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L’appel de la forêt

Entre dystopie écologiste et grande saga familiale, le prodigieux premier roman du canadien Michael Christie impressionne par sa maîtrise, et fait de l’arbre le meilleur ami de l’homme.

« Ils viennent pour les arbres. Pour respirer les aiguilles. Caresser leur écorce. Se régénérer à l’ombre vertigineuse de leur majesté. Se recueillir dans le sanctuaire de leur feuillage et prier leurs âmes millénaires. » En 2038, les forêts éternelles ont disparu de la planète, sous les vagues successives de chaleur et de poussière issues du Grand Dépérissement. Le dernier refuge, la dernière forêt, se trouve désormais sur une petite île au large de la Colombie-Britannique, où Jacinda, dendrologue de formation, guide entre les arbres des touristes fortunés, dans le seul espoir, qu’elle sait vain, d’enfin payer ses dettes d’étudiante.

Mais voilà qu’elle apprend qu’elle est peut-être la descendante, par sa mère militante écolo radicale, de Harris Greenwood, magnat du bois, fondateur de ce sanctuaire et… responsable de la destruction, pendant des décennies, de milliers d’hectares de forêts canadiennes. Des origines qui, soudain, ramènent le lecteur en arrière, de 2038 à 1908, cent trente ans auparavant, avant que Michael Christie ne reprenne sa marche en avant: 1908, 1934, 1974, 2008, 2038. Cinq périodes charnières – toutes marquées par une crise économique, puis écologique – pour quatre générations de Greenwood, tous intimement liés au bois, aux arbres et aux forêts. Des forêts qui, thème central de cet émouvant et remarquable Lorsque le dernier arbre (1), conviennent bien mieux qu’un seul arbre pour représenter une famille: « Les grandes sagas s’ouvrent toujours sur un simple arbre généalogique, avec un homme sur le dessus. Mais une famille, c’est bien plus compliqué qu’un arbre » , nous a exposé l’auteur canadien de passage à Bruxelles , « c’est plutôt une forêt: on est parfois adopté, parfois choisi, on porte des noms différents, on s’efface, on revient… Je voulais écrire une saga, tout en en subvertissant la forme, et écrire sur cette nature dont on est tellement dépendant. Je ne pense pas que les derniers sceptiques du changement climatique le liront puis se diront: « Ah, ok, on s’est trompé » ; en tant qu’écrivain, je peux juste essayer « d’émotionnaliser » l’information et revigorer l’appréciation d’un lecteur pour l’incroyable beauté de la nature. D’ailleurs, je ne suis ni optimiste ni pessimiste, il est déjà trop tard pour ça. La maison est en feu, on peut essayer d’en sortir ou d’éteindre l’incendie, mais le fait est que la maison est en feu. »

Ils repousseront », ce n’est pas une phrase que j’ai inventée pour le livre, elle était répétée en permanence.

Un grand roman avant un plaidoyer

« Si on m’ouvrait la tête, on trouverait un gros ballot de racines toutes emmêlées », exprime un des personnages de Lorsque le dernier arbre. Métaphore qui s’applique évidemment à son auteur, qui a lui-même grandi en Colombie-Britannique, « dans une petite ville entourée de forêts perpétuelles », a été charpentier, a bâti sa propre maison, évidemment en bois, et doit, quand il est à Paris, « aller tous les matins sentir les séquoias des jardins du Luxembourg ». C’est dire s’il sait de quoi il parle quand il évoque, longuement, le rapport presque charnel et intime qui relie, aujourd’hui encore, l’humain à la forêt ainsi que l’histoire contemporaine de leurs rapports houleux et qu’on pensait éternels: « Je voulais montrer comment la Grande Dépression, par exemple, fut un désastre écologique dont on n’ a rien retenu. Dans les années 1970, il y eut aussi au Canada et en Amérique du Nord un véritable timber tycoon au cours duquel on a coupé des millions d’hectares de forêts. » Michael Christie ne tombe pourtant jamais dans le manichéisme à rebours: « On diabolise aujourd’hui les responsables de ces abattages, mais ils étaient vraiment persuadés que les forêts étaient renouvelables et quasiment infinies! « Ils repousseront », ce n’est pas une phrase que j’ai inventée pour le livre, elle était répétée en permanence. Il n’y a pas d’innocents ou de coupables dans ces questions, c’est plus subtil que ça. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a aujourd’hui des décisions à prendre. Sans arbres, cette planète sera un désert brûlant. »

Michael Christie est capable d'émouvoir comme jamais face à une simple tronçonneuse et une écorce qui s'ouvre.
Michael Christie est capable d’émouvoir comme jamais face à une simple tronçonneuse et une écorce qui s’ouvre.© EDAR BOWERS

Le plaidoyer de Michael Christie ne se contente heureusement pas de l’être: son récit est avant tout un incroyable roman au carrefour des genres – saga familiale, récit historique, dystopie, thriller, pageturner… – et à la structure narrative à la fois totalement originale et au service de son propos. Michael Christie, dont c’est le premier roman après un récit de nouvelles paru voici près de dix ans déjà, se révèle aussi capable d’émouvoir comme jamais face à une simple tronçonneuse et une écorce qui s’ouvre: il est d’évidence fait du bois dont on fait les grands auteurs.

(1) Lorsque le dernier arbre, par Michael Christie, Albin Michel (collection Terres d'Amérique), 591 p.
(1) Lorsque le dernier arbre, par Michael Christie, Albin Michel (collection Terres d’Amérique), 591 p.

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