L’appel de Charles Michel au « made in Europe »
Le président du MR se mue en chantre du » patriotisme économique « . Il propose d’instaurer des droits de douane aux frontières de l’Europe pour protéger la Belgique contre de nouveaux drames sociaux, comme celui de Caterpillar. Le PS ? » Il a contribué au succès de la N-VA « , accuse Charles Michel. Qui cible aussi le pouvoir » occulte » de l’ACW et des Mutualités socialistes.
(1) Philosophe écossais du XVIIIe siècle, théoricien du libéralisme. Selon lui, des comportements guidés par l’intérêt personnel peuvent déboucher sur le bien-être de tous, grâce à » la main invisible du marché « .
Le Vif/L’Express : 1 400 emplois supprimés chez Caterpillar à Charleroi, 1 300 chez ArcelorMittal à Liège, plus de 4 000 chez Ford à Genk… Les responsables politiques sont-ils condamnés à assister, impuissants, à la prolongation de cette série noire ?
Charles Michel : Je refuse l’impuissance. Je refuse de considérer que les responsables politiques doivent simplement subir, partager des émotions, émettre des analyses sous la forme de diagnostics. Je pense au contraire que nous sommes mandatés pour inverser le cours des choses. Dans le dossier Caterpillar, comme dans d’autres dossiers industriels, il y a plusieurs actions à mener, et vite. J’attends une réponse européenne, qui n’existe pas. Il y a une politique agricole commune, il n’y a pas de politique industrielle commune.
Lorsqu’il était vice-président de la Commission, de 1981 à 1985, Etienne Davignon a échafaudé un grand plan européen pour l’acier.
Cela n’existe plus. Dans la mondialisation, aujourd’hui, les entreprises européennes sont les dindons de la farce. Parce que nous n’avons pas de stratégie industrielle commune et que nous jouons le jeu du libre-échange avec naïveté. C’est un sujet sur lequel je veux que le MR se positionne dans les semaines à venir : nous devons forcer la création d’un label » made in Europe « .
En quoi serait-ce une réponse aux suppressions d’emploi ?
Ce label permettrait de sensibiliser les citoyens au thème du patriotisme économique. Pour qu’au moment de l’acte d’achat, il y ait une réflexion qui prend en compte cette notion de made in Europe. En consommant européen, on accepte parfois de payer un peu plus cher, mais on soutient une activité qui crée de l’emploi, de la prospérité et de la sécurité sociale en Europe. A mon avis, nous, les Européens, nous n’avons pas assez misé sur le patriotisme économique. Il faut y venir. Mais ça ne suffit pas. Nous devons aussi instaurer des droits de douane aux frontières de l’Europe pour certains produits. On ne peut plus tolérer que des pays émergents, avec cynisme, inondent notre marché de produits qui bénéficient souvent d’aides d’Etat et qui ne remplissent pas les mêmes exigences sociales et environnementales que les produits européens.
Vous êtes devenu altermondialiste ?
Non, pas du tout. Je crois que la mondialisation peut créer de la prospérité et du progrès, à condition qu’elle soit régulée. Depuis trois, quatre ans, notre modèle économique subit une mutation spectaculaire. Face à ça, ma génération politique porte une grande responsabilité : on ne peut pas rester les bras ballants. Va-t-on accepter un monde où, dans le secteur de l’automobile et de l’acier, il n’y aura plus que des produits fabriqués en dehors de l’Europe ? Ce serait insensé.
Vous voulez taxer les voitures et les machines à laver fabriquées en Asie ?
Je parle plutôt de droits de douane. Peut-être faudra-t-il aussi recourir à cette arme-là pour le secteur pharmaceutique. Celui-ci semble pour l’instant bien se porter, mais rien n’est jamais acquis. Je ne crois pas à la main invisible du marché.
Vous êtes un disciple d’Adam Smith (1) peu orthodoxe.
Tout comme j’espère que ceux qui s’appuient sur Marx ne reprennent pas la totalité de la doctrine marxiste. Je pense que la production de valeur, sous forme de biens ou de services, constitue le moteur de la prospérité. Par contre, la notion de main invisible, je n’y crois pas ! Il y a des régions du monde, notamment asiatiques, où il n’y a quasi aucune protection sociale. Alors forcément, le coût du travail chez nous ne peut pas être concurrentiel face à ces pays-là. Voyez le Obama Care : en termes de protection sociale, les Etats-Unis ont presque un siècle de retard sur l’Europe. Les décideurs européens doivent aujourd’hui protéger les citoyens contre les effets collatéraux de notre avant-gardisme.
Le baromètre La Libre-RTBF indique que les quatre grands partis francophones n’ont jamais été si peu populaires. En Wallonie, PS, MR, CDH et Ecolo ne totalisent plus que 79 % des intentions de vote. Cela vous inquiète ?
Si les quatre grands partis reculent, c’est simplement parce que les partis de l’olivier subissent un choc spectaculaire. Ensemble, les trois partis de gauche perdent autour de 15 %, c’est gigantesque. Ce chiffre traduit un ras-le-bol de la population. Que ce soit à Bruxelles avec la 4G, ou en Wallonie sur le dossier de l’énergie, le PS, le CDH et Ecolo montrent leur incapacité à prendre des décisions sérieuses. A l’inverse, au gouvernement fédéral, le MR engrange des avancées : la liberté de travailler pour les pensionnés, c’est une mesure concrète, excellente pour la création d’emplois. Depuis dix ans, on se battait pour ça, on vient de l’obtenir. Même réflexion concernant le parcours d’intégration : le MR le réclame depuis des années, et que voit-on ? La gauche, à reculons, finit par l’accepter.
C’est pourtant un gouvernement wallon dans lequel ne figure pas le MR qui va concrétiser l’idée.
La force de nos arguments nous permet, depuis l’opposition, de faire reculer les gouvernements. Le MR a aussi déposé une proposition très solide de réforme des droits de succession et de donation. L’objectif : mieux mobiliser les patrimoines qui dorment pour les injecter dans l’économie réelle. Vous allez voir, on finira par avoir gain de cause dans ce dossier-là.
Vous en concluez que l’air du temps est favorable à la droite ?
Cela signifie, en fait, que le MR est en train de gagner la bataille des idées. Mais cela dit, le mal-être à gauche ne me réjouit pas. La vitalité démocratique repose sur la capacité des partis à être des forces de proposition, et on voit que la gauche n’est plus une force de proposition. La progression du PTB, c’est un symptôme de l’incapacité des partis conservateurs de gauche à produire des réponses adaptées à la réalité d’aujourd’hui.
Vous classez le CDH et Ecolo parmi les partis conservateurs de gauche ?
Je serai plus nuancé. Tant chez Ecolo qu’au CDH, il y a de plus en plus de personnalités lucides, qui comprennent que le conservatisme lié à la domination du PS en Wallonie constitue un frein à la résolution de nombreux problèmes.
Qui sont ces personnalités lucides ?
Je ne vais pas citer de noms, car cela pourrait leur porter préjudice. Mais quand je vois le travail de Melchior Wathelet au fédéral, c’est un travail de qualité. Voilà une personnalité qui, me semble-t-il, échappe à ce conservatisme de gauche. Quand Benoît Lutgen rejoint des propositions du MR en matière de soutien aux PME, cela me réjouit aussi. Cela n’a pas toujours été la position du CDH ces dernières années. Après les élections communales, on a vu des signaux intéressants à Molenbeek et à Verviers, où se sont constituées des majorités sans le PS, dans des lieux qui étaient devenus des caricatures du conservatisme de gauche, avec ce que ça a de plus détestable en matière de clientélisme et de laxisme.
Et Jean-Marc Nollet, le vice-président Ecolo du gouvernement wallon, c’est un conservateur de gauche ?
C’est un travailleur, je lui reconnais cette qualité-là. Il a été de bonne volonté dans ses départements, même si je ne partage pas ses options. Par contre, dans le dossier énergétique, c’est un désastre complet, et ce dossier jette le discrédit sur l’ensemble du gouvernement wallon. La presse a mis en lumière Jean-Marc Nollet, mais la culpabilité repose tout autant, si pas plus, sur son prédécesseur, André Antoine. Entre 2004 et 2009, le gouvernement wallon a lancé un mécanisme de financement du photovoltaïque purement démagogique et irresponsable. Tant mieux pour les gens qui ont pu en bénéficier, mais ce qu’on paye aujourd’hui, c’est cette rentabilité délirante du photovoltaïque.
Votre objectif ultime, c’est mettre le PS dans l’opposition ?
