La porte après la porte

Après le drame d’un licenciement, les cellules de reconversion qui se développent en Wallonie offrent une guidance aux travailleurs touchés pour remettre toutes les chances de leur côté. Pas toujours évident. Mais il faut y croire

Pourquoi ? Pourquoi les millions déboursés pour le volet social n’ont-ils pas été investis dans l’entreprise ? Pourquoi l’usine a-t-elle été délocalisée en Allemagne alors que ce n’était pas plus rentable ? J’ai travaillé pendant vingt-neuf ans pour la société. Je faisais plus de 12 heures par jour… Je ne peux pas accepter la manière dont le licenciement a été géré.  » La voix provient du bureau de Pierre Leonetti, le conseiller emploi de la cellule de reconversion Sigma Coatings. Mise en place début février, elle accompagne les 159 travailleurs licenciés par la société de peinture industrielle, située à Manage. Jean Lewicki est l’un d’eux. Depuis le 1er février, il vient presque tous les jours. Pour demander une formation, se faire aider dans la rédaction d’un CV ou d’une lettre de motivation, apprendre à se vendre auprès des employeurs potentiels, obtenir de l’aide pour les démarches administratives, mais aussi pour parler, juste pour parler. La pilule a du mal à passer. Le licenciement survenu le 19 décembre dernier,  » un beau cadeau de Noël « , suscite encore de la colère, de l’incompréhension ou encore de l’humiliation parmi les salariés. Un sentiment qui devrait s’estomper avec le temps. Les murs en ont vu d’autres. Duferco, Axial, Lescalier, les cellules de reconversion se sont succédé au 1er étage du 12, avenue Georges Pirson. Un immeuble vétuste situé au bout d’une rue sans issue à La Louvière. Comme à chaque fois, tout a été installé dans l’urgence.  » Au début, il faut être là à 100 %. Les demandes doivent être traitées immédiatement. Sinon, les gens sont démotivés et on perd toute crédibilité,  » explique Leonetti.  » Dans la situation où je me trouve, je ne veux pas perdre de temps. Je veux travailler. Aujourd’hui, quand on cherche un job, on nous demande de connaître Excel, Access, Power Point… Je ne les connais pas. Je veux apprendre !  » confirme Jean Lewicki.

Oser la remise en question

Le nombre de cellules de reconversion a explosé après la faillite de la Sabena. On en compte actuellement une douzaine en Wallonie, toutes installées à proximité des travailleurs concernés : Bontex à Verviers, Alstom à Liège, Systemat à Charleroi…

En quelques semaines, celle de Sigma a déjà accueilli entre 50 et 60 anciens travailleurs de l’entreprise. Les autres ?  » On ne les laisse pas tomber. On leur téléphone, on garde le contact « , souligne Michel Martelez, accompagnateur social.

Lieu de solidarité, endroit où trouver de l’aide et des conseils pour chercher un emploi, les cellules sont plus que cela. Elles mettent aussi l’accent sur la réorientation des travailleurs et sur la réappropriation par ceux-ci de leur parcours professionnel. Beaucoup des salariés licenciés, surtout parmi les ouvriers, travaillaient depuis vingt ou trente ans pour le même patron. Ils sont entrés chez leur employeur à 14 ou à 15 ans, se sont formés sur le tas. Certains n’ont même pas leur diplôme du secondaire. Résultat : une sérieuse remise à niveau, voire une remise en question sont parfois nécessaires.  » J’essaie d’expliquer à ceux qui viennent me voir que leur licenciement constitue pour eux une chance d’acquérir des compétences supplémentaires. S’ils ne le font pas, ils risquent, même s’ils retrouvent du boulot, d’être rapidement confrontés à une situation analogue à celle qu’ils vivent maintenant. Ils ont tout intérêt à envisager quelque chose qui rapporte sur le long terme, à essayer de donner une valeur ajoutée à leur travail. Un homme de 47 ans est un jour venu me voir. Il travaillait depuis l’âge de 14 ans dans la métallurgie. La première chose qu’il m’a dite, c’est :  » Je ne sais ni lire ni écrire, mais je sais compter.  » Déjà se présenter de la sorte, c’est beaucoup. Il y a pas mal de personnes qui ne savent ni lire ni écrire mais qui n’osent pas le dire. L’intéressé a suivi une formation et, avant même d’avoir terminé ses cours, il signait un nouveau contrat comme soudeur, mieux rémunéré qu’auparavant « , se souvient Pierre Leonetti.

