» La Russie a changé le cours de la guerre en Syrie « 

L’ancien patron des chemins de fer russes, proche de Poutine, estime que le seul intérêt de la Russie est  » de jouer un rôle positif dans les grandes affaires internationales « .

Le Vif/L’Express : Comment évaluez-vous les opérations militaires russes en Syrie ?

Vladimir Iakounine : Rappelons d’abord qu’il existe en Russie une détestation atavique de la guerre, Nous avons trop souffert de la Seconde Guerre mondiale. Hélas, ce fait historique est totalement méconnu en Occident. Les Occidentaux ignorent le rôle de l’Armée rouge et ne savent pas que la Russie a perdu plus de 26 millions de vies, soit 13,5 % de sa population. Concernant la Syrie, il est évident que l’intervention russe a changé le cours de la guerre. Et cela dès nos premiers bombardements sur les camions-citernes dont le trafic de pétrole vers la Turquie enrichissait l’EI. Notre engagement a permis à l’armée syrienne de libérer des territoires.

Que gagne la Russie avec cet engagement militaire ?

Le fait de montrer notre détermination à lutter contre le terrorisme par la force au-delà de nos frontières – et cela à l’invitation officielle du gouvernement légitime syrien – prouve au monde que la Russie peut et souhaite jouer un rôle positif dans les grandes affaires internationales. Mais c’est tout. Il n’y a aucune contrepartie, nous n’obtenons rien en échange, pas de pétrole, rien.

Après la perte d’un Soukhoï SU-24, abattu en plein vol le 24 novembre par la Turquie, beaucoup de gens s’attendaient à une réaction très forte de la part de Vladimir Poutine. Or, la réponse semble plutôt modérée…

Vous suggérez que la Russie devrait prendre des sanctions unilatérales ? Je suis résolument contre ce genre de méthode utilisée par les Etats-Unis. Les Américains sanctionnent la Russie pour son action en Ukraine, ils sanctionnent l’Iran pour son programme nucléaire, ils sanctionnent Cuba pour ceci ou cela, etc. Depuis vingt ans, les Américains ont décrété plus de 140 sanctions. Ce n’est pas notre façon de voir les relations internationales. D’ailleurs, seules les Nations unies sont fondées à sanctionner un pays. Cela dit, la Turquie nous a blessés et insultés. Nous avons donc reconsidéré toute notre politique étrangère vis-à-vis de cet Etat. Cela se traduit par un coup d’arrêt brutal de nos échanges dans plusieurs secteurs (tourisme, bâtiment et travaux publics, agriculture, etc.) dont personne ne se réjouit.

Sans les agricultures turque, ukrainienne, européenne, où vous approvisionnez-vous ?

Il y a beaucoup d’autres pays, notamment en Amérique latine. Et jusqu’à présent je ne vois pas d’étagère vide aux rayons fruits et légumes des supermarchés russes.

Quel est l’impact des sanctions économiques européennes contre la Russie après l’annexion de la Crimée, en 2014 ?

Les conséquences négatives sont partagées avec l’Europe qui pratique, semble-t-il, une forme de masochisme politique. Bien sûr, ces sanctions font mal à la Russie. Mais regardez les chiffres. Après cette décision unilatérale, les échanges entre la Russie et l’Europe avaient baissé de 30 %, tandis que le commerce russo-américain avait augmenté de 10 %. L’Allemagne, notre premier partenaire commercial, a perdu 30 000 emplois. Lors de ma visite à Paris (NDLR : en janvier 2016), j’ai rencontré l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, qui m’a répété ce qu’il avait exprimé lors d’une conférence à l’université de Moscou en mai 2015. Je le cite :  » Les Européens négligent le fait que la Crimée a toujours été russe.  » L’ancien président français appartient à cette génération de leaders qui prenaient en compte la dimension historique des événements. Les jeunes politiciens, qui manquent souvent de profondeur, devraient faire la queue tous les jours devant sa porte afin de bénéficier de ses conseils et de son expérience.

Avec la chute des cours des matières premières, la Russie n’est-elle pas en délicate posture ?

Ce n’est pas seulement la Russie qui souffre. La crise économique est globale. La baisse des cours du pétrole, il est vrai, ne nous facilite pas la tâche. Mais le président Poutine et son gouvernement travaillent à une solution pour sortir de l’ornière. La Russie traverse une crise, mais ce n’est pas le pire moment de son histoire, loin de là.

Propos recueillis par Axel Gyldén

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