La viande halal sur le gril

Les menus halal ont-ils leur place à l’école publique ? L’initiative de la commune de Molenbeek enflamme les esprits. Le moment est mal choisi

Pierrot se lèche déjà les babines. Le mercredi après-midi, il reste à l’école jusqu’à ce que sa maman vienne le chercher, vers 16 heures. Comme tous les jours, il prend le repas chaud à la cantine. Le mercredi, il aime bien : c’est le jour des saucisses ou des sautés de porc. Il avoue un faible pour le cochon. Ce jour-là, sa copine Fahiza, elle, emporte ses tartines : elle ne mange pas de porc. Depuis plusieurs années déjà, la viande porcine n’a plus la cote dans les réfectoires des écoles communales de Molenbeek. Elle est donc cantonnée au mercredi midi, jour où le nombre de bouches à nourrir est peu élevé. A Saint-Josse-ten-Noode, comme dans de nombreuses écoles de la capitale, les côtelettes et autres chipolatas n’entrent carrément plus à l’école publique. Personne ne s’en plaint.

Mais, voici quelques semaines, les autorités communales de Molenbeek ont décidé d’élargir l’offre des repas dans les écoles. Désormais, les élèves devraient pouvoir manger halal, c’est-à-dire la viande d’un animal tué selon les rites prescrits par l’islam. Le bourgmestre Philippe Moureaux, vice-président du PS et patron des socialistes bruxellois, aurait préféré que la décision passe inaperçue. Cet espoir de discrétion, il le nourrissait d’autant plus que lui-même n’était nullement à l’origine de cette initiative, a-t-il avoué le 8 février devant un parterre de parents  » belgo-belges  » interloqués. Il avait appris la décision par la presse ! En clair, Moureaux a été débordé par son échevin de l’Economat, Mohamed Daïf (PS), qui a introduit en douce une  » petite  » correction au contrat passé entre la commune et Sodexho, l’entreprise qui fournit les repas chauds des cantines scolaires. Depuis, Moureaux assume. Mieux, il ne voit vraiment pas où est le problème. Il ne voit pas, non plus, pour quelles raisons cette décision  » anodine  » aurait dû faire l’objet d’une discussion au conseil communal. Certes, le droit lui donne raison : le renouvellement d’un contrat de ce type ressortit à la gestion quotidienne d’une commune, et relève donc de la compétence exclusive de l’organe exécutif, c’est-à-dire du collège des bourgmestre et échevins. Au même titre, par exemple, que la modification d’un plan communal de mobilité.

Mauvaise foi

Bien sûr, Philippe Moureaux fait preuve de mauvaise foi. Pas lorsqu’il défend la décision de son échevin et invoque la tolérance et l’esprit d’ouverture envers ses citoyens de culture musulmane. Ni lorsqu’il explique qu’il n’y a aucun mal à contenter les uns à condition de ne pas léser les autres. Car, contrairement à certaines rumeurs, les petits élèves aux racines bien belges ne se verront aucunement imposer des repas halal. Philippe Moureaux est de mauvaise foi lorsqu’il feint de croire que la décision est sans importance, que le débat sur cette question ne peut être provoqué que par des êtres mal-pensants, bornés, fermés, fatalement hostiles à l’islam et partageant au moins quelques affinités avec l’extrême droite. Voire avec les militants de l’islam fondamentaliste, qui crachent toutes leurs dents contre cette initiative.  » Récupération !  » s’indigne-t-on notamment au Parti des jeunes musulmans (PJM). Les porte-drapeaux de ce courant extrémiste préféreraient, en effet, que les ouailles musulmanes bataillent pour la création d’écoles confessionnelles musulmanes plutôt que d’inscrire leurs rejetons dans des établissements communaux où ils côtoient fatalement des  » infidèles « .

N’en déplaise à Moureaux, la question de savoir s’il est opportun, ou non, d’introduire des menus halal à l’école publique reste aussi intéressante qu’importante.  » Il est honteux que la décision ait été prise en catimini par le collège des bourgmestre et échevins, en l’absence du moindre débat démocratique « , s’insurge Françoise Schepmans (MR), députée bruxelloise et conseillère communale – dans l’opposition – à Molenbeek. A Schaerbeek, où le contrat avec Sodexho court jusqu’en décembre 2006, la question agite déjà le syndicat socialiste CGSP-enseignement, qui a très clairement fait savoir son malaise devant la possible remise en cause du caractère philosophiquement neutre de l’école publique. Il n’en fallait pas davantage pour émouvoir les membres du collège. Georges Verzin (MR), échevin de la Culture, dénonce le risque d’une  » ghettoïsation accrue des écoles, à l’heure où l’on songe sérieusement à encourager davantage la mixité sociale et culturelle « . De son côté, Mohamed Lahlali (PS), échevin de l’Instruction publique, prône que l’on offre des menus de ce type aux élèves qui le souhaitent. Une position que sont loin de partager tous les élus socialistes. Dans les rangs d’Ecolo, le troisième partenaire de la majorité, les réactions sont également contrastées : entre la position du conseiller communal Mohamed El Khattabi (lequel figurera à la deuxième place sur la liste Ecolo aux prochaines élections communales), par exemple, et les autres élus, il y a davantage que des nuances. Isabelle Durant, sénatrice, secrétaire fédérale d’Ecolo et future candidate-bourgmestre dans la Cité des ânes, se demande pour sa part  » si les autorités politiques ne vont pas trop loin en faisant preuve d’un zèle particulier à l’égard d’une communauté, plutôt que de respecter la logique de neutralité tout en essayant d’offrir les meilleurs services à tous « . Le bourgmestre Bernard Clerfayt (MR/FDF) temporise, arguant du fait que la question du renouvellement du contrat avec Sodexho ne se pose pas dans l’immédiat. Son  » collègue  » bourgmestre de Saint-Josse-ten-Noode, Georges Demannez (PS), tient, quant à lui, des propos plus tranchés :  » La demande de repas halal n’existe pas dans notre commune, ou alors de façon très marginale. Et, même si elle existait, c’est un pas que nous ne sommes pas prêts à franchir.  » Yvan Mayeur, député fédéral, président du CPAS et membre du conseil communal de Bruxelles-Ville, tient les mêmes propos :  » Pas de demande, si ce n’est très marginale et émanant de groupes de pression peu représentatifs aux exigences desquels il serait irresponsable de se plier.  »

Man£uvre politique

Tous les élus opposés à l’introduction des repas halal dans les cantines scolaires n’affichent pas la même franchise. Dans les communes à forte densité de population d’origine non européenne, l’approche des élections communales (en octobre prochain), à l’occasion desquelles les étrangers hors UE résidant en Belgique pourront voter pour la première fois, peu de candidats osent exprimer ouvertement leur opinion. C’est que tous les partis courtisent plus ou moins assidûment ces nombreux électeurs potentiels, dont le vote est susceptible de bouleverser durablement les rapports de force politiques dans la capitale.

Cela dit, la majorité communale de Molenbeek a-t-elle vraiment fait de l’excès de zèle ? Ou a-t-elle simplement franchi un pas supplémentaire et bienvenu dans la voie de la tolérance ? A en juger par les réactions des directions des écoles communales molenbeekoises, la première hypothèse l’emporte.  » Jusqu’à présent, les parents n’avaient jamais réclamé la fourniture de repas halal dans notre école, observe Anne-Marie Grimmeau, directrice de l’Ecole communale n° 5, qui compte quelque 90 % d’élèves musulmans. La première demande nous a été adressée cette semaine, après la parution, dans la presse, d’articles sur le sujet. Je ne sais pas encore concrètement comment la satisfaire. Nous n’avons toujours reçu aucun avis officiel du pouvoir organisateur (NDLR : la commune ) à ce sujet.  » Même son de cloche dans les 8 autres écoles… Chez Sodexho, on confirme :  » Nous sommes prêts à fournir des repas certifiés halal, mais nous n’avons encore enregistré aucune demande en ce sens de la part des écoles molenbeekoises « , souligne Hilde Eygemans, responsable de la communication de l’entreprise.

Fallait-il, dès lors, prendre le risque de voir s’ouvrir ce débat, à une encablure du scrutin communal et dans un contexte particulièrement délicat ? En exauçant ainsi une demande inexistante, le bourgmestre de Molenbeek et son échevin de l’Economat n’instrumentalisent-ils pas une population déjà fragilisée et stigmatisée, qui n’en demandait pas tant ?

Isabelle Philippon

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