la vie privée de plus belle la vie

Pour suivre l’élaboration d’une semaine de diffusion, depuis l’écriture du scénario jusqu’au tournage des épisodes, Le Vif/L’Express s’est invité dans les coulisses de la série à succès de France 3 également diffusée sur la Deux.

Résumé des 1 310 épisodes précédents. Yvan a-t-il tiré sur Patricia ? Sonia est-elle sensible au militantisme de Pablo ? Une peluche peut-elle tout gâcher ? C’est vrai, la troisième question est un peu sibylline. Pour le reste, il semble que ce soit clair : ainsi va le monde de Plus belle la vie, feuilleton quotidien qui attaque fièrement sa sixième saison sur France 3, poussé par plus de 5,5 millions de spectateurs chaque soir. Ce qui fait du monde.

Les raisons du succès ont été battues et rebattues depuis des lustres.  » Marier plusieurs intrigues, plaire à des publics différents et de tous âges, refuser le mot d’auteur, jouer la simplicité « , résume le scénariste Frédéric Krivine (PJ), £il extérieur à la série et observateur attentif des m£urs télévisuelles. Ou, vu de l’intérieur par Hubert Besson, patron de Telfrance série, producteur de Plus belle la vie et à l’origine du concept :  » 80 % de travail, 20 % de miracle. « 

Mais, au Vif/L’Express, on ne croit pas trop au miracle. Davantage au travail. Alors, on s’est invités dans les coulisses de Plus belle la vie (PBLV) pour voir comment la production réussit à multiplier les téléspectateurs, à transformer les aventures du quartier du Mistral en phénomène de société et à marcher sur les sables mouvants du succès. Et il nous est apparu, on vous le dit, que cet avènement dans le monde impitoyable de la télé est autant dû à la qualité, réelle, de ce que chacun peut voir à l’écran, qu’à l’infrastructure mise en place en amont, sorte d’usine à gaz huilée de frais, de l’écriture au montage, et qui, chaque jour, à Paris et à Marseille, emploie entre 100 et 130 personnes. Une première à la télé française.

L’idée : suivre l’élaboration d’une semaine de PBLV. Cinq épisodes, diffusés du lundi 28 septembre au vendredi 2 octobre 2009. 85 séquences à écrire, autant à tourner en cinq jours. Deux tiers en studio, un tiers en extérieur. Partant de la sentence de Philippe Carrese, l’un des réalisateurs attitrés :  » On est tous conscients de ce que l’on fait. Ce n’est pas Le Roi Lear, mais un programme populaire de flux. Et pour y arriver, il faut mettre en place un processus industriel à l’intérieur duquel il y a suffisamment de liberté pour faire vivre le feuilleton.  » C’est dit.

Jeudi 18 juin 2009, 13 heures, à Paris. Réunion  » séquencier « . Il s’agit de trouver la trame des cinq épisodes de la semaine, chacun étant découpé en trois parties : l’intrigue principale, souvent policière, qui s’étale environ sur deux mois avant d’être remplacée par une autre, et deux intrigues secondaires, d’une durée variable, l’une centrée sur un fait de société (adoption, mariage blanc, délocalisationà), l’autre nourrie par les histoires personnelles des personnages récurrents de la série. Ce sont ces trois intrigues qui, quotidiennement, répondent à trois questions, celles posées au début de cet article. Il était exclu de vous laisser dans le brouillard.

Et on vous passe, pour éviter la sur-consommation d’aspirine, les réunions bisannuelles avec la chefferie de la chaîne et de la production, pour cogiter sur les longues histoires, les  » arches « , et sur les évolutions des héros. Lors de ces symposiums, par exemple, a été décidé que Samia devait entrer dans la police ou que Benoît – attention c’est un scoop, retenez votre respiration – ira bientôt en prison. Cela dit, c’est bien en ce jeudi 18, dans cette salle où s’échangent des phrases comme  » Mirta a une B et c’est la plus drôle « , que l’on s’est mis à entrevoir que ce bouillonnement très structuré était l’une des clés du succès. Hypothèse vérifiée par la suite.

Georges Desmouceaux, le directeur de collection, qui a déjà brossé les grandes lignes du scénario, a réuni ses troupes. Sept personnes, dont Pierre Monjanel, l’auteur référent, responsable de la semaine en question. La discussion s’installe. A 13 h 45, les auteurs s’enferment par groupes pour travailler une des intrigues. Quatre heures plus tard, chacun y va de son histoire. Palabres. Corrections. Amendements. Une fois les détails réglés, les scénaristes ont cinq jours pour rendre leur copie.  » Ce type d’organisation et d’échan-ges permet d’être très réactif, explique Georges Desmouceaux. L’auteur doit être rapide, curieux et avoir beaucoup d’idées.  » Le séquencier est validé par Georges Desmouceaux et Pierre Monjanel le mercredi, envoyé, le jeudi, à France 3, à la production et au  » plateau  » marseillais, qui ont jusqu’au lundi suivant pour faire leurs remarques.

