L’appel du 13 juin

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Près de 340 millions d’électeurs de 25 pays choisissent leurs représentants pour cinq ans. Enjeux politiques d’un scrutin continental menacé du taux de participation le plus faible depuis un quart de siècle

Curieux paradoxe : plus le Parlement européen a des pouvoirs, moins l’opinion se passionne pour l’élection d’une nouvelle assemblée de l’Union. Lors du dernier scrutin, en juin 1999, la participation était tombée à 49,6 %. Un plancher record. Cette fois, on prévoit une abstention encore plus forte. Elle atteindrait 65 à 80 % dans des pays comme le Portugal, la Pologne, le Royaume-Uni, la Suède ou la République tchèque, révèle une enquête EOS Gallup menée dans les 25 Etats membres.  » Même si le Parlement n’a jamais eu autant de pouvoirs, ils concernent le plus souvent des matières techniques, alors que les gens s’intéressent plutôt à des sujets comme l’Irak, l’enseignement…, remarque Christian Franck, professeur à l’Institut d’études européennes de l’UCL. Ils savent aussi que le Parlement n’est que l’une des pièces d’un ensemble institutionnel. Or les citoyens ne se sentent sûrement pas plus représentés au niveau européen par leurs eurodéputés que par leur chef d’Etat ou leurs ministres, figures plus connues.  »

Redoutant une abstention monstre, la Commission Prodi, le président du Parlement sortant, l’Irlandais Pat Cox, et les ministres des Affaires européennes de l’UE ont tour à tour lancé des appels à voter aux 338 millions d’électeurs inscrits. Mais la campagne, des plus ternes, n’a pas favorisé la mobilisation. En Belgique, où le vote est obligatoire (comme en Grèce et au Luxembourg), une personne sur trois ignorait encore la date du scrutin du 13 juin quinze jours avant les élections.  » Quand les européennes sont couplées à une élection interne, comme c’est le cas chez nous cette année, celle-ci occulte le débat transnational « , constate Peter Thomas, directeur du Bureau belge du Parlement européen. Et cela en dépit d’échéances cruciales cette année, comme l’accord attendu sur la première Constitution européenne ou la réponse à donner à la candidature de la Turquie, thème qui a fait irruption dans la campagne en Allemagne, en France, au Danemark et en Autriche.

Qui va gagner les élections ?

Mathématiquement, la droite a de bonnes chances de se retrouver majoritaire dans l’assemblée qui sortira des urnes. En s’unissant, les députés démocrates-chrétiens et conservateurs du Parti populaire européen (PPE) ont réussi à devenir, en 1999, le plus grand groupe du Parlement. Il comptait 232 élus sur 626 lors de cette législature. Et devrait renforcer sa position grâce à l’arrivée des nouveaux pays adhérents. Une récente étude de politologues anglais et irlandais donne le futur Parlement légèrement plus conservateur qu’actuellement du fait des gains attendus de la droite dans trois des pays fournisseurs de gros contingents d’eurodéputés : l’Allemagne, où l’on prévoit un vote-sanction contre les réformes de Gerhard Schröder, le Royaume-Uni, où Tony Blair va sans doute payer les conséquences du bourbier irakien, et la Pologne, où la débâcle annoncée des sociaux-démocrates fera le jeu de leurs adversaires. Le PPE décrocherait 280 sièges sur 732. Il resterait ainsi le premier groupe devant le Parti socialiste européen (PSE), crédité de 217 sièges dans les pronostics.

Quelles seront les conséquences des résultats ?

