La valse des labels

Reprise de Emi par Universal, crise des supports traditionnels… Comment se présente l’avenir du CD de musique classique au moment où se profilent de grandes manouvres dans l’industrie du disque ?

E miversal, ce mot valise symbolise bien la fusion impensable de deux monstres sacrés : Universal, leader mondial de la musique enregistrée et Emi. Fusion, ou plutôt absorption du second par le premier, car Universal a annoncé le rachat de son concurrent direct.  » Nous avançons sur un terrain très mouvant… Nous n’en sommes encore qu’aux premiers pas et les étapes légales sont encore nombreuses « , prévient Alain Lanceron, président de Virgin classics et directeur de Emi classics France.

Si l’opération d’Universal réussit, que restera-t-il de l’émulation créative qui a forgé l’histoire des deux majors : la guerre des chefs et des orchestres, la rivalité des projets artistiques et des innovations technologiques… La tendance au regroupement est générale et la saine diversité n’y a pas toujours trouvé son compte. Une fois dissoute dans l’univers Sony, qu’est-il demeuré de la spécificité de CBS et de RCA ? Nostalgie des prestigieux labels Erato et Teldec vidés de leur substance sous la coupe de Warner. Alors, faut-il se lamenter sur une standardisation annoncée de l’offre de musique classique désormais concentrée dans les mains de trois majors (Universal, Warner et Sony), le tout se doublant d’une crise aiguë du marché du CD ?

La réponse n’est peut-être pas si défaitiste qu’il n’y paraît. Premier constat : il existe aujourd’hui des entreprises de production créatives qui fédèrent différents petits labels en préservant leur spécificité. Harmonia Mundi en constitue un bel exemple. L’organisation regroupe quelques pépites comme Naïve ou Mirare. En Belgique, il faut saluer le rôle déterminant de Outhere qui cornaque des labels bien identifiés tels que Zig-Zag, AEon, Alpha, Fuga Libera et Ricercar. Chacun sa niche, mais une politique éditoriale commune ! Charles Adriaenssen, président de Outhere, confirme :  » Vers l’extérieur, nous renforçons la singularité de nos labels : le baroque pour Ricercar, les liens musique-peinture pour Alpha, etc. En interne, nous repensons la répartition des produits musicaux entre chaque titre, ce qui renforce la cohérence de chaque label et crée en même temps un esprit de famille. D’autant que nous partageons une même responsabilité par rapport à la promotion de jeunes talents : tenter de leur trouver le label qui leur correspondra le mieux. « 

Le marché actuel traverse néanmoins une zone de turbulence très active.  » Avec des échecs et des succès de plus en plus imprévisibles « , ponctue Jérôme Lejeune, fondateur de Ricercar.  » Un exemple ? Notre coffret des Cantates de Noël, de Cristoph Gaupner (1683 -1760) : compositeur méconnu, interprètes de faible réputation, frein financier d’un double album, pochette pas du tout sexy… Ce fut pourtant un tabac !  »  » Nous vivons une sorte de new deal, explique Alain Lanceron, les habitudes de consommation et les supports changent. Aux Etats-Unis, il n’existe pratiquement plus de points de vente. Nous n’avons qu’un seul gros distributeur, c’est Amazone qui propose des CD en vente on line.  »

 » Mon intime conviction, se réjouit Lanceron, c’est qu’il y aura toujours de la place pour les enregistrements d’artistes suivis par leur public.  »  » L’offre n’est pas en régression et un interprète aura toujours besoin d’enregistrements pour construire sa carrière, ajoute Adriaenssen. Il faut éviter le fétichisme du support et miser sur les formes alternatives, le downloading (téléchargement à partir d’Internet) de qualité, les réseaux sociaux, la force de l’accompagnement visuel et la qualité éditoriale.  » Bref, rendre le beau livre-disque irremplaçable…

PHILIPPE MARION

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