La police à tous vents

Qui paie la police? L’Etat cherche à refiler aux communes et aux organisateurs d’événements privés la facture de certaines missions policières comme la sécurité dans les stades. Controverse

Les zones de police pourront-elles obtenir de particuliers le remboursement de prestations policières effectuées à leur seul profit? La loi du 7 décembre 1998 organisant le nouveau système policier (« police intégrée, structurée à deux niveaux ») prévoyait déjà cette possibilité. Le gouvernement Verhofstadt a décidé de lui donner une certaine consistance en précisant, par arrêté royal, une dizaine de missions de police locale qui pourraient devenir payantes (le montant plafond du prix de ces prestations devra être fixé ultérieurement par arrêté ministériel). La liste établie provisoirement – elle doit encore passer au Conseil d’Etat – comprend des interventions aussi disparates que l’encadrement des compétitions sportives, concerts, festivités et autres événements accessibles au public ou organisés sur la voie publique et à des fins lucratives; la capture d’animaux; les frais engagés pour assurer la conservation d’un bien; le déclenchement intempestif d’une alarme; les faux appels à la police; l’intervention pour un défaut de prévoyance (une course cycliste mal signalée); un lien direct entre la police et un système de surveillance; le placement en urgence de panneaux de surveillance pour des travaux privés empiétant sur la voie publique; la surveillance de biens en l’absence de menaces (par exemple, une brocante pendant la nuit). Bref, un catalogue à la Prévert dont la logique ne saute pas directement aux yeux: quid des patrouilles dans un zoning industriel? de la brocante de quartier? d’un défilé de majorettes plutôt qu’un autre?

L’idée d’obtenir le défraiement de certaines interventions de la police n’est pas neuve. Dans le courant des années 1990, Louis Tobback (SP), ministre de l’Intérieur, avait conclu un accord financier avec le secteur bancaire en vue de financer la protection, par la gendarmerie, des transporteurs de fonds. Certaines communes n’ont pas attendu le futur arrêté royal pour prendre des mesures qui leur permettent, par exemple, de faire payer les citoyens pour des déplacements inutiles lors du déclenchement intempestif d’une alarme. Autre cas d’école, unique à ce jour: Anderlecht, qui taxe le Sporting d’Anderlecht au prorata de ses recettes déclarées ( lire l’encadré). Il se dit d’ailleurs que la revendication de certaines zones de police flamandes de faire assumer par les clubs les surcoûts entraînés par les matchs à haut risque n’est pas étrangère à la décision précipitée du Conseil des ministres du 10 janvier dernier.

Pourtant, cette idée est loin de susciter partout le même enthousiasme, en particulier lorsque le club est en situation précaire ou que la volonté politique est d’en faire un outil de développement et de motivation pour toute une région. « Va pour le principe général, opine le commissaire Marc Garin, chef de la zone de police Mons-Quévy, mais c’est à examiner au cas par cas. Il existe un grand nombre de situations où je ne demanderais pas une intervention financière. Il faut aussi considérer l’aisance de l’organisateur. Je n’aurais pas eu de problème avec l’idée de réclamer une participation pour le Grand Prix de Francorchamps mais pas pour une brocante! »

N’empêche. Cette course désordonnée aux revenus financiers – alors que les communes ont encore obtenu, à la fin de l’année dernière, une augmentation de leur dotation pour les surcoûts générés par la réforme des services de police – n’est-elle pas aussi le signe d’une « marchandisation » rampante de la fonction de police? « Certains suggèrent que la police fédérale ou qu’une zone de police puissent présenter leur facture… à une autre zone de police pour les renforts policiers nécessités par un événement important, sachant que celle-ci pourra être honorée par l’organisateur, explique le commissaire Garin. On risque d’entrer dans un autre système, dont on ne sait pas où il va nous mener. »

Mais que fait la police? « C’est une question à laquelle il devient de plus en plus difficile de répondre, répondent en choeur Carrol Tange et Sybille Smeets, criminologues à l’ULB. Depuis la création des contrats de sécurité, en 1991, on assiste à une dilution de la fonction de police. D’une part, on brandit la spécificité du travail policier et, de l’autre, on disperse ses compétences à tous les vents par un recours accru au secteur privé (voir l’avant-projet de loi du ministre de l’Intérieur sur le gardiennage)ou par la délégation de certaines tâches policières à des « sous-statuts », comme les agents de prévention et de sécurité (APS), les auxiliaires de police ou les militaires. En même temps, ce service public tant glorifié entre dans un régime de prestations rémunérées. Où sont les limites? »

Un problème de définition se pose également à propos de ce qu’est « le vrai travail policier » qui revient, comme une incantation, dans tous les discours politiques. Est-ce la tranquillité publique, théoriquement assurée par « plus de bleu dans la rue » mais, en réalité, confiée à des agents moins bien payés et qui, eux, vont « au contact »de la population? Ou bien est-ce la lutte contre la criminalité et la gestion des grands problèmes de maintien de l’ordre, nettement plus valorisants sur le plan médiatique? « Le pouvoir exécutif donne l’impression de ne pas trop bien savoir lui-même où il va, remarquent les deux criminologues. Une chose, en tout cas, leur paraît évidente, comme elle l’est aux yeux de certaines organisations syndicales telles que Sypol ou de la société d’audit Price Water Coopers: il y a assez d’effectifs policiers en Belgique mais ils ne sont pas affectés au bon endroit.

Marie-Cécile Royen

Il y a assez d’effectifs policiers en Belgique, mais ils ne sont pas affectés au bon endroit

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