La stratégie de la peur

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

L’assassinat de Gebrane Tuéni, qui se savait sur une  » liste noire « , vise à déstabiliser un peu plus le pays du Cèdre

On vit dans la psychose… Il reste au Liban des agents du régime syrien qui peuvent tenter de déstabiliser le pays. Les journalistes sont les premières cibles.  » Gebrane Tuéni, l’auteur de cet avertissement prémonitoire lancé en octobre dernier à Paris, a été assassiné le 12 décembre près de Beyrouth. Le convoi du directeur général du grand quotidien arabophone An-Nahar traversait une banlieue de la capitale libanaise quand une voiture remplie de dynamite a explosé sur son passage. Opposant de longue date à la tutelle syrienne sur le pays du Cèdre et partisan déclaré du désarmement du Hezbollah, la milice chiite omniprésente au Sud-Liban, le patron de presse et député chrétien se savait menacé. Son éditorialiste vedette, Samir Kassir, avait été tué en juin dans l’explosion de sa voiture. Et son propre nom figurait sur une liste de personnalités à abattre. Tuéni avait eu vent de cette  » liste noire  » transmise aux services de sécurité libanais par la commission d’enquête de l’ONU sur l’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri.

Alimenté par de telles menaces, le climat de peur portait déjà ses fruits : le fils Hariri, Saad, chef de la coalition antisyrienne, s’est réfugié depuis des mois à Paris ou en Arabie saoudite. Tuéni lui-même avait passé l’automne dans la capitale française. Contre l’avis de ses proches, ce défenseur obstiné de l’indépendance libanaise avait finalement décidé de rentrer, discrètement, à Beyrouth. Les tueurs, bien renseignés, l’y attendaient. L’assassinat, perpétré deux mois et demi après celui qui a mutilé May Chidiac, une autre journaliste antisyrienne de renom, a suscité une vague de condamnation, mais a aussi fait apparaître de profondes divergences au sein du gouvernement libanais. Les ministres du tandem chiite Amal-Hezbollah n’ont pas soutenu la majorité, qui a réclamé une enquête onusienne sur la série d’attentats. Accusé par le clan Hariri (sunnite), par le chef druze Walid Joumblatt et par la communauté chrétienne d’avoir commandité l’élimination de Tuéni, Damas clame son innocence. La Syrie affirme que ce crime ne pouvait que nuire à ses intérêts au moment où le Conseil de sécurité de l’ONU allait examiner un rapport d’enquête accablant pour le régime de Bachar al-Assad. Le président syrien semble pourtant avoir choisi la politique du pire : dans une interview récente accordée à la télévision russe, il a prévenu que la région, autrement dit le Liban, s’embraserait si l’on s’en prenait à son pays.

Olivier Rogeau

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