L’arme des mots

Marianne Payot Journaliste

Quand un repenti de la Mafia, exilé en France, rencontre une Brother 900. Diabolique Benacquista

Si un méchant n’est puni ni par la justice ni par sa mauvaise conscience, à quoi bon inventer des personnages positifs qui respectent une morale ?  » La question ne cesse de tarauder Tonino Benacquista. Et c’est avec une belle constance que l’auteur tente d’y répondre, flirtant, de romans en pièce de théâtre, avec les notions d’immoralité, d’impunité, de culpabilité. Lu à travers ce prisme, Malavita, son dernier roman, est une sorte d’apothéose, de feu d’artifice, qui se joue, avec maestria, du sujet.

L’idée de génie de Benacquista est d’avoir choisi pour héros un repenti. Non pas une de ces petites balances de banlieue, mais un vrai de vrai, un dur, un Italo-Américain de Newark, qui a fait tomber trois des plus gros caïds de la côte Est. Parmi les mafiosi inculpés, Don Mimino, le  » capo di tutti i capi « , condamné à trois cents années incompressibles. La sentence du chef suprême de Cosa Nostra est immédiate : 200 millions de dollars à celui qui aura la peau du repenti Giovanni Manzoni. Un repenti sans repentance aucune. Depuis qu’il a fait sienne cette maxime d’Al Capone :  » On obtient plus de choses en étant poli et armé qu’en étant juste poli « , il n’a jamais dévié ni flanché.

Le voilà donc, sous la haute protection du FBI, transformé en Frederick Blake, paisible Américain tout juste installé à Cholong-sur-Avre, en Normandie. A ses côtés, Maggie, sa femme, Belle, sa fille, et Warren, son fils, s’adaptent, vaille que vaille, à leur nouvelle vie d’exilés. Sous l’£il endormi de Malavita, un bouvier australien gris cendre particulièrement placide. Benacquista adore les détails. Et c’est ce qui donne toute leur saveur et leur limpidité à ses romans. L’intégration des enfants Blake dans l’école du bourg normand, les courses de Maggie à la supérette de l’avenue de la Gare, le barbecue offert aux voisins sont des plus désopilants.

Tout comme la découverte par Fred, dans la véranda, d’une Brother 900,  » modèle 1964. Métal noir. Touches de nacre. Clavier européen « . Un instrument diabolique, pour qui n’a jamais prôné l’art de l’éloquence qu’à coups de barre à mine. Mais le désir de faire entendre sa vérité est plus fort que tout. Fred s’empare de la Brother comme d’une mitraillette, ressuscitant, en pesant chaque mot, en dosant chaque point virgule, le grand Manzoni. Naissance d’un écrivain assailli parà la nostalgie du péché. Entre deux chapitres, Giovanni ne peut s’empêcher de rendre  » sa  » justice, soit deux bras brisés pour le plombier arrogant et la destruction totale pour l’usine d’épuration polluante du coin.

De La Maldonne des sleepings à La Commedia des ratés, de Saga à Quelqu’un d’autre, Benacquista a prouvé bien des fois son sens de l’humour et du récit. Sa Malavita (mauvaise vie ou mafia), véritable comédie humaine, ne déroge pas à la règle. Don Benacquista ou l’affranchi des lettres françaises !

Malavita, par Tonino Benacquista. Gallimard, 320 p.

Marianne Payot

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