Derrière ces élections, l’enjeu est avant tout de s’imposer aux postes-clés de la Commission et du Parlement. Si le PPE reste la première formation,  » le président de la Commission devra être choisi dans ses rangs « , n’a cessé de répéter Hans-Gert Pöttering, le président du groupe. Pas question de se voir répéter le scénario de 1999 où le Conseil européen, dominé par des gouvernements sociaux-démocrates, avait choisi l’Italien de centre gauche Romano Prodi à la tête de l’exécutif communautaire. Mais les plans du PPE ne se réaliseront que s’il arrive à maintenir son unité. Or, à force de s’ouvrir à tous les partis de droite, y compris à des formations xénophobes et anti-européennes, ce mouvement risque l’explosion. Il a plié en effet face aux exigences des conservateurs britanniques et a subi la marque populiste de Forza Italia et de son maître d’£uvre, Silvio Berlusconi. Une dérive qui a ulcéré plusieurs membres du PPE (les Français de l’UDF, le Belge Gérard Deprez, des Italiens, des Catalans…), décidés à créer un nouveau parti europhile.

Qu’ont fait les députés belges sortants ?

Le nouveau Parlement accueillera 24 Belges : 14 néerlandophones, 9 francophones (au lieu de 10 actuellement) et 1 germanophone. Les 25 sortants se répartissaient entre quatre groupes (PPE, PSE, libéraux et Verts) et celui des non-inscrits. Premier constat, les Belges remportent la médaille d’or sur le podium de l’assiduité aux sessions parlementaires, mais beaucoup d’entre eux n’ont pas eu le temps de se lasser : seuls 14 eurodéputés élus en 1999 ont siégé jusqu’au bout de la législature. Si les 3 Ecolos et les 3  » sociaux-chrétiens  » (le CDH Michel Hansenne, le CSP Mathieu Grosch et le MCC Gérard Deprez, comptabilisé hors MR, car membre du PPE) ont été fidèles à leur mandat, on ne peut en dire autant des 3 PS et des 2 MR. Par ailleurs, Deprez et l’Ecolo Paul Lannoye ont été les deux francophones les plus actifs (taux de présence aux sessions plénières très élevé, nombreux rapports parlementaires et interpellations).

Quels sont les pays les plus influents ?

Avec ses 99 parlementaires assidus, l’Allemagne est le poids lourd du Parlement européen. Elle conservera son quota dans la nouvelle assemblée. En revanche, la France, l’Italie et le Royaume-Uni, autres  » grands pays « , n’auront plus que 78 sièges au lieu de 87, afin de libérer des places pour les députés des dix nouveaux pays membres. Toutefois, la taille des contingents nationaux ne reflète pas exactement leur pouvoir d’influence. La délégation française est ainsi largement déforcée par son taux d’absentéisme, le plus élevé après celui des Italiens, et par son éparpillement dans tous les groupes politiques. En revanche, les Allemands, pour la plupart inscrits au PPE ou au PSE, les deux formations les plus puissantes, sont au centre de gravité de l’assemblée. Si ses intérêts nationaux sont menacés, Berlin sonne l’alarme et ses députés, toutes tendances confondues, font cause commune. Quant au Royaume-Uni, il est considéré comme l’incontestable leader du Parlement sur les enjeux financiers et économiques.

Un parlement plutôt  » vert  » ou libéral ?

Lors de la dernière législature, le Parlement a adopté un nombre record de directives. De cette abondante production émerge une tendance résolument libérale. Les eurodéputés ont autorisé la libéralisation des télécoms, les services postaux, du gaz, de l’électricité et des transports ferroviaires. Une politique qui découle, en partie, de la logique du marché unique, lancé en son temps par un socialiste, Jacques Delors, alors président de la Commission. Par ailleurs, une poussée  » verte  » s’est manifestée à de nombreuses reprises. Ainsi, l’industrie alimentaire est désormais soumise à l’une des législations les plus strictes du monde en matière d’étiquetage sur les OGM. Au lendemain des naufrages le l’ Erika et du Prestige, des directives, qui prévoient des amendes record contre les  » navires poubelles « , ont été rapidement rendues applicables. Et les fumeurs doivent aux eurodéputés la mention  » fumer tue  » écrite en grosses lettres sur les paquets de cigarettes.

Près de 70 % des lois belges découlent de la législation européenne. Même si ce pourcentage  » officiel  » est sujet à caution, il confirme l’importance du rôle du Parlement européen. Et pourtant, les citoyens de l’Union qui peinent toujours à savoir à quoi il sert exactement.

Olivier Rogeau

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