La vie de Brian

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Brian Wilson joue Smile, le grand album perdu des Beach Boys, à Anvers. Portrait d’un ex-naufragé

DVD On Tour, chez Sanctuary/BMG, qui distribue également Brian Wilson Presents Pet Sounds Live in London. Brian Wilson présente Smile en concert le 11 mars à la salle Reine Elisabeth, à Anvers (0900 260 60, 0,45 euro/min).

Dans l’histoire du rock, il est rare que les victimes reviennent en vainqueurs. On pense à Syd Barrett, âme fondatrice de Pink Floyd, la tête minée par les mauvais acides, quittant le groupe aux portes de la gloire pour se réfugier – définitivement – chez sa mère à Cambridge. Brian Wilson, fondateur d’un des groupes séminaux des années 1960, The Beach Boys, a failli connaître ce genre de trip ultime. Sa première dépression nerveuse survient alors qu’il n’a que 23 ans : en proie à une crise de nerfs, il exige du pilote de l’avion qui l’emmène vers le sud des Etats-Unis de reprendre le chemin de Los Angeles. Maîtrisé, il finit à l’hôpital sous calmants. Brian a déjà écrit un numéro un pour les Beach Boys, I Get Around, et produit des chansons rêveuses qui se détachent du style  » surf  » des premiers 45-tours, plages, filles et voitures. En 1966, il crée Good Vibrations en dix-sept séances de studio et l’album Pet Sounds : deux chefs-d’£uvre imprégnés de mélancolie et d’harmonies douces-amères. Deux pièces essentielles de l’histoire de la pop music.

A cette période, il ne tourne déjà plus avec les Beach Boys et peut passer des journées entières sur une série d’accords au piano, à la recherche de l’ultime chanson pop. Inspiré par la compétition avec ses idoles anglaises, les Beatles, il se met à composer Smile, qu’il imagine comme une  » symphonie adolescente adressée à Dieu « . Il engage alors un jeune parolier, Van Dyke Parks, et commence à travailler de manière complètement novatrice pour l’époque, sur la matière musicale même, assemblant des effets sonores et des bribes de mélodies, demandant par exemple aux autres Beach Boys de se coucher par terre pour enregistrer les parties vocales… Dans une époque vouée au psychédélisme et aux drogues, Brian passe pour un illuminé alors qu’il est véritablement occupé à perdre la raison. L’élément perturbateur qui va stopper net le processus créatif de Smile se présente sous forme d’une visite en studio de Paul McCartney, en avril 1967. En entendant le Beatles interpréter au piano She’s Leaving Home, Wilson est à la fois ébloui par la mélodie et tétanisé par la crainte de ne jamais égaler la qualité d’inspiration de McCartney. Il arrête tout et entre dans une période de réclusion qui ne prend fin que dans la seconde moitié des années 1970.

Entre-temps, certaines chansons destinées à Smile finissent sur des disques des Beach Boys, dont la carrière est désormais en dents de scie. De temps à autre, Brian remonte à la surface publique, mais la mort, fin 1983, de son frère Dennis – il a plongé, de nuit, dans le Pacifique, chargé en alcool et en coke – lui porte un autre coup terrible. Obèse, accro à la cocaïne, Brian retourne chez un psy de choc et finit, en 1988, par sortir de sa léthargie avec une nouvelle £uvre solo, Brian Wilson. La décennie qui suit est marquée par la disparition d’un autre frère – Carl, emporté par le cancer – et d’innombrables procès et luttes fratricides qui l’éloignent définitivement des Beach Boys.

Plusieurs projets discographiques verront le jour, mais la véritable renaissance de Wilson intervient en 2000 lorsque, pour la première fois de sa vie, il part en tournée sous son nom, avec un nouveau groupe de dix musiciens et Pet Sounds comme répertoire principal. Dans le DVD On Tour qui chronique ce périple, on est frappé par la musicalité inouïe des chansons et la gloire mélodique, intacte, de God Only Knows ou de Good Vibrations. Brian, qui a perdu un rien de ses capacités vocales, semble heureux de ce retour en grâce, mais, hors scène, il a beaucoup de mal à dépasser sa rigidité émotionnelle. Il sourit peu et semble visiblement mal à l’aise lorsque certaines (ex)stars viennent le voir en coulisses. Près de quarante ans après le Smile original, Wilson fait toujours de la musique enchanteresse, mais il est clair que ses fêlures l’accompagneront jusqu’à la fin…

Philippe Cornet

 » Une manière de travailler complètement novatrice « 

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