L’arroseur arrosé

ghislain cotton

Théophile Gautier, par référence aux mythiques oiseaux de malheur déplumés par Hercule, les traitait de  » striges stymphalides « .  » Maquereaux de la littérature « , pour Cioran.  » Equarrisseurs littéraires « , pour Balzac. Pour Flaubert, ces artistes ratés agissent comme  » on se met mouchard quand on ne peut pas être soldat « . John Osborne, lui, professe que demander à un écrivain ce qu’il pense d’eux,  » c’est demander à un réverbère ce qu’il pense des chiens « . On aura compris que ce bouquet d’amabilités vise le métier infâme de critique littéraire. Mais il arrive aussi que la vindicte des écrivains s’adresse à leur propre corporation, et l’expérience prouve qu’ils n’y mettent pas moins de vacherie et que, en fait de critique, ils se fourrent aussi souvent le doigt dans l’£il que les  » mouchards  » patentés qui, d’ailleurs, portent parfois les deux casquettes avec plus ou moins de bonheur ( » agents doubles « , selon Pierre Mertens).

Tout ceci pour convier le lecteur à un grand bain de jouissance sadique à la lecture de deux ouvrages de citations aux titres engageants : Je hais les écrivains, par Eric Momus, à l’enseigne de la devise  » Sauver de la bêtise par la haine et de la haine par l’humour « , et Ceci n’est pas de la littérature…, par Sylvie Yvert et sous-titré  » Les forcenés de la critique passent à l’acte « . Le premier organise ce tir aux pipes selon les genres (académiciens, poètes, critiques, éditeurs, prix, foires du livre, etc.). Le second invoque l’alphabet pour aligner les écrivains livrés à la vigilante malveillance de leurs (faux) frères en écriture. Dans sa préface, Sylvie Yvert étudie avec finesse et pertinence le phénomène complexe de la critique, de sa précarité, de ses contradictions et de son rapport plus qu’aléatoire avec les fondements de la gloire littéraire, avec la pérennité des £uvres et avec les jugements de la postérité. Ainsi,  » les poètes maudits ne le demeurent pas toujours « . Elle note aussi ce propos de Charles Dantzig sur les universitaires qui  » repêchent ceux d’entre eux que la critique avait collés. La vie, c’est la session de juin, la postérité, la session de septembre « . Sylvie Yvert de conclure aussi que,  » en tout cas, l’agression reste préférable à l’indifférence, arme fatale autrement dangereuse, et seule punition véritablement irréversible « .

Cela dit, adonnons-nous au vénéneux plaisir de quelques nasardes assez gratinées, glanées au fil des deux ouvrages. Un jeu d’arroseur arrosé qui suggère aussi que la critique, si elle est loin d’être une science exacte, peut révéler certains traits de caractère de son auteur. Gautier sur Le Misanthrope :  » C’est écrit comme un cul.  » Julien Green sur Yourcenar :  » Ce que vous prenez pour du marbre n’est que du saindoux.  » Montherlant sur Claudel :  » Du music-hall pour archevêque.  » Léon Bloy, sur Fécondité, de Zola :  » Cela fait penser à la masturbation d’un cadavre  » ou, plus iconoclaste vis-à-vis de celui qui, en effet, a conquis aujourd’hui le statut d’icône :  » Rimbaud, une lampe fumeuse dans un cabinet d’aisances trop étroit.  » Desproges, sur Duras :  » Elle n’a pas écrit que des conneries. Elle en a aussi filmé.  » Flaubert, sur Lamartine :  » Un esprit eunuque, la couille lui manque, il n’a jamais pissé que de l’eau claire.  » On reste dans le registre avec le propos de Roger Peyrefitte sur Mauriac,  » ce pisseur d’eau bénite « . Il se joue aussi des parties de ping-pong très disputées. Gide à propos de l’£uvre du même Mauriac :  » Cela ne tiendra pas « , et Mauriac à propos de Gide :  » Que restera-t-il de l’£uvre de Gide en dehors de Gide lui-même ?  »

Certes, comme le notent les deux enfileurs de ces perles (de culture), elles sont évidemment coupées de leur contexte général, mais la vigueur résolue des propos laisse peu d’équivoques sur les sentiments profonds de leurs auteurs. Il est bien vrai et connu que les écrivains sont de drôles d’animaux. D’aucuns, pour être des créateurs géniaux et immortels, peuvent ne pas moins se montrer insupportables de fatuité, de susceptibilité ou de confraternelle détestation. Pourrait-on insinuer à propos de ceux-là qu’ils se rapprochent de certain tableau de Courbet, étant à la fois : origine d’ un monde et cons somptueux ? Bien entendu, il ne saurait être question, comme d’ailleurs pour la critique, de se laisser aller à des généralités désobligeantes ou injustes. Et, même si l’on prend des cas aussi pendables que celui de l’homme Céline, son art nous laisse encore le droit de dire que  » ce n’est pas pour cela que nous l’aimons « .

Mais que tout cela ne nous empêche pas de garder pour la bonne bouche ce trait d’humour vache, mais non dépourvu d’une certaine pertinence. Cité par Eric Momus, il est d’Arthur Koestler que l’on ne savait pas aussi sarcastique :  » Vous venez voir l’écrivain ? Méfiez-vous, c’est décevant… C’est comme si, après avoir mangé le foie gras, vous rencontriez l’oie en personne. « 

Je hais les écrivains. Collection  » Petite anthologie de la dérision « , par Eric Momus. Rocher, 92 p.

Ceci n’est pas de la littérature… Anthologie réalisée et préfacée par Sylvie Yvert. Rocher, 222 p.

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