Du foot au basket en passant par la F1, Benjamin Biolay a toujours été fan de sport. © MARTA BEVACQUA

La route du rock

Evoquant sa passion pour la F1, Benjamin Biolay sort Grand Prix, nouvel album flamboyant, enchaînant quelques-unes de ses chansons les plus personnelles pied au plancher.

Le 26 juin dernier, Benjamin Biolay a sorti son neuvième album officiel, Grand Prix. Mais ça, vous le saviez certainement déjà. Impossible en effet d’être passé à côté : des quotidiens les plus populaires aux hebdos les plus pointus, du plateau de Delahousse à celui de Ruquier, le chanteur-auteur-compositeur-acteur était partout ces dernières semaines. Bon client en plus, pas revanchard pour un sou envers une presse qui n’a pourtant pas toujours été tendre avec lui – au début de sa carrière surtout, quand certains le résumaient à une sorte de sous-Gainsbourg arrogant. Entre-temps, il y a eu La Superbe, en 2009, double album dont le romantisme plein de panache réussit à convaincre enfin critiques et grand public.

Au Conservatoire, je me cachais pour lire L’équipe. Si on vous voyait, vous passiez pour un beauf complet.

Une décennie et trois autres disques plus tard, Grand Prix est bien parti pour suivre la même trajectoire. Emmené par un premier tube, Comment est ta peine ? , il trône au sommet des ventes aussi bien en France qu’en Belgique. L’album est en effet brillant, bourré de mélodies à la fois enlevées et grand public, dont le destin évident serait qu’elles touchent un maximum d’oreilles et de coeurs .  » Je pense en tout cas que c’est le but de tout musicien. Pour cela, la chanson est un truc assez paradoxal. C’est à la fois ce que vous faites dans votre chambre et que vous n’osez faire écouter à personne… et en même temps, dès que vous franchissez le pas, vous avez envie que tout le monde l’aime. Même Mozart voulait que sa musique aille chez tous, et qu’elle ne soit pas seulement écoutée par les nobles de la cour. Il était fou de joie quand il entendait Là ci darem la mano dans les fêtes costumées païennes où les gens faisaient toutes sortes de choses bizarres (rire).  »

Sortie de route

L’étincelle qui a donné naissance à Grand Prix est en l’occurrence un crash : celui du pilote de F1 Jules Bianchi, décédé en 2015, à l’âge de 25 ans, neuf mois après une sortie de route lors du Grand Prix du Japon. Le drame a inspiré la ballade, avant de servir de fil rouge à l’album .  » J’ai dû écrire la chanson la semaine qui a suivi son décès. Elle ne s’appelait pas encore Grand Prix, mais Ta belle Ferrari. Par la suite, j’ai été accaparé par d’autres choses : la sortie de Volver, la promo, des tournages, etc. Quand j’y suis revenu, cela m’a saisi moi-même. Je l’avais faite relativement vite, peut-être même un peu ivre. Mais en la réécoutant, cela m’a donné envie d’aller plus loin dans cette histoire.  » En l’occurrence, elle lui a aussi permis de glisser certains de ses morceaux les plus personnels. Car, bien sûr, la tragédie automobile sert avant tout de métaphore pour parler de sentiments et d’enjeux plus intimes. En gros, de l’amour et de la mort ; des enfants que l’on a ( La Roue tourne) et de celui que l’on a été – celui qui, par exemple, regardait distraitement les bolides tourner en rond lors de dimanches après-midi paresseux, à l’heure de la sieste.

Né en 1973, du côté de Lyon, Biolay a toujours été fan de sports – foot, basket, F1, etc. Y compris quand c’était compliqué pour un musicien de l’avouer – sauf s’il était Anglais.  » Au Conservatoire, je me cachais pour lire L’Equipe. Si on vous voyait, vous passiez pour un beauf complet.  » Cela n’est plus vraiment le cas aujourd’hui.  » Il a fallu Zidane pour que cela devienne cool. Je me rappelle que la semaine après la victoire des Bleus à la Coupe du monde en 1998, la presse publiait des photos du gardien Barthez sur un yacht avec la top model Linda Evangelista (rire). C’est pareil chez vous. Cela fait dix ans que l’on parle des Diables dans les soirées un peu chics, avec Hazard, Witsel, etc. Mais rappelez-vous, avant, vous aviez Pfaff (rire).  »

Benjamin Biolay, Grand Prix, distr. Universal. En concert le 8 décembre prochain, à La Madeleine, et le 9 décembre prochain, au Cirque royal, à Bruxelles.
Benjamin Biolay, Grand Prix, distr. Universal. En concert le 8 décembre prochain, à La Madeleine, et le 9 décembre prochain, au Cirque royal, à Bruxelles.

Aujourd’hui, si cela fait longtemps qu’il a laissé tomber ses ambitions sportives adolescentes, Biolay a conservé un sens de la compétition contrarié, comme quand il se retrouve nommé aux Victoires de la musique.  » Parce que je sais que si je ne la gagne pas, je vais passer une soirée de merde. Je me retrouve à applaudir le gagnant la mâchoire serrée… Dans ces moments-là, je me déteste. Par contre, si vous gagnez, c’est génial. Les gens de la maison de disques supercontents, vous avez l’impression d’avoir joué en équipe. Il y a toujours la fête organisée par le label, avec les stagiaires que vous n’avez jamais vus qui se prennent la plus grosse murge de leur vie. Ça, c’est beau quand même.  »

Virage serré

Mot français utilisé tel quel à l’international, Grand Prix est également le titre d’un des albums des Ecossais de Teenage Fan Club,  » même si ce n’est pas mon préféré « . Quant à la pochette, si son ambiance seventies évoque un film comme Le Mans ( » avec Jacky Ickx ! « ), elle est aussi un clin d’oeil à l’album On The Beach de Neil Young,  » avec le côté décalé de la mise en scène « . Soit deux références rock, pour un disque qui en revendique l’énergie et la  » puissance  » – que cela passe par les guitares qui tapent ( Idéogrammes) ou les synthés modulaires un peu louches ( Virtual Safety Car).  » Il fallait trouver la bonne vitesse, qu’il y ait assez de chevaux sous le capot. Que ce soit réglé comme une F1, au détail près, mais en conservant également les sorties de route.  »

Au générique de Grand Prix, on retrouve le producteur-arrangeur Clément Animalsons, dont le CV hip- hop inclut plusieurs tubes de Booba ; et dans ses textes, Biolay veille toujours à éviter une poésie trop amplouée. Mais plus question de lorgner trop franchement l’esthétique rap (comme par exemple avec Hypertranquille, en 2017).  » Il reste des allitérations et des rimes internes. Mais cette fois, je voulais surtout faire des mélodies assez démonstratives, avec des notes assez longues.  » Grand Prix est donc rock. Voire vintage, si l’on se fie à la pochette ?  » Plutôt intemporel, je voulais éviter qu’il soit trop estampillé 2020.  » A moins, justement, que l’intention ait été de montrer qu’il est toujours possible de sortir un album classique pas forcément à rebours de l’époque ? C’est la grande réussite de Grand Prix. Non seulement répondre à ce besoin  » que l’on a, nous, les mélancoliques, de rendre justice à des destins un peu brisés « . Mais aussi, entre les lignes, de brasser un certain romantisme sans glisser réac ; de la jouer  » rock « , sans virer macho ; ou, mieux encore, de débarrasser la figure masculine du dandy de ses attributs  » toxiques « . En 2020, ce n’est pas rien.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire