L’art, c’est forcément du  » fait main  » ! Faux.

Des siècles durant, l’artiste tenait sa légitimité de son savoir-faire, d’une maîtrise technique jugée exceptionnelle. Aujourd’hui, on assiste, impuissant, et de plus en plus souvent, à une attitude qui distancie l’ouvre du geste créateur.

Jusqu’à la Renaissance, l’individu qui nourrissait des ambitions artistiques entrait dès l’âge de 10 ans dans l’atelier d’un maître. L’apprenti s’y familiarisait avec les rudiments du métier (broyer les couleurs, tendre les toiles, peindre les fonds…). En échange de ces services, l’artiste partageait les secrets de son savoir-faire. Devenu un maître, le cadet formait à son tour d’autres débutants. A partir du XVIIIe siècle, il revient aux académies des beaux-arts de dispenser tous les enseignements artistiques. L’élève apprend sous l’autorité d’un professeur les règles strictes de la représentation, le plus souvent en imitant les chefs-d’£uvre des plus grands.

Une fracture sans précédent se produit au tournant du XXe siècle. Les figures de l’avant-garde dénoncent, par quelques provocations, le culte du travail fait main. Au vernissage du Salon des Indépendants à Paris (1910), des étudiants adeptes de la dérision présentent une toile abstraite, Coucher de soleil sur l’Adriatique, signée JR Boronali. Vous ne le connaissez pas ? C’est normal. Il s’agissait en fait d’une peinture  » canular  » réalisée avec un pinceau attaché au bout de la queue d’un âne !

La mode du  » ready-made  » se propage

Mais le véritable séisme a lieu en 1913. Marcel Duchamp présente une roue de bicyclette fixée sur un tabouret, soit deux objets manufacturés. L’année suivante, il récidive en plaçant au rang de sculpture un  » vulgaire  » porte-bouteil- les. Lors du Salon des Indépendants (1917), il déclenche de vives contestations en exposant un urinoir posé à l’envers ( Fontaine). Malgré ses détracteurs, la mode du  » ready-made  » – procédé consistant à choisir un objet tout fait commun et à l’exposer tel quel – se propage. Plus concrètement, le  » ready-made  » a transformé l’artisan besogneux en philosophe des temps modernes. L’art n’est plus un objet de contemplation mais un sujet de réflexion. L’idée véhiculée et l’élaboration mentale de l’£uvre priment sur sa facture. De nombreux courants du XXe siècle intégreront la leçon ! Les cartons d’emballage Brillo, de Warhol, ou les accumulations d’objets d’Armand apparaissent aujourd’hui comme des clins d’£il aux gestes révolutionnaires de Duchamp. Autant d’actes faisant aussi écho à la révolution industrielle qui menace la production artisanale.

Aujourd’hui, un pan de l’art contemporain – le plus clinquant ! – place au sommet des artistes qui n’£uvrent pas directement, qui ne  » touchent  » plus à l’art. Ou si peu ! Ceux-là se sont transformés en chefs de chantier à la tête d’une équipe d’assistants. Ils impulsent des idées et supervisent la production d’£uvres réalisées industriellement. Ces artistes – Koons et Hirst en tête – font d’ailleurs régulièrement appel à des chercheurs et à des ingénieurs pour faire du projet rêvé une réalité.

La semaine prochaine

 » L’ART, ÇA DOIT FORCÉMENT DIRE, REPRÉSENTER QUELQUE CHOSE ! FAUX. « 

GWENNAËLLE GRIBAUMONT

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