La transgression Anquetil

Les amours incestueuses de l’ancien champion cycliste sont au cour des interrogations actuelles sur le désir d’enfant et les relations au sein des familles recomposées

Pour l’amour de Jacques, par Sophie Anquetil. Grasset, 197 p.

Sophie Anquetil raconte une histoire dont elle a  » toujours été fière, et même admirative « , dont elle a  » toujours eu l’impression d’être le centre merveilleux « , celle,  » magnifique « , d’un  » amour profond « , d’un  » partage incroyable « . En 1954, à 20 ans, Jacques Anquetil, fils d’un maçon cultivateur et d’une lingère de l’Assistance publique, est accueilli au domicile du Dr C., précurseur de la médecine sportive, une famille bourgeoise. Le 2 mars 1957, entre Jacques et Jeanine C., épouse de son bienfaiteur, débute une passion ravageuse. Le 2 décembre 1958, ils se marient. Mais la garde des deux enfants de Jeanine, Annie et Alain, reste à leur père. Sans droit de visite. Ceux-ci fuguent pour rejoindre le couple, et leur père, éc£uré, finit par céder, coupant tous les ponts. Jacques se comporte avec ces enfants, qui l’adorent,  » comme un papa « . Annie a 8 ans.

Le vélo remisé, Anquetil souhaite un  » enfant de [son] sang « , que Jeanine ne peut plus lui donner. Alors celle-ci  » met en £uvre  » ce qu’elle appelle  » une demande générale jamais formulée, mais présente  » : plutôt qu’à une mère porteuse, demander à sa propre fille de satisfaire le désir de descendance du maître des lieux. Annie a 18 ans. Elle est encore mineure (la majorité est alors à 21 ans). Fruit de l’arrangement, Sophie est déclarée fille de Jeanine, et non d’Annie. Mais au lieu de passer quelques nuits dans le lit de cette dernière, le temps de la mettre enceinte, Jacques y passe douze ans. Le soir de la communion de Sophie, sa mère, Annie, une fois partie, Jacques Anquetil passe la nuit avec Dominique, la femme d’Alain, frère d’Annie, qu’il a lui aussi élevé comme un papa. Il en aura un fils.

Jacques Anquetil était un héros transgressif et dominant, dans ses vies professionnelle et privée. Dormant peu, il habitait une sorte de monde organisé derrière le rideau. La transgression ne peut être jugulée que si elle est sanctionnée. Elle fut toujours récompensée, depuis la date fondatrice de la prise de la femme blonde au grand notable bourgeois. Comme le père de la horde primitive dans l’imaginaire freudien, Anquetil a possédé toutes les femmes de son clan : Jeanine, l’épouse subtilisée au mâle inattentif, sa fille, Annie, et la femme de son fils, Alain. Et il a repoussé symboliquement tous les mâles. La seule règle qu’il ne transgressait pas était celle du travail.

A trois reprises, Sophie Anquetil se défend d’être le fruit d’un inceste. Pourtant, si Jacques avait voulu divorcer de Jeanine pour épouser Annie, il ne l’aurait pas pu. En raison non d’un inceste biologique, mais d’un interdit fondé sur la proximité de parenté par alliance. Avoir des relations sexuelles avec celui que l’on a d’abord identifié et considéré comme un papa définit bien un inceste psychologique, ou moral. Et comment qualifier une situation où une enfant a pour père le mari, pour grand-mère l’épouse du mari et pour mère la propre fille de cette dernière ? Mais l’inceste n’est pas vécu comme tel, se limitant souvent au dégoût pour l’union dans le même sang. Le cas Montand est du même ordre. Les deux sont la conséquence de recompositions familiales et de la disparition du père. Ils soulignent les risques de l’ambivalence des relations familiales, dans les familles recomposées, entre beaux-parents et beaux-enfants, évoluant avec l’âge. Les questions soulevées par la vie privée de ces stars du passé sont celles de notre contemporain. S’il ne subsiste de la prohibition culturelle de l’inceste que l’interdit par le sang, la recomposition familiale ouvre sur des abîmes.

Sophie Anquetil se prévaut de l’absence de  » dégâts  » sur elle-même de la situation hors norme qui fut la sienne. Pour contrevenir aux règles sociales, sa venue ne contrariait pas, bien au contraire, le nouvel ordre procréatif en train de s’installer : celui de l’enfant du désir. En quoi elle nous montre que l’individu moderne ne saurait se sentir pleinement lui-même, c’est-à-dire désirable pour les autres, que s’il se sait avoir été le fruit du désir de ses parents, si problématique soit-il.

Paul Yonnet

L’histoire ômagnifique » d’un ôamour profond », d’un ôpartage incroyable »

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