La Palestine selon Sharon

La question n’est pas de savoir si Ariel Sharon pourra faire ce qu’il dit. Il le pourra car, si radicaux et déterminés que soient ces colons qu’il veut désormais évacuer de Gaza, l’opinion israélienne a très favorablement réagi à l’annonce de ce projet et c’est, après tout, ce même Ariel Sharon qui avait conduit, sans recul, le démantèlement des colonies du Sinaï, en 1982.

Sa détermination est d’autant plus grande qu’il pourrait ainsi se refaire une popularité, ressourcer sa légitimité dans un référendum ou des élections anticipées, et que le travailliste Shimon Pérès lui a d’ores et déjà promis une majorité de rechange s’il passe aux actes.

Ariel Sharon a tous les moyens politiques de décoloniser Gaza, mais comment expliquer qu’il veuille soudain lâcher du lest, beaucoup de lest, sans contrepartie des Palestiniens, lui qui se refusait, hier, à leur faire la moindre concession tant que les attentats n’auraient pas cessé ?

La raison en est qu’il a finalement compris, avec dix ans de retard sur la gauche, qu’Israël ne pourrait pas continuer à occuper les Territoires sans que les Palestiniens ne deviennent majoritaires dans ce Grand Israël qui fut le dessein du Likoud.

D’autres choses ont compté. Les sondages montraient un désir croissant des Israéliens de sortir de l’impasse où leur Premier ministre les a menés. Plus de 40 % d’entre eux approuvent maintenant l’initiative de Genève. Cela compte, mais la motivation profonde d’Ariel Sharon est qu’il a enfin renoncé au rêve pernicieux d’un Israël s’étendant dans l’entièreté de ses frontières bibliques.

C’est nouveau, positif, porteur d’avenir, et tout indique, qui plus est, qu’il voudrait en conséquence aller vers un retrait unilatéral de l’ensemble des territoires palestiniens û non seulement de Gaza, mais aussi de la partie de la Cisjordanie qui se trouvera de l’autre côté de la  » ligne de sécurité  » qu’il est en train d’ériger.

Très bien, donc parfait ?

Non, bien au contraire en réalité, car Ariel Sharon tracerait alors lui-même les frontières d’une Palestine en deux morceaux, Gaza d’un côté, la Cisjordanie amputée de l’autre, d’un Etat qui non seulement ne serait pas viable, mais qui aurait toujours de légitimes revendications territoriales sur Israël.

Cela ne fonderait pas la paix, mais perpétuerait la guerre.

Ariel Sharon ferait là la même erreur qu’Ehud Barak lorsqu’il s’est unilatéralement retiré du Sud-Liban. Ce retrait serait vécu comme une victoire des kamikazes. Il encouragerait la violence au lieu d’y mettre un terme. Surtout, il n’obligerait les Palestiniens à rien, pas plus à reconnaître le droit d’Israël à l’existence qu’à abandonner le droit au retour des réfugiés en échange de leur Etat.

Une telle Palestine serait un ennemi rêvant de revanche, le contraire d’un partenaire avec lequel développer une coexistence pacifique. Ariel Sharon invente, là, une autre manière de mettre en danger la pérennité d’Israël û hier l’intransigeance, aujourd’hui l’unilatéralisme.

de Bernard Guetta

Ce serait une erreur de tracer unilatéralement les frontières d’un pays en deux morceaux : Gaza d’un côté, la Cisjordanie amputée de l’autre

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire