La maison remise à neuf

Dépassé par l’évolution des techniques, des métiers et du marché, le décret audiovisuel de 1987 ne tenait plus la route. Le nouveau décret, qui sera bientôt voté, élargit le cadre et redéfinit les balises

Elle avait fini par ne plus ressembler à rien, la maison audiovisuellede la Communauté française construite par le législateur! Bâtie voici seize ans selon un plan d’ensemble plutôt bien ficelé (le décret de juillet 1987), elle avait réservé un étage aux télévisions privées et radios locales. Les télédistributeurs occupaient un autre étage, assez vaste, mais pas autant que celui réservé à la publicité sur les ondes. La chambre du nouveau-né abritait le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Il y avait aussi un curieux placard, destiné aux « autres services » peut-être à venir. La RTBF, elle, avait droit à ses propres dépendances, plus anciennes.

Il ne fallut pas plus d’un an pour que l’édifice subisse une première modification. Une dizaine d’autres suivront. C’est que tout changeait aux alentours: les technologies évoluaient et diversifiaient les modes de diffusion, l’Europe imposait ses directives, les chaînes thématiques apparaissaient, l’offre de programmes grimpait à toute allure. Bref, la maison audiovisuelle était devenu un machin difforme, rafraîchi par-ci, délabré par-là. On ajouta, en 1997, un étage pour les radios privées et un CSA remanié, et un autre pour les nouveaux statuts de la RTBF, encore modifiés depuislors. En outre, les normes européennes n’avaient pas encore trouvé place dans ce fatras.

Dans quelques jours, tout cela sera de l’histoire ancienne: le parlement de la Communauté française votera – et peut-être à l’unanimité, s’il vous plaît – le nouveau décret de l’audiovisuel.

Une véritable brique. Le décret compte pas moins de 165 articles, alors que celui de 1987 n’en comprenait que 49. Il est vrai que celui-ci rassemble toutes les matières audiovisuelles. A une grosse exception près: le statut de la RTBF et son contrat de gestion font toujours l’objet de dispositions séparées. « C’est dommage de ne pas avoir tout intégré, regrette Julie De Groote, députée CDH. La logique du législateur n’est pas menée jusqu’au bout. » Si elle fut la seule à s’abstenir lors du vote en commission, Julie De Groote n’exclut pas d’approuver le décret en séance plénière, pour autant qu’elle fasse passer un amendement assez mineur. Pour le reste, « j’avais voté contre le décret organique sur la RTBF parce qu’il était politique et qu’il favorisait certaines nominations. Mais ce décret-ci n’est pas politique ».

Truffé, en effet, de considérations techniques et procédurières, le texte est articulé autour de quelques lignes de forcesoriginales, pas toujours perceptibles pour le grand public, mais dont les effets seront concrets et importants.

Les obligations des chaînes. Les télévisions étrangères diffusent librement chez nous au nom de la directive « Télévisions sans frontières ». Celles qui sont agréées par la Communauté française parce qu’elles sont belges francophones (RTL-TVI, AB3,Canal+ Belgique) ou parce qu’elles diffusent un programme spécifique chez nous (la chaîne musicale MCM, par exemple). Toutes celles-là sont tenues de contribuer financièrement au développement de la production audiovisuelle indépendante.

Jusqu’à présent, les conditions de cet effort étaient négociées entre la chaîne et le gouvernement communautaire. Le nouveau décret remplace ce système par un régime commun d’autorisation. Les responsables politiques n’interviendront donc plus au cas par cas dans ce qui pouvait être, parfois, un véritable marchandage. « Le nouveau système sera plus transparent et il bétonne le principe des aides à la production », se réjouit Richard Miller (MR), ministre de l’Audiovisuel et « pèreporteur » du décret. Et la chaîne de cinéma si chère à son coeur? Il nous revient qu’on mijote en coulisses un amendement « sur mesure » selon lequel les chaînes thématiques à vocation européenne émettant depuis la Communauté française seraient dispensées de toutes obligations…

Vers l’abandon du « must carry ». Les chaînes autorisées bénéficient automatiquement d’une obligation faite aux télédistributeurs de les reprendre dans leur offre aux abonnés, encore réduite. C’est le « must carry ». Mais, avec la technologie numérique qui permet de transporter bien plus de programmes, cet avantage n’aura plus de sens. Le décret supprime donc l’automaticité (sauf pour la RTBF), mais prévoit encore un possible « must carry » qu’il fera alors payer très cher.

Un CSA plus fort. Modifié encore une fois, et ramené de 3 à 2 collèges (un pour les avis, l’autre pour les contrôles et autorisations), le Conseil supérieur de l’audiovisuel reçoit la personnalité juridique, des moyens supplémentaires, et plus de pouvoirs d’autorisation, ce qui réduira d’autant le rôle de gendarme du ministre. Le CSA se voit aussi, et surtout, reconnaître une compétence à l’égard de la RTBF, un sujet de polémiques répétées. Sanctionnée 4 fois (sur un total de 38 dossiers la concernant), la RTBF a contesté à deux reprises, devant le Conseil d’Etat, ce pouvoir du CSA à son égard. Les affaires sont toujours en cours, mais les règles, dorénavant, seront claires. Et les commissaires du gouvernement à la RTBF ne s’occuperont que de ce qui ne concerne pas le CSA.

Des rôles distincts. Les métiers de l’audiovisuel se diversifient et, demain, on pourra voir, par exemple, un opérateur distribuant sur un réseau câblé qui ne lui appartient pas des émissions qu’il ne produit pas. Le décret comble le retard législatif et établit trois types d’activités : les « éditeurs de services » (télés ou radios, payantes ou gratuites), les « distributeurs de services » (qui commercialisent des abonnements, des bouquets…) et les « opérateurs de réseau » (par câble ou par voie hertzienne). Chaque acteur se voit soumis à des règles spécifiques, et les télédistributeurs, par exemple, ne devront plus demander une autorisation tous les neuf ans.

Télévisions locales. Chacune a une zone de couverture bien précise pour ses informations, mais les zones de diffusion, elles, peuvent déborder jusqu’à couvrir, en théorie, toute la communauté française.

Dans quelques jours, Miller accrochera très opportunément une plume supplémentaire à son chapeau ministériel. Pour le candidat de soutien au Sénat aux élections du 18 mai, le vote de « son » décret tombe à merveille. Il jure qu’il ne l’a pas fait exprès. « Je suis entré au gouvernement un an après sa constitution, et dix-huit mois n’ont pas été de trop pour ce genre de boulot. » Soit. L’essentiel est que l’audiovisuel ait son cadre flambant neuf.

Jean-François Dumont

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