du bourgeois gentilhomme « , reprend, sous couvert d’anonymat, cet habitué des cercles mondains que ne dédaigne pas Laurent.  » Ils intriguent auprès de l’organisateur d’un cocktail pour se retrouver sur le passage du prince ou à sa table. En usant des techniques classiques du parfait lobbyiste, en recourant, par exemple, aux petits trafics de cartons nominatifs disposés sur les tables.  » Approcher ainsi Laurent n’a rien d’insurmontable. Le prince a la réputation d’avoir le contact facile.  » Il est d’un naturel plutôt curieux, il apprécie de voir de nouvelles têtes. Et il se sent à l’aise quand il se retrouve face à des gens qui cessent de le prendre pour un con. Lui parler d’environnement, ça le branche vraiment. « 

Pour peu qu’on se rappelle régulièrement à son bon souvenir, le prince peut devenir une relation de choix. Laurent, un bon placement ?  » Pouvoir afficher le prince sur sa carte de visite, cela peut valoir de l’or « , poursuit notre interlocuteur. Rodolphe d’Oultremont ne cache pas que l’action du prince Laurent peut faciliter l’obtention d’un subside public pour financer les projets liés à la promotion des énergies renouvelables.

Rien de répréhensible. Pour autant que ce filon ne soit pas exploité pour conclure des affaires uniquement lucratives. Or Laurent a tout d’une proie facile. Depuis son enfance, il traîne derrière lui un douloureux passé qui le rend tout à la fois vulnérable, incontrôlable, insupportable, insatiable.  » Son énorme problème, c’est d’avoir toujours été mal aimé et laissé sans le sou, rappelle ce fin connaisseur des Saxe-Cobourg. Il compense ce manque affectif par un amour de l’argent supérieur à la moyenne. Il entretient un rapport enfantin avec le fric, adore les belles bagnoles. Et comme bien des gens de ce monde, son éducation l’empêche de comprendre la société qui l’entoure. Il peut être d’une naïveté confondante. « 

Personne, au Palais, ne plaide la cause de Laurent

Ses sautes d’humeur et ses caprices en ont usé et dégoûté plus d’un dans son entourage.  » Il est mal élevé, tout simplement parce qu’il n’a jamais été élevé !  » reprend notre interlocuteur. Un témoin d’une visite de Laurent au siège bruxellois de Solvay se souvient de l’avoir vu se ruer sur le buffet et engloutir trois zakouski avant de songer à aller serrer la pince des cadres de l’entreprise alignés en rang d’oignon… A 44 ans, ce prince qui vit mal chaque rétrogradation dans l’ordre de succession au trône est un homme très seul. Et sa garde rapprochée, déjà réduite à sa plus simple expression, vieillit. Sans qu’une relève se profile à l’horizon pour maintenir Laurent dans le droit chemin.  » Vous m’enterrez déjà ?  » grince Rik Van Aerschot.

 » Laurent, c’est l’éternel vilain petit canard d’une famille royale beaucoup plus ordinaire que ne le laissent croire les émissions de propagande consacrées à la monarchie « , précise encore notre interlocuteur bien au fait de l’ambiance à la cour. Une famille d’ailleurs bien silencieuse, alors que le cadet se retrouve encore une fois dans la tourmente médiatique. Comme s£ur Anne, on ne voit rien venir du Palais royal pour secourir le mouton noir. Ni les parents, ni le frère, ni la s£ur ne sortent de leur réserve pour plaider la cause du frangin. Un peu vachard, même si le cadet n’a rien d’un enfant de ch£ur. Sans compter que la polémique risque d’enfler et de remettre une nouvelle fois en cause le principe même du régime monarchique. L’ultime revanche du fils maudit ?

l Thierry Denoël et Pierre Havaux

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