La  » suédoise  » ne sera pas un long fleuve tranquille

Les pièges sont nombreux pour la future majorité  » suédoise « , des relents communautaires cachés de la N-VA aux réformes structurelles épineuses en passant par un budget anémique. Sans oublier le casting cornélien pour un MR jugé trop faible pour défendre les intérêts francophones.

Les négociations pour former la  » suédoise  » au fédéral reprennent en séance plénière ce lundi 18 août. Les quatre partenaires (N-VA, CD&V, Open VLD et MR) sont déterminés à former un gouvernement fédéral, si possible avant la fin septembre et l’assemblée générale des Nations unies, qui pourrait être la première consécration publique du Premier ministre annoncé, Kris Peeters (CD&V).

D’ici là, bien des pièges devront être surmontés et des balises posées pour la législature.  » Nous ne sommes pas naïfs, nous savons que ces négociations ne seront pas simples, acquiesce un négociateur francophone. Nous avons obtenu de sérieuses garanties de principe de la part de la N-VA : pas de réformes de l’Etat, une politique socio-économique de centre-droit raisonnable… Mais il reste bien des sujets délicats à aborder.  » Dans la future opposition francophone, on se frotte déjà les mains, politiquement, à l’idée de voir le MR avaler des couleuvres par dizaines, tout en étant inquiets pour l’avenir du pays.

Voici les cinq balises d’une équation périlleuse.

Budget :  » Ce sera lent et pénible  »

L’objectif est connu, coulé dans le marbre : pour rester dans les balises budgétaires européennes, le gouvernement fédéral devra réaliser 17 milliards d’économies d’ici à 2019. Une montagne. Certes, le gouvernement Di Rupo a déjà opéré un premier assainissement de 22 milliards lors de la législature écoulée. Mais ce montant global est contesté parce qu’il ne comprendrait pas que des économies structurelles, la N-VA caricaturant en citant un montant effectif de… 4 milliards, suscitant l’irritation du Premier ministre en affaires courantes.

D’autre part, on touche désormais à l’os des missions principales de l’Etat.  » Cet objectif sera d’autant plus difficile à atteindre que le taux de taxation est trop élevé dans notre pays, tous les partis l’ont reconnu durant la campagne, souligne l’économiste Etienne de Callataÿ, ouvertement candidat à un poste de ministre au sein de la future « suédoise ». Il faudra donc chercher ce montant en dépenses. Ce sera lent et pénible, surtout si on veut bien le faire. On pourrait bien sûr décider de geler les salaires ou de diminuer les pensions de 5 %, mais ce serait contre-productif.  » Il pourrait être question d’une légère augmentation fiscale, grâce à une hausse partielle de la TVA, notamment.

Mais pour le reste…  » Ce ne sera pas un gouvernement Père Noël, on le sait, lâche une autre source, proche des négociations. Il faudra être créatif. L’exemple du gouvernement flamand, qui a remis en question la gratuité des transports ou le bonus logement, montre que l’on peut toucher intelligemment à des tabous. Objectivement, ces mesures ne se justifiaient pas…  »

Réformes structurelles :  » L’emploi, priorité no 1  »

Mot d’ordre de la  » suédoise  » : démontrer que sans la gauche, des tabous tombent, de vraies ruptures peuvent être décidées pour le bien du pays. Les négociateurs ont relevé minutieusement la liste des domaines sur lesquels ils peuvent faire la différence et avancent déjà des chantiers comme la justice rapide, des mesures pour combattre le coût de l’énergie ou la relance du nucléaire.

Pour le socio-économique, ce sera une autre histoire. Soins de santé, pensions, chomâge, fiscalité… : le menu est délicat, potentiellement douloureux, avec les partenaires sociaux et la gauche francophone en embuscade. Il s’agira de démontrer qu’une politique de centre-droit peut être menée sans  » casser la machine « . La N-VA a déjà renoncé à des mesures choc comme la suppression des allocations de chômage dans le temps ou la remise en question de l’indexation, mais elle devra montrer à sa base que, faute de septième réforme de l’Etat, elle peut faire la différence sans le PS dans les pieds.

 » La priorité des priorités doit être celle énoncée dans la note des co-formateurs, c’est-à-dire la création d’emplois, et non le soutien à la compétitivité, il y a une nuance importante, affirme l’économiste Etienne de Callataÿ. Cela signifie notamment qu’il faudra une réduction des charges salariales sur les bas et moyens salaires, qui sont les groupes cibles, pas une réduction linéaire. Le MR devra y être attentif. Ce ne sera pas facile face aux partis flamands, tant la situation dans le secteur chimique à Anvers n’est pas celle des chômeurs moins qualifiés de Charleroi, par exemple.  » Cachez le communautaire, il risque de revenir au galop.

Communautaire :  » Il se cache partout  »

Tant les experts que les partis francophones potentiellement dans l’opposition (ils sont nombreux : PS, CDH, Ecolo, FDF) soulignent avec inquiétude que si le MR a obtenu des garanties au sujet de l’exécution  » loyale  » de la sixième réforme de l’Etat, il risque de se trouver confronté rapidement aux fantômes communautaires. Car au gouvernement fédéral, tous les dossiers sont sujets à des sensibilités différentes au Nord et au Sud. L’attitude du MR dans le dossier du survol de Bruxelles, qui a proposé un moratoire après l’annulation partielle du plan Wathelet par la justice, s’apparente déjà à une  » première et très symbolique renonciation des négociateurs francophones « , dénonce le CDH Benoît Cerexhe, bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre.

