L’Allemagne sort du nucléaire Et nous ?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

La décision du gouvernement Merkel d’abandonner la production d’énergie nucléaire aura des conséquences environnementales, économiques, commerciales. Que va faire la Belgique de ses 7 réacteurs dont les trois les plus anciens avaient reçu, en 2009, un sursis de dix ans. Toutes les clés pour comprendre un débat sur notre avenir énergétique complètement relancé par le tsunami japonais et le cauchemar de Fukushima.

QU’A DÉCIDÉ LE GOUVERNEMENT ALLEMAND ?

Le gouvernement d’Angela Merkel a annoncé une sortie progressive du nucléaire d’ici à 2022. Les sept plus anciennes centrales du pays avaient déjà été fermées juste après l’accident de Fukushima, au Japon. Une huitième suivra en 2013. Six autres subiront le même sort en 2021 et les trois dernières, en 2022. La sortie du nucléaire outre-Rhin avait été planifiée dès 2000 par le gouvernement du chancelier Gerhard Schröder.

QUELLE EST LA PART DE L’ÉNERGIE PRODUITE EN ALLEMAGNE DANS LES CENTRALES NUCLÉAIRES ET LA PART ASSURÉE PAR DES ÉNERGIES ALTERNATIVES ?

Quelque 22 % de l’électricité sont d’origine nucléaire en Allemagne et 18 % proviennent de modes de production verts. Le gaz, essentiellement importé de Russie, et le charbon viennent en appoint. Quelque 43 % de la production d’électricité allemande sont encore obtenus par la houille et le lignite, très polluants, mais leur part dans la production totale devrait tomber à 10 % environ en 2050.

COMMENT LE GOUVERNEMENT ALLEMAND PRÉVOIT-IL DE COMPENSER LA PART D’ÉNERGIE D’ORIGINE NUCLÉAIRE ?

A long terme, il mise sur une solution mixte composée d’énergie de source éolienne, d’hydraulique et de géothermie. De l’énergie (hydraulique, biomasse et solaire photovoltaïque) sera également importée, à hauteur de 20 %, d’ici à 2050. A cette échéance, les énergies renouvelables devront représenter 80 % de la production.

ET À PLUS COURT TERME, C’EST-À-DIRE D’ICI À 2022 ?

La solution de relais du nucléaire proviendra de centrales de cogénération de gaz et de nouvelles centrales turbines gaz vapeur. De l’électricité sera aussi importée de France : ainsi, au mois d’avril, après l’arrêt des sept premiers réacteurs allemands, la France y a exporté 43 % de plus qu’en avril 2010.

QUE REPRÉSENTE LE SECTEUR DES ÉNERGIES RENOUVELABLES DANS L’ÉCONOMIE ALLEMANDE AUJOURD’HUI ?

Les entreprises allemandes actives dans ce secteur emploient environ 367 000 personnes, contre 160 000 en 2004. Celles qui se sont spécialisées dans le photovoltaïque ont exporté leurs matériaux et compétences pour quelque 5,6 milliards d’euros en 2009, alors que leur chiffre d’affaires ne dépassait pas 273 millions d’euros en 2005. L’an dernier, sur le seul marché allemand, près de 26,6 milliards d’euros ont été investis dans les énergies renouvelables, dont la plus grosse partie pour l’installation de panneaux solaires.

QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DE CE CHOIX GOUVERNEMENTAL À COURT TERME ?

Dans un premier temps, les émissions de gaz à effet de serre augmenteront en Allemagne. Son indépendance énergétique marquera forcément le pas, une partie de son électricité lui étant notamment fournie par la France. L’Hexagone sera renforcé dans son rôle d’exportateur d’électricité majeur, au sein de l’Union européenne. Au point que Laurence Parisot, la présidente de la fédération patronale française, a estimé que cette décision pourrait constituer  » une chance  » pour les entreprises industrielles françaises par rapport à leurs concurrentes allemandes.

ET SUR LE PLAN JURIDIQUE ?

Les quatre grands producteurs allemands d’électricité (E. ON, RWE, ENBW et Vattenfall) ne comptent pas en rester là. RWE, confrontée à la fermeture contrainte de deux de ses réacteurs, s’est déjà pourvue en justice tandis qu’E. ON s’apprête à engager des poursuites judiciaires contre le maintien de la taxe sur le combustible nucléaire. Le gouvernement allemand avait en effet décidé, l’an dernier, de prolonger la vie de certaines centrales en échange d’une taxe qui devait lui rapporter 2,3 milliards d’euros. La sortie du nucléaire a, depuis lors, été décidée, mais la taxe a été maintenue. Or les énergéticiens concernés considèrent que leurs bénéfices après impôts devraient chuter de 30 % l’an prochain, du fait de l’abandon du nucléaire.

QUELS SONT LES AUTRES PAYS D’EUROPE QUI SE PASSENT DU NUCLÉAIRE ?

L’Autriche, depuis 1978. En Suisse, le Conseil fédéral vient de décider de sortir du nucléaire d’ici à 2034. Cette décision devrait avoir pour conséquence une augmentation des prix comprise entre 15 et 60 %. Les 5 réacteurs du pays assurent 40 % de la production. Après la catastrophe de Tchernobyl, en 1987, l’Italie avait également décidé, à l’issue d’un référendum, de tourner le dos à l’atome.

OÙ EN EST-ON EN BELGIQUE ?

La loi de 2003, votée par le gouvernement arc-en-ciel, prévoit la sortie progressive du nucléaire : entre 2015 et au plus tard 2025, c’est-à-dire dès que les centrales atteignent leur 40e anniversaire. Cette loi ne s’est toutefois accompagnée de pratiquement aucune mesure de préparation à la transition vers le non-nucléaire. A ce jour, la politique énergétique du pays n’est d’ailleurs toujours pas précisée. De la même manière, la Belgique ne dispose pas de l’avance prise par l’Allemagne en matière de recherche et de maîtrise de la production d’énergie par des technologiques vertes. Autrement dit, il ne serait pas possible de fermer à court terme les centrales belges sans recourir à des centrales turbines-gaz-vapeur, plus polluantes que les unités nucléaires, ou sans importer de l’électricité.

A la fin de 2009, le gouvernement, s’appuyant sur le rapport du Gemix (lire ci-dessous), a conclu avec GDF Suez Electrabel un accord de prolongation des 3 plus anciennes centrales (Tihange 1, Doel 1 et Doel 2) : censées fermer leurs portes en 2015, elles voyaient le couperet reculer jusqu’en 2025. En échange, Electrabel s’engageait notamment à verser une contribution comprise entre 215 et 245 millions d’euros au budget de l’Etat, à investir au moins 500 millions d’euros dans les énergies renouvelables et à recruter environ 10 000 personnes d’ici à 2015. Depuis lors, cet accord a été remis en cause, le montant de cette contribution est rediscuté et le statut du gouvernement, en affaires courantes, ne permet pas d’y voir plus clair pour l’instant.

SUR QUELLES BASES CET ACCORD DE 2009 AVAIT-IL ÉTÉ CONCLU ?

Ce sont les experts du groupe Gemix, chargés de tracer les concours de la politique d’approvisionnement en énergie du pays d’ici à 2020, qui avaient conclu à la nécessité de retarder de dix ans la fermeture des réacteurs nucléaires Doel 1, Doel 2 et Tihange 1.  » Les objectifs que doit atteindre notre pays en matière de réduction de la consommation et de développement des énergies renouvelables à l’horizon 2020 ne suffisent pas à combler le déficit de production dans le cas où ces trois réacteurs devraient être fermés en 2015 comme prévu par la loi « , pouvait-on lire dans leur rapport final. Ce qui avait fait s’étrangler de rage les écologistes, à la base de la loi de 2003.  » Le ministre de l’Energie Paul Magnette a commandé des conclusions, pas une étude « , avaient lancé les verts, pour qui changer la loi de sortie du nucléaire sur des bases aussi fallacieuses  » relève du sabotage, si pas de la forfaiture « .

Le rapport du groupe Gemix doit aujourd’hui être réactualisé, à la demande du ministre Magnette.

QUELLE EST LA PART D’ÉLECTRICITÉ PRODUITE PAR LES CENTRALES NUCLÉAIRES EN BELGIQUE ?

Environ 55 %. La Belgique compte 7 réacteurs, installés sur les sites de Doel et Tihange. En Europe, cette part est de 30 %.

LA POPULATION BELGE EST-ELLE FAVORABLE À UNE SORTIE DU NUCLÉAIRE ?

Selon un sondage express réalisé par La Dernière Heure, le  » non  » l’emporte à 51,1 %, parmi les 4 852 votes enregistrés. Résultat similaire du sondage sur site réalisé par Le Vif/L’Express sur Internet : 52 % des répondants refusent qu’on ferme, dès 2015 comme initialement prévu, les trois plus vieux réacteurs du pays (voir notre nouveau sondage en page 113).

Par ailleurs, une pétition lancée par Greenpeace, exigeant un abandon des outils de production nucléaires belges, a, pour l’instant, été signée par 75 000 personnes.

FAUT-IL S’ATTENDRE À UNE AUGMENTATION DE LA FACTURE DES CONSOMMATEURS, DU FAIT DE LA SORTIE DU NUCLÉAIRE DÉCIDÉE EN ALLEMAGNE ?

La hausse de prix ne viendra pas tant du changement de mode de production de l’électricité que des investissements très lourds à consentir dans la construction et l’adaptation du réseau de transport d’électricité, local ou de haute tension. Selon la Commission européenne, rien que pour les lignes à haute tension, 140 milliards d’euros devraient être investis au sein de l’Union d’ici à 2020. Or ce surcoût devrait logiquement être répercuté sur la facture finale des consommateurs… Certains experts avancent dès lors une augmentation de prix pouvant aller jusqu’à 30 % en Allemagne.

En Belgique, la Creg (Commission de régulation pour l’électricité et le gaz) a calculé qu’en cas d’arrêt des réacteurs de Doel 1, Doel 2 et Tihange 1 en 2010 – hypothèse de travail – la facture annuelle du consommateur aurait augmenté de 4 %. En supposant un arrêt de toutes les centrales belges, le surcoût annuel serait de 19 %.

COMMENT LES MARCHÉS FINANCIERS ONT-ILS RÉAGI À LA DÉCISION ALLEMANDE ?

Au lendemain de l’annonce du gouvernement d’Angela Merkel, ce sont les actions des entreprises allemandes actives dans l’industrie nucléaire qui ont été les plus bousculées : à la Bourse de Francfort, les titres des deux énergéticiens allemands E.ON et RWE ont ainsi perdu respectivement 2,30 % et 1,73 %. Les actions des sociétés actives dans le secteur des énergies renouvelables étaient, en revanche, notées en hausse.

Laurence Van Ruymbeke

Le manque d’énergies renouvelables avait justifié

la prolongation des 3 vieux réacteurs

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