L’Amérique s’empêtre, l’Europe se réunit

Ce n’est pas seulement grâce à l’Espagne que l’Europe se ressaisit. Sans la bévue de José Maria Aznar, sans sa tentative d’imputer les attentats de Madrid à ETA, sans la soudaine victoire que cette maladresse a donnée aux socialistes espagnols, les choses, c’est vrai, ne seraient pas allées aussi vite.

La Pologne ne se serait pas retrouvée seule opposante au projet de Constitution qui sera, maintenant, adopté sous deux mois. Le rapport des forces entre adversaires et partisans de l’intervention américaine en Irak ne se serait pas si rapidement inversé. Ces deux lignes de fracture européennes n’auraient pas été suffisamment érodées pour que le jeu se rouvre dans l’Union.

Sans la nouvelle donne espagnole, il aurait fallu plus que ces quelques journées pour que l’Europe retrouve sa dynamique mais, au-delà de ce déclic, c’est la déroute de la Maison-Blanche qui aura resserré les rangs européens, car, pour George Bush, rien ne va plus.

Pris entre les exigences contradictoires des Kurdes, des chiites et des sunnites, il ne sait plus comment faire pour annoncer à la date prévue, le 30 juin, avant le début de la campagne présidentielle, que la souveraineté irakienne repasse aux Irakiens. La procédure qui permettrait la désignation d’un gouvernement provisoire n’est toujours pas définie. Les dignitaires chiites maintiennent leur opposition aux principes constitutionnels établis sous égide américaine et, pendant ce temps-là, John Kerry s’installe en tête des sondages tandis que George Bush est vilipendé par ses anciens collaborateurs.

En décembre, c’était son ancien secrétaire au Trésor, Paul O’Neill, qui le dépeignait comme un  » aveugle dans une pièce remplie de sourds « . Puis ce fut David Kay, chef des inspecteurs américains en Irak, qui démissionnait en déclarant qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive à chercher puisqu’il n’y en avait pas à trouver. Cela faisait déjà beaucoup, mais c’est maintenant l’ancien responsable de la lutte antiterroriste à la Maison-Blanche, Richard Clarke, qui s’est fait procureur. A l’entendre, et on l’entend beaucoup dans la presse américaine, George Bush aurait sous-estimé la menace d’Al-Qaida avant le 11 septembre et se serait ensuite focalisé sur l’Irak au détriment du démantèlement des réseaux islamistes.

A Washington, à Madrid évidemment, mais également à Rome et à Varsovie, les plus proches alliés de la Maison-Blanche prennent leurs distances et la crédibilité internationale de l’Amérique en est mise en doute.

Ce n’est pas une bonne chose. C’est exactement ce que faisait craindre l’aventure irakienne, et, comme la politique a horreur du vide, l’Europe non seulement s’attelle à un compromis institutionnel mais coordonne ses efforts au Kosovo, cherche une réponse commune au défi du terrorisme et fait taire ses divergences.

L’Amérique dans l’impasse, l’Europe unit ses forces et Washington amorce une reprise du dialogue transatlantique. D’un mal sort un bien.

Bernard Guetta

Au-delà de la nouvelle donne espagnole, c’est la déroute de la Maison-Blanche qui aura resserré les rangs européens

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