Label wallon

Les cellules de reconversion  » made in Wallonia  » sont une spécificité régionale. Elles sont principalement financées par la Région et l’Union européenne, et ne peuvent être mises en place que dans la foulée d’un licenciement collectif. A Bruxelles, il n’existe pas ce système d’aide publique spécifique. La Flandre a décidé, quant à elle, de faciliter l’accès, sous certaines conditions, à l’outplacement ; un service privé offert par l’employeur dans le cadre d’un licenciement tant individuel que collectif. A noter que l’outplacement est devenu un droit pour tous les travailleurs du pays qui sont licenciés entre 45 et 60 ans.

Selon Estelle Krzeslo, chargée de recherche au centre de sociologie du travail, de l’emploi et de la formation de l’ULB,  » les cellules se distinguent des autres systèmes par la présence des syndicats. Elles sont une des seules structures qui impliquent les représentants des travailleurs de cette manière. En France, des cellules de reconversion existent aussi, mais leur gestion est confiée à des consultants privés « . La présence des organisations syndicales est ainsi assurée par les accompagnateurs sociaux. Anciens délégués syndicaux de l’entreprise, ils garantissent la continuité de la vie collective de celle-ci au sein de la cellule de reconversion, ils maintiennent le lien entre les salariés. Ils contribuent aussi à donner une identité à leur cellule. Chacune d’entre elles est unique ; elle a été créée pour les travailleurs d’une entreprise déterminée, parfois d’un secteur. Un autre licenciement collectif ? Une autre cellule sera mise en place.  » On ne travaille pas de la même manière avec d’anciens travailleurs de la Sabena et avec ceux d’une société de peinture de la région du Centre. Le service doit être adapté à un public précis, ayant une problématique commune. Il faut d’autant mieux le connaître que notre tâche consiste à lui ouvrir des portes sur de nouveaux projets professionnels « , explique Anny Poncin, coordinatrice du service  » Plan d’accompagnement des reconversions  » du Forem et cheville ouvrière du projet.

Les résultats obtenus varient dès lors d’une cellule à l’autre. Selon le Forem, 80 % du public visé, en moyenne, s’adresse au moins une fois à sa cellule. Le taux de réinsertion varie quant à lui de 60 % à 90 % des travailleurs licenciés. Ces chiffres ne tiennent cependant pas compte du sort des travailleurs quelques mois après la fermeture de la cellule, ni du type d’emploi retrouvé : travail précaire ou non, contrat à durée déterminée, indéterminée, intérim… Ils ne prennent pas non plus en considération ceux qui quittent le marché du travail pour cause de prépension ou pour des raisons personnelles.

Changement de visage

Déjà reconnues au niveau européen, les cellules viennent d’être consacrées par un décret wallon. De structure informelle, elles deviennent désormais un droit pour les travailleurs wallons victimes d’un licenciement collectif. Mais elles garderont leur spécificité, leur méthodologie. Leur histoire, aussi. Les premières cellules ont été mises en place à la fin des années 1970, à une époque où nombre d’entreprises fermaient leurs portes sous l’effet de la crise et des mutations économiques. Ces cellules allaient de pair avec la reconversion d’un bassin d’emploi ou les évolutions technologiques, accompagnant des travailleurs de secteurs comme la sidérurgie, les charbonnages, le verre ou encore l’imprimerie. Les fermetures pour cause de modernisation ont aujourd’hui cédé la place aux fermetures pour cause de stratégie économique. Restructurations et délocalisations se multiplient. Pas question cependant de baisser les bras. Pour Anny Poncin, l’essentiel, c’est d’y croire :  » Dans une cellule, on doit être volontairement optimiste. Il faut renverser le schéma négatif. Il faut y croire. Des poches d’emploi existent. Il faut être créatif. Il faut trouver des solutions avec la personne concernée et partir de l’idée qu’il existe toujours une solution.  »

Géraldine Verssière

 » Il est plus facile de faire rebondir quelqu’un qui a quelques jours de chômage que quelqu’un qui y est depuis deux ans « 

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