La renaissance du vignoble wallon

Vigna, Vignée, Vignet, Vignette. Comme en témoigne la déclinaison de toponymes signalant la présence d’anciens vignobles, leur plantation sous nos latitudes ne date pas d’hier. Introduite dès l’époque gallo-romaine, la viticulture connaît un véritable essor lors de la construction des premiers monastères. Malgré l’empirisme de l’époque, les moines, qui consomment du vin lors de leurs offices, maîtrisent bien l’art de la vigne, forment leurs convers à la culture et répandent ainsi les techniques de la vinification. Au XVIIe et XVIIIe siècle, une courte période de changement climatique y mettra provisoirement un terme chez nous. Les voies de communication s’améliorant, il devient plus aisé d’importer le précieux breuvage d’ailleurs. Les famines et les guerres incitent également les viticulteurs à se tourner vers d’autres activités moins exigeantes en main-d’oeuvre. Quant à la faveur du peuple « belge », elle va résolument à la bière. Aujourd’hui, en Wallonie, on assiste à un retour en force de l’art de faire du bon vin. Huy, Torgny, Trazegnies ne sont plus les seules localités à presser le raisin. Les pionniers des années 1970 ont été rejoints depuis par des dizaines de passionnés.

A Villers-la-Ville, l’ancien vignoble de l’abbaye a été débroussaillé, restauré et réhabilité tel que l’avaient conçu les moines au XIIe siècle. Parfaitement orienté, protégé des vents froids et des gelées tardives, étagés sur quatre terrasses de schiste, le clos muré revit, offrant, à chaque automne, de généreuses grappes aux mains des vignerons. Un petit plus qui contribue sans aucun doute à l’attrait touristique du vieux monastère cistercien. Le seul vin de primeur étiqueté de Belgique en est d’ailleurs issu. Macéré, éraflé, foulé, pressé, débourbé et fermenté au doux murmure des barboteurs durant trois mois, le fruit des récoltes livre enfin son verdict lors de la Saint-Vincent. Christophe Waterkeyn, maître de chai, ne boude pas son plaisir: « Le Clos de Villers-la-Vigne est un vin juvénile, souple, au nez intense, avec des arômes fruités de cerise, de groseille et de pamplemousse rose, et même avec une touche d’épices. »

Ailleurs sont apparus les premiers vignerons citadins. Marc De Brouwer, professeur de sciences, n’a pas hésité à planter 250 pieds de vigne en plein Uccle, à Bruxelles. L’auteur du Traité de vinification, un best-seller qui fait fureur auprès des amateurs de vin, essaie systématiquement, depuis une vingtaine d’années, chaque type de cépage et toutes les possibilités de vinification. Sa dernière brochure Ma façade est une vigne, lauréat du prix de l’Environnement de la Région bruxelloise, est à prendre comme un signe annonciateur. La viticulture a de beaux jours devant elle, chez nous, en Belgique…

Cépages résistants et précoces

Notre climat, caractérisé par une forte pluviosité et un manque chronique de soleil, aurait pourtant tendance à laisser nos concitoyens sceptiques. Et les a priori négatifs, soigneusement entretenus par les producteurs des régions traditionnelles, ont eu plutôt beau jeu jusqu’ici. Mais certains ont bien l’intention de donner un solide coup de pied dans la fourmilière. Philippe Grafé, fort de ses quarante ans d’expérience dans le vin, va plus loin encore. Son projet lorgne sur les coteaux exposés d’un affluent de la Meuse et permettrait une rentabilité à grande échelle. Le tout est de porter son choix sur les terrains et les cépages qui conviennent le mieux.

Or les instituts de recherche allemands viennent d’obtenir, par pollinisation croisée, des variétés résistant aux gelées tardives et aux maladies cryptogamiques. Au XIXe siècle, trois grands fléaux, venus d’Amérique, ont frappé le vignoble européen. Le phylloxéra, le plus dévastateur des trois, est une maladie de la vigne due à un petit insecte du même nom dont la larve dévore les racines des vignes (vers 1860). L’oïdium (1846) et le mildiou (1878) sont deux champignons microscopiques qui s’attaquent, eux, aux feuilles et aux fruits, causant à terme la mort du vignoble. Appelés à la rescousse, les cépages d’outre-Atlantique ont permis de reconstituer le vignoble européen. Vitis vinifera fut greffé sur des pieds américains résistant au phylloxéra. Les botanistes français proposèrent également de créer de nouvelles variétés en croisant les vignes françaises avec les variétés américaines pour les rendre résistantes aux deux autres maladies, mais le discrédit fut jeté sur leurs travaux. Les experts ont argué que la qualité des vins ainsi obtenus était médiocre. En réalité, leur jugement n’était pas tout à fait innocent. En excluant les hybrides des « Appellations d’Origine Contrôlée » (AOC.), les pays du sud de l’Europe et la France, en particulier, privilégiés par le climat sec méditerranéen, se réservaient le quasi-monopole dans la production de vins rouges. Grâce au soufre, au sulfate de cuivre et, par la suite, aux fongicides, la lutte contre ces maladies moins virulentes qu’ailleurs leur permettait d’en poursuivre seuls la production.

