La transparence éblouie

Guy Gilsoul Journaliste

Une première en Belgique pour la photographe japonaise Rinko Kawauchi dont les ouvres sont proposées aujourd’hui dans deux galeries bruxelloises

L’image très belle est aussi terrifiante. Ce n’est en définitive qu’un sac en plastique au fond duquel grouille, aux limites de la survie, un lot de petits et bien inoffensifs poissons rouges. L’image est belle en effet, presque trop belle. Très japonaise. Donc, aussi, un peu grinçante. Si le rouge et le blanc associés ont l’intensité légère des pétales de fleurs, la brillance des bulles à la surface de l’eau évoquent les grappes visqueuses des £ufs de poisson. Dans les autres photographies, toujours délicatement ciselées, on retrouve cette identique subtilité, que ce soit dans le rendu du spectacle d’un jet d’eau glissant d’un arrosoir vers une fleur jaune ou sur l’éclat de lumière frappant le miroir d’un rétroviseur de Mobylette. Ici, une minuscule grenouille verte s’est posée un instant sur le rose d’une si grande paume ; là, le regard plonge sur un morceau de macadam gris et une flaque de sang d’un rouge intense. A chaque fois, on retrouve la même précision émerveillée et troublante habitée par une lumière souvent trop forte, proche de l’éblouissement. Au Japon, cette manière attentive autant que méditative d’envisager le détail du quotidien relève d’une très ancienne tradition esthétique appelée mono no aware. On la retrouve dans la littérature (le style désincarné et aérien de Kawabata dans Kyoto par exemple), la peinture, le cinéma, l’architecture mais aussi la cuisine.

A leur tour, les photographies de Rinko Kawauchi (née en 1972) suspendent le temps, l’étirent dans un univers laiteux qui réunit le monde extérieur et la psyché. La première série de photographies qui la fit connaître dès 2001 à Tokyo d’abord, dans le monde entier ensuite, était intitulée Uatane. Le mot renvoie à un état mi-éveillé, mi-endormi. L’heure bleue des symbolistes de chez nous. Mais, au Japon, la douceur à la façon d’un parfum à peine perceptible s’accompagne souvent d’incisifs accents de petites violences qui vont droit aux tripes. Or tout cela participe d’une attitude très naturelle chez cette photographe :  » Je prends des photos comme je bois le thé « , confiait-elle. Avec un appareil 6 x 6 toujours à portée de main, elle attend, toujours en éveil. En réalité, ce serait même l’acte de photographier qui la mène vers des chemins imprévus (autant qu’introspectifs) dans lesquels l’échelle réelle et le temps n’ont plus rien à voir avec l’objet ou la scène qui a été photographié. Dans la galerie Meessen Declercq, on découvre une dizaine d’£uvres de 100 x 100 ainsi qu’un mur constellé par d’autres de dimensions variables. Chez Argos, des pièces (photos vidéo et slides) qui retracent dix ans de travail. Une découverte, assurément.

Bruxelles, Argos, 13, rue du Chantier. Jusqu’au 27 mars. www.argosarts.org

Galerie Meessen Declercq, 2A, rue de l’Abbaye. Jusqu’au 6 mars. www.meessendeclercq.be

GUY GILSOUL

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