Je veux une inversion du paradigme. Je veux que le projet du MR devienne le fil conducteur au départ duquel on va redresser la Wallonie et Bruxelles. Mais mon but n’est pas d’éliminer untel ou untel. Il y a des personnes de qualité au PS. Le problème c’est qu’elles ont souvent été bloquées par des conservatismes venant de certains syndicats ou de certains piliers socialistes.
En janvier 2011, Didier Reynders, vice-Premier ministre MR, déclarait que le PS maintenait la Wallonie » en coupe réglée « . Vous partagez son point de vue ?
Depuis la création de la Région wallonne, il y a eu dans le chef du PS une démarche d’occupation du pouvoir, au sens littéral. C’est un problème, évidemment ! La seule façon de donner de l’oxygène, c’est de permettre à un parti politique de porter un autre projet. Et le MR est le seul à pouvoir le faire.
N’est-ce pas présomptueux ?
› Non, parce que le MR est le seul parti indépendant de tous les conservatismes qui gangrènent la Wallonie. Ma génération se demande si ses enfants et ses petits-enfants vivront aussi bien que leurs parents. Depuis la Seconde Guerre mondiale, c’est la première fois qu’on est confrontés à cette angoisse-là. On ne pourra s’en sortir qu’en lançant des réformes courageuses, comme on a commencé à le faire au gouvernement fédéral, notamment sur le plan des retraites et du marché de l’emploi. Le problème, c’est qu’en Wallonie et à Bruxelles, ces réformes structurelles, on ne les a pas démarrées. On a géré à la petite semaine, en se partageant des prés carrés, sans aucune vision de l’intérêt général.
Vous avez menacé de demander une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur le financement du Mouvement ouvrier chrétien. Pourquoi autant de dureté vis-à-vis du monde mutuelliste et syndical ?
J’ai du respect pour la vitalité associative. Je salue l’engagement altruiste des milliers de bénévoles de l’ACW et du MOC. Là où j’ai un problème, c’est quand les citoyens sincèrement mobilisés dans ces associations sont instrumentalisés pour des logiques de pouvoir occultes.
Derrière le discours du Mouvement ouvrier chrétien, ou des Mutualités socialistes, des stratégies occultes sont à l’oeuvre ?
Vous en doutez, vous ? La réponse est oui, évidemment. Certains dirigeants de ces piliers-là sont dans des démarches très conservatrices. Ils freinent la modernisation du pays. Je pense aussi qu’il faut de la transparence. Quand des ministres sont plus influencés par une oligarchie idéologique que par le débat parlementaire, oui, ça me gêne. Chaque fois qu’il y a des réseaux d’influence secrets ou discrets, la démocratie est perdante.
Dans une carte blanche, le député MR Alain Destexhe a rendu les socialistes Laurette Onkelinx et Paul Magnette responsables du succès de Bart De Wever. Vous êtes d’accord avec lui ?
Oui. Quand ça ne va pas bien pour lui, le PS utilise les bonnes vieilles recettes : il trouve un bouc émissaire de l’autre côté de la frontière linguistique, la N-VA, et ensemble, ils jouent aux meilleurs ennemis. Ce comportement du PS a contribué à faire grandir la N-VA. Je le dénonce.
Si la N-VA caracole dans les sondages, c’est donc la faute au PS ?
Ce n’est pas le seul facteur. Mais c’est un des facteurs, bien sûr. La N-VA prospère en faisant la démonstration que le PS constitue un frein pour des réformes nécessaires. D’ailleurs, tous les partis flamands partagent ce point de vue, y compris le SP.A. Le PS est isolé, dans une situation délicate, obligé de mettre en oeuvre un accord de gouvernement de centre-droit. Je comprends son mal-être. Raison pour laquelle je pardonne à Paul Magnette son agressivité. Si ses déclarations absurdes au sujet du MR permettent de ramener un peu de sérénité au PS, ça ne me gêne pas plus que ça… Tant qu’Elio Di Rupo et Laurette Onkelinx continuent à mettre loyalement en oeuvre un accord de centre-droit, c’est l’essentiel.
ENTRETIEN : FRANÇOIS BRABANT
» Le MR est en train de gagner la bataille des idées »
» Chaque fois qu’il y a des réseaux d’influence secrets ou discrets, la démocratie est perdante »
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