LA REVANCHE DES AUXILIAIRES

Luc Delfosse
Luc Delfosse Auteur, journaliste

« Allez, répète ! « , rabâchait ma mère en soufflant avec l’élégance de Shéhérazade la fumée de sa cigarette Le khédive. Et je répétais inlassablement ma leçon :  » Conjugué avec l’auxiliaire avoir, le complément d’objet direct varie en genre et en nombre lorsque celui-ci précède le verbe.  » Enfin, si ma mémoire est bonne car je vous parle tout de même d’un temps lointain. Une époque où, en tendant bien l’oreille, on entendait les mélopées des grues qui lançaient leurs bras de Vishnu par-dessus le squelette de l’Atomium.

Ah ! Les jours bénis ! Un bain d’insouciance absolue… si ce n’est, bien entendu, les conjugaisons du 3e type, les dictées mitonnées par un corps spécial de brutes sardoniques,  » Wie ben je ? Ik ben Jan « , la multiplication des fractions, les sauts au-dessus du bock, le bon cuivre et le bon coton des bons nègres de la Colonie, les confessions obligatoires sous peine de retenue, le limon éolien de la Hesbaye et tout ce genre de fariboles. Heureusement, il y avait l’histoire. Mais qui voilà ? Le beau, l’admirable Godefroid sur son palefroi ! Sus aux Sarrasins, mon cousin ! C’était tout faux, du picotin patriotard reconstitué, chacun le sait aujourd’hui. Et, bien entendu, pas un mot sur les exactions des supplétifs ou plutôt des… auxiliaires pourris de l’avoué du Saint-Sépulcre. Mais quel sacré cinoche tout de même !

 » Conjugué avec l’auxiliaire avoir « … Un bruit plus proche, plus familier que celui des chantiers, remontait par la cage d’escalier. Le zonzon de l’aspirateur Hoover que la bonne passait au salon en musardant avec la voix de Tino Les Roses blanches. Blanche, c’était aussi son nom à la servante. Je suis désolé d’être aussi cru mais, à l’époque, on ne parlait pas encore, la bouche en cul de poule,  » d’auxiliaire de ménage « . Les  » créatifs  » qui n’existaient pas encore, pas plus que le honteux Forem qui les emploie, ne se permettaient donc pas d’imaginer des réclames insanes pour inciter des petites filles – qui d’autre ? – à  » oser réaliser leur rêve  » : devenir torchonneuses. Notez que ce sont généralement les mêmes crânes d’oeuf qui, une fois rentrés au logis, passent le doigt sur le haut des armoires et comptent les morceaux de sucre avant de maudire leur bonniche, pardon : leur  » auxiliaire  » polonaise. Pour un peu, si la perle n’était si rare, ils feraient monter les auxiliaires de police qui, désormais, saturent nos artères, pour sévir.

Ah ! Maman, au secours ! Ces fumiers d’auxiliaires recommencent à m’étouffer ! En genre et en nombre, crois-moi ! Tiens, là ! au bout du couloir, j’entends venir à pas de loup les auxiliaires de soin et les auxiliaires de vie qui, ça ne fait pas un pli, me prendront bientôt en charge. Bouh ! la faucheuse ! Les nerfs en pelote, j’allume la télé. Comme auxiliaire d’abêtissement, on ne fait pas mieux. Et qui vois-je apparaître, en plan serré ? Le Premier ministre. Non ? Comme je vous le dis : l’auxiliaire de la N-VA en chair et en os. Encerclé, vous dis-je…

Journaliste et écrivain

luc delfosse

Blanche était son nom, à la servante. A l’époque, on ne parlait pas encore, la bouche en cul de poule, d’  » auxiliaire de ménage  »

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