En Allemagne cependant, pays plus septentrional, les autorités ne l’ont pas entendu de cette oreille et les recherches ampélographiques, qui amènent à décrire de nouveaux cépages, se poursuivirent durant près de quarante ans. En 1996, elles débouchèrent sur l’ennoblissement de 4 d’entre eux, dont un rouge: le Regent. Le fait d’avoir été admis dans le club très fermé des Qualitätsweinen, les AOC allemandes, est une véritable révolution. D’un coup s’ouvraient non seulement les possibilités de produire du bon vin sous nos latitudes septentrionales, mais aussi de pratiquer une viticulture beaucoup plus saine pour l’environnement. Dans les régions méridionales, les vignes deviennent en effet de plus en plus vulnérables aux maladies, au point de faire obstacle à l’agriculture biologique. Protectionnistes, les producteurs français, qui craignent de perdre des parts de marché, feignent d’ignorer l’arrivée de ces nouveaux cépages. La France vient d’ailleurs de faire barrage à une proposition de directive européenne visant à supprimer l’usage du soufre et du sulfate de cuivre dans la production de vins bio. L’introduction de technologies nouvelles dans un but qualitatif n’est pourtant pas contraire à la notion de terroir. Sur le plan organoleptique, les jugements des dégustations à l’aveugle sont sans appel et de belles médailles ont été décrochées. Les nouveaux venus rivalisent donc désormais avec les vins issus des cépages dits « nobles ».

Côtes de Sambre et Meuse

Chez nous, nombreux sont les sites le long de ces flancs de la Meuse et de la Sambre, bien exposés, abrités et au sol caillouteux, propices à l’implantation de nouveaux vignobles. Une indication géographique et une appellation d’origine leur conféreraient une plus grande notoriété et une crédibilité certaine auprès des consommateurs. Alors que d’aucuns se prennent à rêver aux cuvées d’un « Côte de Sambre et Meuse », en matière de recherche, de diversification horticole et de tourisme (« la route du vin » wallon est sur les rails), les perspectives s’avèrent tout aussi alléchantes. Entre-temps, la « Fédération belge des vins et spiritueux », soucieuse de valoriser ce patrimoine, a pris les devants. En 1997 et en 2000 ont été créées du côté flamand les deux premières Gecontroleerde Oorsprongsbenamingen, AOC: Hageland, pour la région de Aarschot, Diest et Tienen et, Haspengouw, pour celle de Tongres. Alors que la production wallonne est sur le point d’atteindre les 110.000 litres, l’heure était venue d’y mettre un peu d’ordre. « Toute personne produisant du vin tombe sous la législation européenne et sa production est gérée dans le cadre de la Politique agricole commune, souligne Jean-Jacques Delhaye, qui, avec l’accord de la Région wallonne, travaille actuellement à définir la ou les régions des nouvelles appellations. Celle-ci impose une réglementation verticale assez complexe qui délimite notamment les zones de production, les conditions de cépage, leur rendement, la densité des plantations et les pratiques oenologiques, comme la désacidification et la chaptalisation. A l’égal des autres régions, la Belgique peut obtenir le classement de sa production parmi les vins de qualité produits dans une région déterminée.  » L’AOC qui en découlerait aurait pour effet de reconnaître la qualité des productions wallonnes, de la tirer vers le haut, et fermerait la porte à tous les abus. Actuellement, chacun mène sa barque comme il l’entend. Sans AOC, la plupart des productions wallonnes devraient tomber légalement sous l’appellation « Vins de tablede Wallonie « , car, faute d’indication géographique, il leur est interdit de mentionner sur l’étiquette un cépage ou un quelconque millésime…

Texte et photos: Marc Fasol

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