Lundi 29 juin, 13 heures, à Paris et, en téléconférence, de Marseille. Tout est remis à plat. Jour par jour, scène par scène. Les remarques sont discutées, les problèmes tranchés.  » Samia et Boher vont-ils coucher ensemble ou pas ?  » Là, désolé, même Le Vif/L’Express n’a pas la réponse et, pourtant, elle agite le fan. Mais il semble qu’entre la production et la chaîne, à l’affût des désirs des internautes sur le site de PBLV, les avis divergent. Une heure plus tard, réunion avec les cinq dialoguistes, qui ont déjà fourni une première version de la semaine. Même motif, même punition. Discussion. Affinage. Calage. Ecriture de la version 2. Livraison mi-juillet.

A Marseille, la production prépare le tournage – décors, accessoires, costumes, repérages extérieurs – qui aura lieu la semaine du 17 août. Les comédiens reçoivent le scénario. Et commencent à travailler avec Richard Guedj, le directeur d’acteurs.  » Ce n’est pas du Shakespeare, mais le texte a son poids, souligne-t-il. Ici, personne n’a le temps d’avoir des caprices. Vie monastique de rigueur. L’idiot est un mauvais acteur.  » Toma de Mattéis, le directeur artistique, décortique les intrigues. Il vérifie la cohérence des épisodes et la faisabilité des scènes :  » Si je lis : « Seul, la nuit, face à la mer, il pense à son fils », je dis non. Mais si je lis : « Il est midi, machin parle de son fils à son copain », je dis oui. Il faut toujours chercher des solutions, jamais les coupables. Entre compliments et critiques, faire régner la bonne humeur est fondamental. « Jeudi 20 août, Marseille. La Friche de Mai, derrière la gare Saint-Charles. A l’étage, les bureaux de la production. Planning des tournages, salles de montage et de mixage. Dans l’une d’elles, l’épisode 1 299 se peaufine. Il faut inverser deux séquences en catastrophe. La scène finale est trop faible, la précédente ferait un meilleur  » cliff « , c’est-à-dire un point de tension, qui donne envie de regarder l’épisode du lendemain. C’est le but. A chaque fois. Et là, ça urge.

Au rez-de-chaussée, les plateaux. D’un côté, les petits décors. De l’autre, sonnez trompettes et résonnez clairons, celui du quartier du Mistral, son bar et son hôtel, devenus célèbres même hors des frontières depuis que l’International Herald Tribune et The Independent ont consacré un article à PBLV. Plus loin, la menuiserie. La régie. Le hangar à accessoires. Les loges. La salle des costumes. La cantine. La laverie. La salle de sport. Et une assistante qui passe en patins à roulettes.

14 h 05. Tournage de la scène 1311/09. Int. Jour. Select Hôtel. Réception : midi. Comédiens : Valérie Baurens (Agathe) et Julien Oliveri (Maxime). Le réalisateur Philippe Carrese est à la man£uvre. Mise en place des mouvements de caméras, deux fixes et une portée. Les dialogues ont déjà été travaillés entre les acteurs et le  » coach « . 14 h 15 : première prise. La scène dure une minute trente. A la régie, Philippe Carrese monte en direct en choisissant parmi les trois images laquelle il retient. Du beau boulot.  » Le secret, c’est qu’il y a le nombre de gens qu’il faut, là où il faut « , dit-il. A 14 h 34 et après sept prises, la scène est pliée. Dix-neuf minutes chrono. Mieux que Jack Bauer. A 15 h 06, Philippe Carrese entame le tournage de la suivante, avec d’autres comédiens. Un quart d’heure plus tard, c’est fini. Etc. Etc. Etc. Les comédiens alignent leur texte. Les techniciens déroulent. Et, pendant ce temps-là, dans les locaux désaffectés de l’usine de pâtes Rivoire & Carret, une autre équipe met en boîte les séquences extérieures.

Extinction des feux à 19 h 30. Dehors, les fans attendent. Bises et autographes.  » On s’y est habitués, souligne le comédien Pierre Martot. Cela fait partie de l’extraordinaire aventure humaine que l’on vit depuis cinq ans. Un jour, une dame me demande si je suis bien Léo Castelli. Je lui réponds non, que je suis celui qui l’interprète. La dame me dit alors : « C’est dommage car vous lui ressemblez beaucoup. » « 

Il faut avouer, ici, qu’on était plutôt fan de Plus belle la vie, au moins épaté par son succès et par la qualité du produit fini, eu égard aux contraintes de productivité. A voir comment la machine fonctionne, c’est encore plus épatant.  » Mais on ne doit pas s’endormir, reprend Hubert Besson. Cette saison, une nouvelle famille devrait arriver. Et l’année prochaine, le chantier concernera la réalisation. On doit être plus créatif sur ce plan-là. Au début, on a posé les codes, maintenant on les maîtrise ; dans l’avenir, il faudra savoir les retravailler.  » La plus belle la vie continue. l

par éric libiot. Reportage photo : FRANCE KEYSER POUR le vif/L’EXPRESS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire