La rupture est proche
Les purs détracteurs de l’éolien ne sont plus les seuls à critiquer la cartographie du potentiel wallon. Des acteurs-clés du monde environnemental se désolidarisent de la méthode utilisée. Analyse d’un profond malaise.
Elle en a pris pour son grade. Soumise à enquête publique durant 52 jours, la cartographie du cadre de référence éolien a essuyé les critiques par centaines ces dernières semaines. Depuis le 1er novembre, elle peut enfin souffler quelque peu, le temps de digérer les commentaires citoyens récoltés à travers la Wallonie.
Mais l’apaisement ne durera pas. Les détracteurs de la nouvelle politique éolienne ne comptent d’ailleurs pas lever le pied. » Nous sommes affolés de constater que personne ne maîtrise rien dans ce dossier « , martèle Diane Hennebert. Cette Bruxelloise, présente dans plusieurs associations telles que la Fondation pour les générations futures, s’investit activement dans 170 hectares d’agriculture biologique à La Bruyère, près de Namur. L’immense propriété aiguise logiquement l’appétit de nombreux promoteurs éoliens, prêts à délier les cordons de la bourse pour explorer ce potentiel venteux. » Ecolo me connaît bien, confie-t-elle. J’ai toujours soutenu le parti jusqu’ici. Mais je ne peux tolérer qu’il s’enfonce dans un culte aveugle voué à la mystique éolienne. »
Engagée dans un comité local d’opposition, Diane Hennebert a activé un réseau de 5 000 personnes pour exiger l’instauration d’un moratoire sur l’éolien wallon. Un tel discours la range, rapidement, dans le clan des » anti-éoliens « . Idem pour Jacques de Selliers, administrateur délégué de l’Association européenne pour les voitures à batterie et cofondateur de la plate-forme Greenfacts. » Ecolo est furieux qu’on lui amène la science lorsque les conclusions de celle-ci ne rencontrent pas son idéologie. Concernant l’éolien, nous manquons cruellement d’études sérieuses et d’un consensus en la matière. »
Depuis quelques jours, le no man’s land séparant les » pro » des » anti- éoliens » commence toutefois à se remplir. Après la levée de boucliers citoyenne, plusieurs acteurs incontournables des matières environnementales s’interrogent à leur tour quant à la pertinence de la stratégie éolienne approuvée par le gouvernement wallon.
Manque de dialogue avec les cabinets
Quelques jours après la publication d’un rapport critique cosigné par onze scientifiques, que Le Vif/L’Express a dévoilé en primeur, Natagora est montée au créneau. L’association de protection de la nature regrette notamment l’utilisation abusive de données imprécises lors de la confection de la carte éolienne. » En 2010, quand les travaux ont commencé, nous avons fourni une série de données afin d’y intégrer des critères importants, détaille Lucie Renuart, responsable de la section Aménagement du territoire. Mais nous avions bien précisé qu’il s’agissait de données brutes et incomplètes. » Malgré de multiples avertissements de Natagora à ce sujet, les informations ont pourtant été intégrées telles quelles dans la cartographie. Tant et si bien que l’association refuse désormais d’en assumer une quelconque responsabilité. » Les financements que nous demandions pour affiner ce travail n’ont jamais suivi. La carte aurait été bien meilleure si l’on avait pu dialoguer de façon optimale avec les cabinets. »
Pour Natagora, il est par ailleurs impossible de rendre un avis favorable sur le dossier en l’absence du fameux décret éolien. » Une telle cartographie devait être en mesure de nous rassurer, poursuit Lucie Renuart. Ce n’est pas du tout le cas. Le gouvernement ne nous dit pas quelle utilisation en sera faite demain. » Conclusion tranchante de l’association : ce travail, dont l’utilité pose dès lors question, est un coup dans l’eau.
Malaise. Dans le débat éolien, rien n’est plus dérangeant que les critiques émanant d’acteurs que l’on ne peut raisonnablement renvoyer dans la longue liste des détracteurs de pure souche. Natagora en fait partie. Tout comme Inter-Environnement Wallonie (IEW). Entre mars et mai 2012, le gouvernement wallon a demandé à la fédération, forte de 150 membres, de remettre un avis sur le développement éolien en Wallonie. Suite à trois conseils associatifs houleux, celle-ci a finalement rendu un avis avalisé par son conseil d’administration. Mais la prise de position a fortement déplu à l’Association de promotion des énergies renouvelables (Apere), membre d’IEW. » Vu les tensions qui sont apparues à l’époque entre nos membres, plus personne n’a souhaité réinvestir ce débat extrêmement sensible lorsque la cartographie est sortie « , commente l’une des figures de la fédération.
» Beaucoup de critiques à émettre »
Emprisonnée par ces tiraillements, elle se mure désormais dans un silence complet. Et fait visiblement profil bas auprès du ministre Philippe Henry (Ecolo), en charge de l’Aménagement du territoire. Récemment, IEW a en effet rendu un rapport très critique sur le nouveau Code de développement territorial, successeur du Cwatupe. » Nous avons été appelé au cabinet car notre prise de position n’avait pas plu au ministre, déclare une source de la fédération. S’il n’a pas parlé de coupes dans les subsides, il a bien fait comprendre qu’un tel écart ne devait plus se reproduire. »
Pour Inter-Environnement Wallonie, l’impossible cohésion au sujet des éoliennes laisse un goût amer. » Il y a beaucoup de critiques à émettre sur la cartographie. Mais certains membres de la fédération estiment qu’il est préférable de défendre un outil mal ficelé plutôt que de ne rien avoir… Chacun y va donc de sa propre analyse. A court terme, il n’y aura donc pas de prise de position officielle de notre part. »
De son côté, Philippe Henry assure que toutes les remarques récoltées dans le cadre de l’enquête publique seront prises en considération. L’administration a reçu 3 008 commentaires à ce stade, mais de nombreuses communes doivent encore lui transmettre les avis récoltés lors de l’enquête publique. Le décryptage prendra fin le 30 novembre au plus tard. Le gouvernement wallon proposera alors une cartographie définitive pour jeter les bases du développement éolien jusque 2020.
Un hasard du calendrier offre toutefois une autre opportunité à ses détracteurs. Jusqu’au 15 novembre, la Région wallonne soumet son rapport d’exécution de la convention d’Aarhus à consultation publique. Ce texte coercitif, entré en vigueur en 2003, vise notamment à garantir la participation du public avant toute décision définitive en matière environnementale. Or, les collectifs d’opposants ont fait de cette disposition un argument massue pour critiquer l’agenda de l’enquête publique sur l’éolien wallon.
A Inter-Environnement Wallonie, certains observateurs prédisent même une vague de recours contre la politique éolienne par des acteurs-clés si les ajustements du gouvernement wallon s’avèrent insuffisants. La pression est bien réelle, à quelques mois du scrutin régional. Le dossier n’a pas fini d’alimenter les tensions.
Christophe Leroy
La pression est bien réelle, à quelques mois du scrutin régional. Le dossier n’a pas fini d’alimenter les tensions
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