D’ores et déjà circule une longue litanie des dossiers pièges, minutieusement dressée par les opposants à la  » suédoise  » : risque d’un déséquilibre linguistique accru dans l’armée et la fonction publique, menace sur la juste répartition des aides en matière de relance économique ou des efforts en sécurité sociale, injustices supplémentaires à la SNCB… L’application de la sixième réforme de l’Etat nécessitera quant à elle des accords de coopération entre le fédéral et les Régions, notamment pour concrétiser une communauté métropolitaine bruxelloise dont les nationalistes ne veulent pas.

 » La N-VA n’a pas changé son ADN nationaliste et séparatiste, nous indique un cabinettard sortant. Il suffit de voir comment le ministre-président Geert Bourgeois a revu à la baisse le financement des missions princières. Pour eux, la symbolique communautaire sera toujours importante.  » Seul francophone au gouvernement, le MR courbera-t-il l’échine ?  » Je crois au contraire qu’ils ont les moyens de défendre les intérêts francophones grâce aux verrous institutionnels mis en place, juge un humaniste. Et ils pourront retirer la prise à tout moment. Par contre, il y aura un risque d’instabilité pour le pays.  »

Au sein même du MR, on estime que le communautaire devrait être mis de côté en début de législature, car tous les partenaires ont intérêt à engranger des réformes. Ensuite, les tensions pourraient resurgir en même temps que les appels à une septième réforme de l’Etat. Du côté francophone, la coopération entre les majorités progressistes de Wallonie (PS, CDH) et de Bruxelles (PS, CDH, FDF) sera un test majeur.

Le MR :  » Faiblesse intellectuelle  »

 » Une de mes craintes, c’est la faiblesse intellectuelle du MR, entame spontanément un expert jugé pourtant proche du centre-droit. Pendant la campagne électorale, les libéraux ont complètement foiré leur projet de réforme fiscale (NDLR : le montant global initial de 5 milliards a été raillé par le PS et démonté par des spécialistes). Cela en dit long sur leur capacité à négocier d’égal à égal avec trois partis flamands. Je doute de leur état de préparation.  »

Plusieurs de nos interlocuteurs dénoncent particulièrement la présence du Carolo Olivier Chastel au sein de la négociation, jugé trop faible en matière budgétaire, voire de Willy Borsus, dénoncé comme inexpérimenté.  » Surtout, le MR ne dispose pas d’un centre d’études performant comme le PS avec l’Institut Vandervelde, prolonge un ministre de l’actuelle tripartite. Qu’on l’apprécie ou pas, il est imbattable en matière d’expertise. Le Centre Jean Gol ne lui arrive pas à la cheville.  »

Un casting casse-tête :  » Reynders doit rester  »

L’une des clés, pour le MR, résidera dans le casting ministériel à mettre en place si la  » suédoise  » voit le jour. Seul francophone, le parti de Charles Michel pourrait bénéficier en version maximale de sept ministres, de cinq ou six seulement si les négociations accouchent d’une équipe  » réduite  » pour montrer là encore une volonté de rupture avec le passé.  » Didier Reynders (NDLR : ministre fédéral depuis 1999, vice-Premier depuis 2004) reste un poids lourd dont le MR aurait du mal à se passer « , déclare-t-on tant en interne que dans les autres partis, une unanimité rare. Le poste de Premier ministre étant, selon toute vraisemblance, réservé au CD&V Kris Peeters, l’actuel ministre des Affaires étrangères resterait vice-Premier… s’il ne part pas à la Commission européenne, comme on le prédit de plus en plus.

Dans cette perspective, Charles Michel finira-t-il lui-même par accepter le poste de vice-Premier après avoir mené de bout en bout les négociations, comme informateur puis comme co-formateur ?  » Le rôle de président de parti sera vital durant cette législature, pour maintenir à la fois un bon contact avec les partis flamands et mettre de l’huile dans les rouages avec les majorités francophones, tempère un proche du président du MR. De toute façon, il est trop tôt pour spéculer, réussissons d’abord ces négociations.  »

Le MR pourrait aussi désigner l’un ou l’autre expert  » au-dessus de la mêlée  » pour se renforcer et… séduire au-delà de sa base militante. Le nom d’Etienne de Callataÿ, chief economist à la banque Degroof, ancien chef de cabinet adjoint du Premier ministre CD&V Jean-Luc Dehaene, circulait avec insistance depuis quelques semaines. L’homme affirme qu’il accepterait le défi si on le lui demande, parce que cela permettrait de lever certains tabous entretenus quand la gauche est au pouvoir.  » Ce n’est pas du tout une attitude anti-PS de ma part, nous explique-t-il. Une coalition suédoise peut avoir des vertus dans les circonstances actuelles. Il y a des choses à faire que l’on ne peut pas faire sans que le PS et le SP.A ne soient au pouvoir. Je crois à la vertu de l’alternance intelligente. Mais après cinq ans de « suédoise », peut-être faudra-t-il un virage à gauche.  »

Pour les libéraux, l’arrivée d’un Etienne de Callataÿ aurait le mérite d’apporter une expertise supplémentaire dans des domaines clés comme le budget ou la fiscalité. Politiquement, ce serait un calcul stratégique pour capter des électeurs du CDH grâce à son profil chrétien. En affirmant trop tôt sa disponibilité, l’économiste a toutefois brûlé une partie de ses chances. La rupture devra aussi pouvoir jouer sur l’effet de surprise.

Par Olivier Mouton

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