L’AFRIQUE AU CoeUR
Pendant qu’en Europe nous nous disputons sur des sujets souvent dérisoires, en Afrique, loin des caméras et des diplomates, s’éternise l’un des conflits les plus meurtriers depuis 1945 : la guerre civile, en République démocratique du Congo, en particulier au Nord-Kivu, qui a déjà fait près de 8 millions de morts depuis 1998.
Là se jouent le sort de l’Afrique et, par ricochet, celui de l’Europe. Si ce conflit s’éternise encore, comme il est vraisemblable, toute l’Afrique sera durablement plongée dans le chaos. S’il cesse, le plus vaste pays francophone du monde peut, avec le Nigeria, entraîner l’ensemble du continent dans un cercle vertueux.
Dans ce pays de 66 millions d’habitants, grand comme quatre fois la France, disposant de toutes les matières premières, dont 30 % des réserves mondiales de diamants et, dans sa province du Kivu, de 70 % des réserves mondiales de coltan (élément du tantale, métal essentiel pour la fabrication des téléphones portables et des condensateurs utilisés dans tous les réacteurs, des missiles aux satellites), la pauvreté touche plus de 90 % de la population et les guerres civiles se succèdent.
Après les troubles qui ont secoué la province du Katanga, riche de tout, réclamant en vain, dès 1960, son indépendance, jamais la paix n’est vraiment revenue : en 1994, les massacres au Rwanda provoquent l’arrivée de milices hutues au Kivu, région frontalière du Rwanda et de l’Ouganda, et la chute, en 1997, du président Mobutu, dictateur en place depuis la naissance du pays. En novembre 1999, un accord entre la RDC, l’Ouganda et le Rwanda met en place une mission militaire des Nations unies, la Monuc, devenue depuis Monusco, qui compte aujourd’hui 22 000 hommes et mobi-lise 20 % des moyens dont dispose l’ONU pour les opérations de maintien de la paix.
Cela n’a rien stoppé : au Nord-Kivu, des dizaines de groupes rebelles aux origines ethniques, nationales et politiques différentes, certains soutenus en sous-main par l’Ouganda et le Rwanda, s’entre-déchirent. En particulier, en avril 2012, des rebelles tutsis, réintégrés dans l’armée régulière en 2009 après un illusoire accord de paix, lancent un nouveau mouvement très violent, baptisé M 23. Son écrasement en cours par la Monusco – qui dispose d’un mandat plus offensif et de brigades d’intervention -, et en particulier la libération de la ville de Goma, ne suffira pas à mettre fin à la guerre. En effet, une quarantaine d’autres milices, qui contrôlent l’exploitation et la vente des ressources minières, prospèrent dans la région ; elles sont hutues, tutsies, maï-maï et autres, se nomment parfois Forces démocratiques de libération du Rwanda ou Armée nationale pour la libération de l’Ouganda. On trouve en leur sein des mercenaires islamistes d’Al-Shabaab et des milliers d’enfants-soldats. Dans l’indifférence générale, elles multiplient meurtres, viols et mutilations.
La proposition du président congolais Kabila d’une amnistie pour tous ceux qui se rendraient est insuffisante, car les milices se nourrissent des trafics des immenses richesses du Kivu, si essentielles au monde. La guerre menace maintenant entre le Congo et le Rwanda, et des millions de morts supplémentaires s’annoncent à l’horizon.
Pour l’éviter, il faudrait que tous les groupes armés déposent les armes, qu’un Etat congolais reconstruit reprenne le contrôle de l’exploitation et de la vente des ressources minières, qu’une paix soit réellement établie entre le Congo, le Rwanda et l’Ouganda, enfin qu’un vrai processus démocratique s’installe dans tous les pays de la région. Nous en sommes très loin.
L’Europe ne peut pas se contenter de l’action militaire de l’ONU, qui donne à chacun un prétexte pour ne plus s’en occuper. Parce que notre avenir se joue là-bas, et que, comme le montre tous les jours ce qui se passe à nos frontières, le destin de l’Afrique la plus australe et celui de l’Europe la plus septentrionale sont intimement liés.
par Jacques Attali
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici