La poussée des talibans

Dans les zones tribales à la frontière de l’Afghanistan, les miliciens islamistes s’activent. Et déstabilisent une région clef pour le ravitaillement des forces de l’Otan.

De notre correspondant

Envahisseurs, nomades, commerçants ou réfugiés : depuis des siècles, ils empruntent la passe de Khyber, un défilé long d’une cinquantaine de kilomètres qui relie, à travers les montagnes de l’Hindu Kuch, le Pakistan à l’Afghanistan. L’essentiel du commerce entre les deux pays y transite, ainsi qu’une partie des approvisionnements destinés aux forces de la coalition internationale en Afghanistan. C’est dire l’importance stratégique de cette route, qui traverse l’une des sept zones tribales pakistanaises. Or, depuis le début de l’année, la région connaît une insécurité grandissante. De l’aveu même du gouverneur de Peshawar, Owais Ahmad Thani, il y avait, en janvier et en février, un kidnapping tous les deux jours en moyenne. Par ailleurs, le 24 mars, une soixantaine de camions-citernes destinés aux troupes de l’Otan en Afghanistan ont été détruits lors de l’attaque d’un convoi.

Si les enlèvements semblent être, le plus souvent, perpétrés par des organisations mafieuses afin d’obtenir une rançon, certains des miliciens qui sévissent dans la région imposent depuis environ six mois un véritable  » ordre taliban « . Fin 2007, un groupe local jetait son dévolu sur la région de Darra, au sud de Peshawar, avec des méthodes qui ne sont pas sans rappeler celles des talibans afghans à leurs débuts : lettres de menaces aux vendeurs de cassettes  » impies  » et aux coiffeurs pour hommes ; assassinat d’un mafieux notoire, responsable de plusieurs enlèvements dans la région, afin de montrer à la population que sa sécurité était désormais assurée, fût-ce par la manière forte ; brigades armées déployées le long de la route, dans le même but. L’armée pakistanaise a laissé faire, jusqu’à ce que les justiciers autoproclamés s’emparent de quatre camions transportant du matériel militaire…

Prochaine cible : les vendeurs d’opium

Un scénario presque identique a débouché, plus récemment, sur la prise de contrôle du marché de Bara, près de la passe de Khyber, où s’échangent armes, drogue et faux passeports, par le Lashkar-e Islam. Cette organisation islamiste aurait pendant longtemps été utilisée contre certaines mafias par les forces de l’ordre et les services de renseignement pakistanais, qui en auraient depuis  » perdu le contrôle « , selon un diplomate en poste à Islamabad. Quoi qu’il en soit, Mangal Bagh, un ancien employé de 35 ans qui dirige depuis l’an dernier le Lashkar-e Islam, se vante de pouvoir imposer, d’ici peu, son ordre dans toute la région avant de  » faire la guerre aux Américains « .

Pour l’heure, c’est surtout aux commerçants et aux trafiquants du bazar de Bara qu’il en veut. Des boutiquiers qui avaient le tort de proposer des cassettes ou des téléviseurs ont dû fermer. Comme à Darra, il s’agit de faire régner un ordre moral directement inspiré de la charia. Les vendeurs d’opium, nombreux à la sortie de Peshawar, savent qu’ils sont sa prochaine cible et s’arment jusqu’aux dents. Au début de la semaine dernière, des combats auraient fait plus de 20 morts.

A ce stade, ni l’ancien employé, dont l’influence ne cesse de s’étendre, ni les autres ne menacent vraiment la sécurité du défilé. Mais les Pakistanais sont inquiets. De même que les Américains. Ces derniers ont demandé aux Russes leur feu vert afin d’acheminer une partie du ravitaillement de la coalition internationale en Afghanistan via l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Les négociations sont en cours.

Eric de Lavarène, avec Dominique Lagarde

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