La Ville et le Sporting, ce drôle de couple

Guy Verstraeten
Guy Verstraeten Journaliste télé

Descente en Division 2, démantèlement du stade, litige sur la convention d’occupation : il se passe toujours quelque chose dans le foot carolo. Mais, en ce moment, la situation est particulièrement chaude.

Elle a dit quoi, Madame Colicis, quand vous l’avez rencontrée ?  » s’enquiert le président du Sporting de Charleroi, Abbas Bayat. Ce qu’elle a dit ? Textuellement :  » Les relations entre la Ville et le club sont normalisées, mais fragiles. Comme un couple qui se retrouve après s’être séparé.  » Et l’homme d’acquiescer, globalement. Son club vient de basculer en Division 2, après une saison chahutée. Les Zèbres ne l’avaient plus quittée depuis 1985. C’est dire le traumatisme que cette descente provoque chez les supporters qui, en protestation, ont organisé plusieurs marches funèbres.  » La gestion des dix dernières années nous permet d’envisager sereinement une année en division 2. Si on y reste, il faudra réfléchir. Mais il n’existe aucune possibilité que le club disparaisse, tombe en faillite ou perde sa licence « , assure l’homme d’affaires iranien, débarqué au club en 2000, quand la situation financière du Sporting battait largement de l’aile.

Quand on lui demande si lui-même risque de quitter le navire, Abbas Bayat se veut là aussi rassurant :  » Le Sporting est une société anonyme et nous la gérons comme n’importe quelle entreprise. Nos actionnaires toucheront leurs dividendes quand on vendra le club.  » Un club revenu en positif depuis plusieurs années.

Au tournant du siècle, histoire de séduire les investisseurs potentiels, la Ville met sur la table un bail ultra-avantageux pour l’occupation d’un stade à peine rénové et gonflé à 30 000 places en vue de l’Euro 2000 : le loyer s’élèverait à 1 euro par an sur 30 ans. Mais, pour des raisons fiscales, cette convention va devoir être adaptée en janvier 2003. Un nouveau document est alors rédigé, porté par l’échevin des Sports Claude Despiegeleer (PS). Une convention qui, aujourd’hui, suscite la polémique et risque d’envoyer les deux parties devant un juge.  » Cette convention non exclusive n’est pas bien rédigée et est soumise à interprétation, affirme l’échevine des Sports, Ingrid Colicis (PS). Comme d’habitude avec les héritages qu’on a reçus de l’ancienne gestion sportive, cette convention pourrait bien être caduque. Les juristes l’étudient attentivement. En 2003, Despiegeleer a dit à la famille Bayat qu’il fallait rédiger un nouveau contrat pour pouvoir récupérer la TVA sur la construction du nouveau stade. Abbas Bayat prétend que « Despi » lui aurait assuré qu’il pourrait continuer à bénéficier du stade gratuitement. Mais, dans la convention, il est écrit clairement qu’un loyer de 45 000 euros doit être payé trimestriellement par le Sporting. Et c’est ce « trimestriellement » qui pose question aujourd’hui.  » De fait : fallait-il payer 45 000 euros tous les trois mois ou s’acquitter tous les trois mois d’une tranche de ces 45 000 euros ?

Les mots de la convention, que nous nous sommes procurée, sont les suivants :  » Le droit non exclusif d’occupation et d’exploitation du Stade du Pays de Charleroi accordé à la SA Sporting […] donne lieu au paiement des sommes suivantes : 45 000 euros au titre d’indemnité d’occupation non exclusive et d’exploitation, payable – trimestriellement – et anticipativement, sur le compte…  » Selon Abbas Bayat, la Ville aurait promis de compenser, notamment en subsides, les 45 000 euros  » annuels  » qu’elle lui réclamait désormais.  » On a payé ce loyer jusqu’au moment où ils ont commencé à faire pression sur nous. Et à l’inverse, nous avons dû résoudre des problèmes sur nos propres fonds, alors qu’ils étaient notamment à la charge de la Ville.  » Depuis 2008, le club ne paierait plus ses loyers.

