La perle des Ardennes vidée de ses dynasties

Spa a surtout été une terre d’accueil pour la bourgeoisie plutôt qu’un lieu de résidence permanent. Les grandes familles qui y exercèrent un jour une influence se sont effacées et le pouvoir est actuellement davantage associé à quelques personnalités.

Deux casinos, deux clubs de golf, d’élégantes avenues commerçantes, de luxueuses villas où la bourgeoisie aime passer du bon temps. Les points communs sont nombreux entre Spa… et Knokke. Mais une différence sépare toutefois les deux entités : si la station balnéaire bon chic bon genre est notoirement le siège des Lippens depuis le début du XXe siècle et a été grandement influencée par des dynasties de propriétaires fonciers, la  » perle des Ardennes  » n’est associée à aucune grande famille marquante. Ni au niveau politique, ni au niveau économique, ni au niveau culturel.

La ville d’eaux semble plutôt avoir été le fief de quelques clans qui s’y sont succédé, sans jamais s’y ancrer durablement. Quelques noms émergent toutefois à certaines époques. Comme les Bredar, l’une des familles nobles les plus anciennes du territoire, qui compte parmi ses descendants un nombre important de maires et d’échevins, ainsi que de maîtres de forges dès le XVe siècle. Car l’essor de Spa, jadis, n’était pas seulement dû à son eau, mais aussi à son activité sidérurgique florissante, conséquence des nombreux minerais de fer présents dans les sous-sols.

Les Bredar donnèrent naissance aux Lezaack et aux Le Loup, très présents dès le XVIIe siècle et dont plusieurs membres choisiront la politique mais aussi les arts, comme le dessinateur Remacle Le Loup. Les Dalgy, leurs contemporains, furent quant à eux réputés pour la création d’une laque qui finira par porter leur nom et comptèrent dans leurs rangs quelques peintres et décorateurs. Autre nom qui comptait à l’époque : celui des Xhrouet, dont certains s’illustrèrent dans la peinture, d’autres devenant des tourneurs reconnus.

Si ces familles comptent encore aujourd’hui des descendants installés à Spa et dans les environs, ils font désormais partie des habitants anonymes et n’exercent plus d’influence particulière.

Elite européenne

La renommée spadoise qui s’étendit sur tout le Vieux Continent doit tout au thermalisme, qui commença à se développer dès le XVIe siècle puis à prendre de l’ampleur à partir du XVIIIe, avec l’émergence des bains carbogazeux et de tourbe. Sans oublier l’apparition des établissements de loisirs et de jeux : le premier casino moderne d’Europe, La Redoute, y fut construit en 1762. L’élite européenne y accourt, comme le tsar Pierre le Grand puis Victor Hugo, Casanova, Alexandre Dumas et toute la famille royale belge, en particulier la reine Marie-Henriette, qui y vécut plusieurs années et y mourut en 1902.

Ces hôtes de renom attirèrent petit à petit de riches familles bourgeoises et industrielles, liégeoises et verviétoises essentiellement, qui y firent construire de luxueuses secondes résidences sur les hauteurs sud-est de la commune. Le manoir de Lébioles par exemple, surnommé le  » petit Versailles des Ardennes  » par son fondateur Georges Neyt, fut occupé dès 1912 et pendant près de septante ans par un homme d’affaires liégeois, Edmond Dresse, puis par sa famille qui finira même par ajouter à son nom celui de son domaine.

De nombreux Peltzer, puissants industriels lainiers verviétois, y établirent aussi leurs quartiers. Comme Gaston, propriétaire du château du Vieux Nivezé (aujourd’hui détruit) et du château Peltzer, ou encore Edouard, qui acquit une partie du domaine de Nivezé pour y construire sa villa baptisée Le Neubois, devenue célèbre pour avoir abrité, en 1918, l’empereur d’Allemagne Guillaume II.

La famille Cockerill, à l’origine de la sidérurgie liégeoise, prit aussi quelques vacances à Spa, notamment dans son domaine du Marteau. Une rue porte son nom (tout comme une avenue se nomme  » Peltzer de Clermont « ) et William Cockerill, le père de John, est enterré dans le cimetière communal.

Certains de ces notables s’intéresseront à la vie politique, comme Henri Peltzer, bourgmestre au XIXe siècle ou le baron Joseph de Crawhez, qui occupa cette fonction au début du XXe siècle. Mais, souvent, leur titre relevait du prestige. Quant à la gestion quotidienne, très peu pour eux… Des échevins ou des secrétaires communaux étaient réellement aux commandes.

Tourisme de masse

La famille de Crawhez eut, elle aussi, pignon sur rue. Elle sera à l’origine de la construction du circuit de Spa- Francorchamps dans les années 1920, accompagnée de représentants de la famille de Thier, à qui l’on doit la création du quotidien La Meuse et qui avait un temps exploité les sources de Spa avant que les du Bois n’entrent au capital de l’entreprise (lire en page 90) et y restent jusqu’à aujourd’hui.

Spa et ses alentours auraient compté pas moins de 500 résidences, villas et châteaux au début du XXe siècle, dont une majorité dans de larges étendues boisées à l’abri des regards. Mais toutes ces illustres dynasties se sont aujourd’hui effacées de la vie spadoise. Nombre de demeures ont été détruites pendant la Seconde Guerre mondiale et il n’en reste plus que quelques dizaines, transformées en hôtels de luxe (comme le manoir de Lébioles), maisons de retraite ou centre de convalescence (comme le domaine de Nivezé, aujourd’hui géré par la Mutualité chrétienne).

Les deux guerres mondiales, suivies du développement d’un tourisme de masse et de celui d’un thermalisme social, initié par le docteur Jean Barzin, élu bourgmestre en 1946, contribuèrent sans doute au désintérêt progressif des grands bourgeois. Tant et si bien qu’aujourd’hui, plus aucune grande lignée ne fait la pluie et le beau temps sur la  » perle des Ardennes « . Quelques familles entrepreneuriales subsistent, comme les du Bois (Spadel) ou les Lejeune (R. Lejeune & Fils), les deux plus gros employeurs de la région. Mais dans une relative discrétion. Quant aux nombreux hôtels et gîtes situés sur le territoire, ils sont exploités soit par de grands groupes, soit par des particuliers. Non par des exploitants qui se transmettent les lieux de génération en génération.

Spa est toujours un lieu de rendez-vous du gratin. En témoigne la présence du Waux-Hall Club (lire en page 87), très sélect cercle réservé à 120 membres triés sur le volet. Mais ceux-ci sont plutôt des spectateurs, pas des participants. L’influence est partagée par quelques personnalités. L’inamovible bourgmestre, Joseph Houssa, qui porte l’écharpe maïorale depuis 1983. Son échevin Charles Gardier, coorganisateur des Francofolies. Les échevins Sophie Delettre et Paul Mathy. Les Gaspard, Philippe et Hélène, propriétaires du magasin de mode Au Fuseau. Et quelques autres encore. Peut-être parmi eux les fondateurs d’une grande lignée ?

Dossier coordonné par Philippe Berkenbaum, avec Mélanie Geelkens; Mélanie Geelkens

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