Jacques Schiffrin, un immense héritage. © ACHIVES SCHIFFRIN

La pléiade et « l’étoile »

Une pléiade de monuments de la littérature mondiale, dans une belle édition, à un prix raisonnable et dans un format maniable, voilà ce que cherchait à créer Jacques Schiffrin dans les années 1920 en lançant la Bibliothèque de la Pléiade. Ce Juif russe originaire de Bakou qui s’installe à Paris à la suite de la Révolution d’octobre fait grandir sa créature de papier mais, par manque de fonds, se laisse avaler par le giron Gallimard. Il reste cependant directeur des éditions jusqu’à ce que les nazis occupent le Paris qu’il a dû fuir et que Gaston Gallimard, sous la pression de l’occupant, lui signifie son licenciement.

Cette vie d’exilé, de Juif errant qui s’achève en Amérique, là où Jacques Schiffrin et sa famille finissent par échapper au sort tragique de millions de coreligionnaires, est racontée avec sobriété et sans emphase par Amos Reichman, historien, enseignant et haut fonctionnaire, qui illustre son propos de nombreuses photos, documents et, surtout, extraits d’échanges épistolaires. Avec Roger Martin du Gard d’abord, dont le rôle discret est néanmoins constant. Avec André Gide surtout, qui se laisse pourtant aller à des propos antisémites dans son journal avant de rencontrer Schiffrin, qui lui sera d’une amitié et d’un soutien indéfectibles au cours de la courte vie de l’éditeur. Peut-être parce que protestant lui-même, Gide sait historiquement ce qu’en France, être persécuté veut dire…

La pléiade et

Plane enfin sur ce bel hommage l’ombre de Gaston Gallimard qui, déjà, récupère une maison d’édition pour la faire sienne. Son rôle trouble durant la guerre rappelle également l’assassinat du sulfureux Belge Robert Denoël (éditeur de talent de Gide, Sarraute, Artaud, Genet, Freud… et premier à éditer Céline, mais également les textes de Roosevelt, Rebatet ou Hitler) au sortir de la guerre: à la veille de son procès en collaboration, il est tué d’une balle au moment de sortir de sa voiture, rue de Grenelle. Dans le véhicule, furent subtilisés une valise remplie de lingots et pièces d’or et un dossier à charge contre les autres éditeurs français qui ont collaboré, dont son grand rival, Gallimard. Lequel engloutira les éditions Denoël en 1946 et ne sera jamais inquiété.

Jacques Schiffrin: un éditeur en exil,par Amos Reichman, Seuil, 288 p.

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