La relève espagnole

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Avec son épatant AzulOscuroCasiNegro, Daniel Sanchez Arevalo se révèle dans la nouvelle vague d’un cinéma ibérique désormais totalement décomplexé

Qu’il semble loin, le temps où le cinéma espagnol se réduisait pour beaucoup aux noms de

Luis Buñuel (naturalisé mexicain et travaillant en France) et de Carlos Saura ! Almodovar avait tourné, une bonne fois pour toutes, la lourde page du franquisme, et ouvert la voie aux Bigas Luna, Medem, de la Iglesia et consorts. Aujourd’hui, le blé qui lève promet une superbe moisson, avec de jeunes talents sans complexe dont le nombre et la qualité ne cessent d’augmenter.

Dernier en date à se révéler, et de fort belle façon, Daniel Sanchez Arevalo signe avec AzulOscuroCasiNegro un premier film remarquable d’écriture comme de ton, de mise en scène et d’interprétation. On y voit un jeune homme dont le frère, infertile, a une petite amie en prison. Il accepte de mettre cette dernière enceinte, au risque de voir l’amour surgir entre eux et ruiner des rapports familiaux déjà tendus par le handicap d’un père concierge, qui ne peut plus travailler… D’autres personnages gravitent autour de ce quatuor central, faisant d’ AzulOscuroCasiNegro une £uvre chorale de la meilleure eau, pleine d’humour, mais aussi de tendresse, attentive aux relations intimes tout en offrant – sans lourdeur aucune – une  » coupe  » lucide et sensible de la société contemporaine.

Madrilène de 36 ans, Daniel Sanchez Arevalo a vu son premier long-métrage recueillir trois Goyas (les oscars espagnols), dont celui du meilleur nouveau réalisateur. Formé à l’économie, mais pris d’un désir d’écrire, il fut scénariste de séries télévisées avant de faire un master de cinéma à l’université Columbia (New York) et de signer une douzaine de courts-métrages remarqués. Le titre de son film, AzulOscuroCasiNegro, évoque une couleur bleu sombre, quasi noire. Daltonien, Sanchez Arevalo se souvient d’avoir eu un pull favori qu’il croyait noir, avant qu’un ami ne lui révèle qu’en fait il était bleu nuit… Poétiquement, il a voulu colorer d’espoir les perspectives de personnages confrontés à un réel aux apparences plutôt sombres. Le jeune cinéaste présente comme  » une fable moderne  » sa chronique aigre-douce, attachante et loufoque, jouée par des comédiens épatants.

Faire de ses rêves une réalité

 » J’ai grandi en voyant les films d’Almodovar, et il reste une manière de modèle pour moi, tant il a réussi à remplir les salles tout en conservant son intégrité artistique, se souvient Daniel Sanchez Arevalo. Mais, s’il fut et reste une référence, il a pu donner l’impression qu’il n’y avait que lui, qu’Almodovar était le cinéma espagnol à lui tout seul… C’est dans la seconde moitié des années 1990 que l’éclosion de jeunes réalisateurs comme Julio Medem, Alex de la Iglesia, Alejandro Amenabar et Fernando Leon a montré à ma génération qu’il était possible de faire de nos rêves de cinéma une réalité. Pour autant, les conditions économiques ne rendent pas plus facile d’obtenir le financement d’un film. Mais l’envie a grandi, chez nous, jeunes cinéastes, tout comme l’attention que les médias nous portent. Le public ? Il ne vient pas encore voir nos films en grand nombre, mais là aussi les choses s’améliorent. Azul-OscuroCasiNegro est à l’affiche chez nous depuis plus d’un an maintenant et, même si cela ne signifie pas un vrai succès populaire (il a rapporté environ 1 million d’euros), c’est tout de même une chance formidable pour moi…  »

Si Daniel Sanchez Arevalo a réussi sa percée, comme l’avaient fait avant lui Iciar Bollain ( Te doy mis ojos) ou Isabel Coixet ( The Secret Life of Words), d’autres jeunes réalisateurs se signalent aussi, comme Jorge Sanchez Cabezudo, Javier Rebollo, Isaki Lacuesta, Jaume Balaguero, Carlos Iglesias, Albert Serra ou Inaki Dorronsoro.  » L’avenir promet encore beaucoup, conclut Sanchez Arevalo, car de nombreux nouveaux venus s’illustrent dans le court-métrage et se battent pour passer au long. J’espère pour eux qu’ils s’entraideront, comme le font les réalisateurs mexicains. Cuaron, Del Toro, Inarritu sont des amis qui se serrent les coudes et savent faire cause commune s’il en est besoin. Nous autres, de la nouvelle génération, sommes déjà dans cet état d’esprit, qui n’existait pas du temps d’Almodovar. On est concurrents dans les mêmes festivals internationaux, et puis aux Goyas, mais nous ne manquons pas une occasion de dire du bien de nos films respectifs. Cela nous rend plus forts…  »

Louis Danvers

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