L’alinéa suivant, dans la convention, mentionne les charges courantes (eau, électricité, gaz), qui font appel, de leur côté, au portefeuille de la Ville.  » C’est la Ville qui paie les frais énergétiques. On va finir par aller un jour au tribunal, même si, pendant deux ans, on a privilégié l’arbitrage. Il faut savoir que l’existence du Sporting coûte plus de 1 million d’euros par an au service des Sports « , poursuit Ingrid Colicis. Le litige avec le Sporting porte sur 2 millions d’euros. Une paille quand on compare cette somme à ce que la Ville devra débourser pour la déconstruction du stade et pour les astreintes qui risquent d’en résulter.

Et le nouveau stade ?

En vue de l’Euro 2000, l’enceinte carolo avait en effet subi d’importants travaux d’agrandissement destinés à la mettre en conformité avec les normes de l’UEFA. Une transformation que n’ont jamais acceptée une série de riverains combatifs. Aujourd’hui, la Ville prépare le cahier des charges pour la déconstruction du dessus des tribunes 2 et 4, sans compter le dessus ou la totalité de la tribune 3.  » L’action des riverains est au tribunal de première instance de Liège. Le dénouement approche. S’ils obtiennent gain de cause, on devra procéder à la déconstruction et on sera frappé d’une astreinte de 55 000 euros par jour de retard. La déconstruction va coûter 10 millions d’euros à la Ville. Sans compter ce qu’il faudra rembourser à la Région, et les astreintes. En tout, on risque de se retrouver à 25 millions d’euros pour une seule mauvaise décision « , regrette l’échevine des Sports.

Sur la question du stade, Abbas Bayat se veut on ne peut plus expéditif :  » Nous n’avons aucune exigence à cet égard. Ce qui compte, pour nous, c’est d’avoir un stade qui réponde aux normes du football rémunéré.  » Peu importe donc que le Stade du Pays de Charleroi soit ramené à 15 000 places. Peu importe aussi si le stade est reconstruit à Marchienne-au-Pont, sur le site d’AMS-Nord, comme il a été décidé depuis l’arrêt du Conseil d’Etat. La  » Porte des Sports  » est sur les rails, mais le terrain doit encore être dépollué, ce qui n’a rien d’une sinécure.

De leur côté, les installations de l’école des jeunes, décriées un peu partout dans les médias, bénéficient enfin d’un vrai traitement de faveur. Le site de Marcinelle, où jouent les jeunes, est en travaux :  » Il fallait absolument faire quelque chose. Quand on tournait les robinets, les douches étaient tièdes. Par contre, l’eau des chasses, aux toilettes, était bouillante !  » confie Ingrid Colicis. Au grand soulagement d’Abbas Bayat :  » On va peut-être enfin recevoir des installations dignes de ce nom pour notre école des jeunes.  » Reste à voir si la descente en D2 va influer sur les désaffiliations de jeunes désireux de jouer au plus haut niveau. Le président assure que ses meilleurs poulains sont déjà encadrés par des contrats. Et si le Sporting veut reconquérir l’élite, il risque forcément de devoir compter tôt ou tard sur des jeunes performants.  » La Ville doit admettre que Charleroi a besoin d’un club en Division 1. Elle doit nous rendre la vie plus facile que difficile. A l’époque de Despiegeleer, il ne faut pas croire que la Ville nous traitait bien : dès que le club s’est sorti du rouge, on a voulu nous évincer. Ils ont tout fait pour que j’abandonne le club. Aujourd’hui, nous avons la volonté de travailler de manière ouverte et proactive avec la Ville « , note encore Abbas Bayat, en réso- nance aux propos d’Ingrid Colicis, pour qui  » c’est fini le bling-bling, fini l’époque où le Sporting était le club favori. Quand on investit pour le Sporting, on investit aussi pour les autres « . Un vrai couple, un drôle de couple…

GUY VERSTRAETEN

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