La minorité protégée qui contrarie la Flandre

Conflit d’intérêts, sonnette d’alarme, lois spéciales, parité linguistique : à l’abri de leurs mécanismes protecteurs, les francophones entraveraient désormais la marche en avant de la Flandre… et mèneraient le pays à sa perte.

Trois ans que la boutique belge ne tourne plus rond. Et le coupable est tout désigné : il se blottit au sud de la frontière linguistique. Occupé à jouer la montre, à l’abri d’une panoplie de mécanismes institutionnels qui lui assure une position de force. La Flandre, supérieure en nombre, se lasse et s’irrite des agissements de la minorité francophone qui l’empêche de voler de ses propres ailes.

Les francophones ne connaîtraient plus leur bonheur d’être une espèce bien protégée, dans un pays en majorité peuplé de Flamands. Dans le nord du pays, des voix courroucées leur jettent à la figure la vérité de certains chiffres. 88 députés flamands sur 150, 41 sénateurs néerlandophones sur 70. Avantage numérique à la Flandre, au Palais de la Nation. Mais dans les faits, une domination démocratique entravée depuis quarante ans. Depuis que, dans le cadre de réformes de l’Etat successives, les francophones ont obtenu des moyens d’empêcher que la loi du nombre ne s’applique à leurs dépens. Elémentaire précaution : sans ces outils, le poids de la démographie rendrait les Flamands gagnants à tous les coups. Ceux-ci s’en sont longtemps accommodés, sans renâcler. Tout partait d’une bonne intention :  » Les travaux parlementaires l’attestent, la volonté initiale n’a jamais été d’instaurer des verrous de blocage mais bien des techniques de pacification communautaire « , rappelle le professeur de droit public aux Facultés de Namur, Hendrik Vuye. Il a fallu que les choses dégénèrent.

2007, l’an I de l’impasse politique qui cabre les Flamands. Ils accusent désormais la minorité francophone de ne plus jouer le jeu, d’aller jusqu’à mettre le pays à genoux en sabotant sa démocratie. Wilfried Dewachter, politologue émérite de la KUL, ne cache pas sa fureur au Vif/L’Express :  » Depuis trois ans, ce gouvernement fédéral a été incapable d’agir correctement pendant plus d’une semaine. Le sauvetage en catastrophe de Fortis, début octobre 2008, est l’exception qui confirme une règle : ce pays est devenu ingouvernable, indigne d’un Etat du xxie siècle !  » La faute aux dirigeants francophones, pris en flagrant délit de déloyauté fédérale. Parce qu’ils refusent de se plier aux v£ux de la majorité :  » Dans toute démocratie qui se respecte, une décision politique se prend toujours majorité contre opposition.  » Au passage, l’homme charge la barque : la Région bruxelloise (où les néerlandophones sont une minorité protégée…) fait partie du lot de ces  » veto aux effets mortels « .  » Avec ses 7 % de suffrages valablement exprimés, Bruxelles est en capacité de tout bloquer. Alors qu’elle a besoin des Flamands et de l’argent de la Flandre, elle ne fait que l’irriter. « 

Un mur infranchissable

Refrain connu. Entonné en 2008, par voie de manifeste, par le Gravensteengroep, groupe d’intellectuels flamands :  » Si la minorité veut vraiment que le pays, dont partout elle hisse le drapeau, soit finalement respecté par la majorité, il va falloir qu’elle se voue au respect de cette majorité.  » Cet avertissement ne donnerait ainsi aux francophones, ni le droit de refuser indéfiniment une réforme de l’Etat ni de s’opposer sans relâche au démembrement de BHV. Or c’est tout le contraire qui se produit. Des avancées institutionnelles ? La Flandre se heurte à un mur qu’elle juge infranchissable. Son unique parlement lutte à un contre quatre face aux assemblées parlementaires majoritairement et/ou exclusivement francophones. Des majorités spéciales rendent les francophones incontournables. Ils peuvent aussi débrancher la prise en tirant la sonnette d’alarme au Parlement fédéral. Le litige sera alors renvoyé in fine au gouvernement, où les ministres francophones font jeu égal avec leurs homologues néerlandophones.  » L’usage de ces mécanismes de retardement peut être considéré comme un abus de droit lorsqu’ils servent à bloquer ou à différer indéfiniment une décision « , estime le politologue Bart Maddens. La simple menace a un effet dissuasif.

Blocage, perversion du système.  » Nous avons verrouillé notre démocratie. Et ces verrous qui paralysent la Belgique n’existent que sur le plan communautaire « , déplore Hendrik Vuye. Nostalgie d’un temps passé :  » En 1962, quand la frontière linguistique a été tracée, de nombreux Bruxellois et Wallons ont voté contre, mais il n’existait pas encore de verrous à l’époque. La loi a été votée, il y a eu une solution.  » Avec une telle manière de procéder, BHV serait une affaire réglée, sa scission une saga oubliée, soupire le spécialiste. Qui en tire pour moralité :  » Quelquefois, à terme, une décision majorité contre minorité suscite davantage de paix communautaire que la recherche incessante d’une solution consensuelle. « 

Raisonnement séduisant. Mais il laisse Vincent de Coorebyter à la fois songeur et dubitatif :  » On ne peut pas dire que les francophones abusent. A l’exception de l’usage répété de la procédure en conflits d’intérêts : cette perversion rend l’irritation flamande compréhensible. Ce ne sont pas les mécanismes qui sont en cause, mais une donnée structurelle : l’existence de deux peuples, de deux composantes dans un pays. Ce que les partis flamands craignent, c’est qu’en transformant ces mécanismes en droits de veto, les partis francophones n’acceptent finalement une réforme de l’Etat qu’à la condition qu’elle leur soit favorable. Une sorte de surenchère les a dès lors conduits à  » n’être demandeurs de rien ». Mais les choses changent « , décode le directeur général du Crisp.

Ce petit jeu-là, le nord du pays ne le tolère plus. Il prétend d’ailleurs ne pas le comprendre. Que les francophones se rassurent, que Di Rupo ne désespère pas : même en position de minorité, ils pourront encore avoir leur mot à dire…  » Ce qui est bon pour les Flamands sera bon aussi pour les Wallons ! Qui est chancelière en Allemagne ? Angela Merkel, originaire du Land le plus pauvre de l’ex-Allemagne de l’Est. Cela ne l’a pas empêchée devenir la première femme du pays « , assène Wilfried Dewachter.  » Le clivage communautaire n’est qu’un parmi d’autres. Flamands et francophones ne sont pas différents sur tout : les questions de l’avortement ou de l’euthanasie ne les ont pas systématiquement opposés et ont été tranchées par un vote majorité contre opposition. La pilule a été amère pour les perdants, mais au moins y a-t-il eu une solution « , abonde le Pr Vuye. Et puis, gare ! A trop abuser, la Flandre saurait s’en souvenir le jour venu.  » S’il fallait en arriver à scinder la dette publique, le partage pourrait très bien se faire moitié-moitié. Et non en fonction du poids numérique de la Flandre… « , prévient le Pr Dewachter. La dent dure.

P. HX

 » LA VOLONTÉ INITIALE N’A JAMAIS ÉTÉ D’INSTAURER DES VERROUS DE BLOCAGE « 

 » SI ON DOIT SCINDER LA DETTE, CE POURRAIT ÊTRE AUSSI MOITIÉ-MOITIÉ… « 

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