L’après-Daerden a-t-il commencé ?

Des contrariétés, Michel Daerden en a affronté d’autres. Coriace, l’Ansois a résisté à tout. Mais sa position paraît aujourd’hui plus fragile que jamais. Et pourrait même devenir, à terme, carrément intenable.

Hauts murs blancs et moulures dorées au plafond. Pour la présentation de ses v£ux, la fédération liégeoise du parti socialiste s’est donné rendez-vous au Mamac, le musée d’art contemporain de la Cité ardente. Un lieu de majesté et de prestige. Un sanctuaire de la culture, symbole parmi d’autres de la fierté liégeoise. L’ambiance est pourtant pesante, ce vendredi soir. Les convives bavardent mollement, entourés des £uvres de Gaston Duchamp, Fernand Léger et Victor Vasarely. Personne pour se ruer sur les petits fours. On comprend : à deux kilomètres de là, les pompiers recherchent toujours des corps dans les gravats. Willy Demeyer, président de la fédération et bourgmestre de Liège, a maintenu la réception. Mais c’est le visage grave, et fatigué, qu’il monte sur l’estrade. Son exposé, bref, est un plaidoyer pour des services publics de qualité. Il avait préparé un discours offensif, parsemé d’attaques contre  » la droite  » : les circonstances l’ont incité à gommer ces passages polémiques. Il a également choisi de ne pas diffuser le message vidéo adressé par Elio Di Rupo aux militants liégeois.

Willy Demeyer lui-même ne s’éternise pas. On l’attend sur les plateaux télé. Il est déjà parti quand arrive celui que beaucoup considèrent comme l’étoile montante de la fédération, Alain Mathot. Le bourgmestre de Seraing, et député fédéral, rayonne. Quant à Michel Daerden, il débarque plus tard encore, une écharpe rouge autour du cou – une façon, peut-être, de rappeler son adhésion au fameux  » mooonde de gaaauche « , que certains mettent en doute, jusque dans son propre parti. Oh, bien sûr, l’Ansois conserve ses supporters.  » On est de tout c£ur avec vous « , lui glissent-ils, pleins de compassion. Le ministre ne bronche pas. Il semble d’humeur maussade. Quand la députée Marie-Claire Lambert vient à lui, il la prend dans ses bras, surjoue la camaraderie. Mais on voit bien la fêlure…

Depuis le début de cette année 2010, les articles de presse gênants se multiplient, charriant leur lot de révélations sur le juteux business mis sur pied par Michel Daerden dans le secteur du révisorat (1). De quoi faire resurgir cette éternelle question : et si l’après-Daerden se préparait ?  » Michel Daerden a posé un certain nombre d’actes, commente Willy Demeyer. Il doit pouvoir se justifier et, le cas échéant, en assumer les conséquences. Moi, je ne fais pas de pronostic. J’attends. Et mon rôle, c’est de parer aux éventualités. Si demain Michel Daerden doit céder le flambeau, la fédération ne sera pas déstabilisée. « 

Dans le camp Daerden, ce n’est pas la panique à bord. Mais on sent poindre l’inquiétude.  » Michel me paraît préoccupé « , confie Willy Demeyer. Un autre élu socialiste va plus loin :  » Michel est nerveux, plus nerveux qu’il ne l’a jamais été.  » Des attaques frontales et des coups fourrés, des polémiques et des révélations embarrassantes, Michel Daerden en a subi son lot, au cours de sa longue carrière politique (il a été élu député pour la première fois en 1987). Cette fois, c’est différent. Quatre faits nouveaux le fragilisent.

Un. Il est sorti du cocon régional. Depuis qu’Elio Di Rupo l’a nommé ministre fédéral des Pensions, en juillet dernier, Michel Daerden vit une sorte d’exil, loin de Namur et de ses habitudes douillettes. Les parlementaires flamands l’attendaient au tournant. Ils n’ont pas tardé à se montrer impitoyables, et parfois injustes, envers lui.  » N’oublions pas l’importance du dossier des pensions pour les Flamands « , relève un observateur. Rien n’indique que les députés néerlandophones vont s’adoucir dans les prochaines semaines. Pas même les socialistes du SP.A, qui exigent la démission de Michel Daerden (lire l’encadré en page 20).

Deux. La justice, désormais, s’y intéresse officiellement. Le 18 janvier, le procureur général de Liège, Cédric Visart de Bocarmé, a confirmé qu’un dossier contre X avait été ouvert, il y a plusieurs mois, à propos de contrats de révisorat entachés d’illégalité et que la section Ecofin de la police judiciaire fédérale travaille sur ce dossier. Double précision (essentielle) : Michel Daerden est concerné par une information judiciaire, et non par une inculpation, et il reste, bien entendu, présumé innocent.

Trois. Le président du PS, Elio Di Rupo, a saisi le conseil de déontologie du PS afin qu’il examine la problématique du bureau révisoral BCG (ex-cabinet Daerden). Fraîchement installé, ce conseil n’est pas un gadget composé de béni-oui-oui. Parmi ses sept membres, on relève notamment la présence d’un ancien président à la Cour de cassation (Claude Parmentier) et d’un ex-président de la cour d’appel de Mons (Christian Jassogne).  » S’il y a vraiment un problème concernant Michel Daerden, cela va être difficile pour ces gens-là de ne pas l’aborder de façon réaliste, estime Alain Mathot. Maintenant, il faut voir le timing. Le conseil de déontologie doit faire vite. J’espère qu’il ne va pas mettre six mois ou un an pour se prononcer.  » Le conseil de déontologie s’est d’ores et déjà mis au travail. Tant Michel que Frédéric Daerden ont été entendus. Et, pas anodin, le second aurait été invité à fournir des précisions supplémentaires sur le montant de ses revenus.

Quatre. La pression, si elle ne se calme pas, pourrait forcer le PS à demander un  » pas de côté  » à sa superstar. La crédibilité du parti sur le terrain de la bonne gouvernance est en jeu.  » On a viré Anne-Marie Lizin pour moins que ça. On a viré Didier Donfut pour encore moins que ça. S’il y a une jurisprudence un peu constante, Michel Daerden est cuit, et plutôt deux fois qu’une « , résume crûment un membre avisé de la fédération liégeoise.

Jusqu’à présent, Michel Daerden résiste. Il a pour lui la  » daerdenmania « , qu’il entretient méticuleusement, comme on bichonne un diamant brut. C’est son arme ultime, sa meilleure assurance-vie, son rempart. Il le sait. Son score aux élections de juin dernier est encore dans tous les esprits : 63 580 voix, record absolu dans l’histoire politique liégeoise. Aussi longtemps que Michel Daerden reste cette puissante machine à voix, il en faudra plus que quelques banderilles pour contraindre son parti à le lâcher.

Les principales figures du PS liégeois s’en tiennent pour l’instant à un attentisme prudent.  » Les conditions pour un débat serein ne sont pas réunies, justifie le ministre wallon de l’Economie, Jean-Claude Marcourt. Tout le monde sait ce qui me différencie de Michel Daerden, ce n’est pas un scoop. Mais il y a pour l’instant un côté chasse à l’homme qui me déplaît. Cela empêche le débat sur un certain nombre de questions.  »  » J’ai mes convictions sur une série de sujets, complète Isabelle Simonis, chef du groupe PS au parlement wallon et bourgmestre de Flémalle. Mais j’estime qu’il n’y a pas lieu de réagir par rapport à un dossier judiciaire. La réponse politique, elle a été donnée par le gouvernement wallon : remettons en concurrence les contrats de révisorat litigieux. « 

Alain Mathot, lui, ne cache pas son agacement par rapport à la volonté de Michel Daerden d’être à nouveau sacré tête de liste aux élections fédérales de 2011, alors que celle-ci devait en principe lui échoir, comme le stipule un accord signé par les principales figures du PS liégeois (dont Daerden). Sur le dossier révisoral, en revanche, le député-bourgmestre de Seraing reste coi.  » La justice est concernée, maintenant. Attendons ses conclusions. Moi, je ne veux pas participer à l’hallali. J’ai vécu pendant vingt ans ce climat de suspicion et de rumeurs avec, en fin de compte, rien du tout, puisque mon père n’a jamais été condamné, je le rappelle. « 

Chez Marcourt, Mathot, Demeyer et Cie, partout, on adopte donc la même discrétion à double tranchant. Aucun d’eux n’accable publiquement Michel Daerden. Mais aucun d’eux ne vole non plus à son secours.

(1) Le cabinet de révisorat fondé par Michel Daerden en 1986 a longtemps détenu un quasi-monopole sur les structures publiques liégeoises. En 2001, Michel Daerden a vendu l’ensemble de ses parts à son fils Frédéric. Le cabinet, lui, a continué à accumuler les contrats.

FRANçOIS BRABANT, BRUNO BOUTSEN ET PIERRE HAVAUX; F.B.

Papa apparaît d’humeur maussade

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