Pour l'acteur et réalisateur français, c'est sûr, "nos enfants ne pourront plus être écolos d'une manière gentille". © belga image

La légèreté

Vu cette année chez Woody Allen et Rachel Lang, l’acteur et réalisateur français Louis Garrel se confie sur sa vie, ses projets, ses espoirs et ses peurs, levant notamment le voile avec l’humour et le charme qu’on lui connaît sur son rapport décomplexé au grand mal de notre époque: l’angoisse écologique.

Dans le dernier Woody Allen, Rifkin’s Festival, sorti début septembre, il incarnait un cinéaste français chic et volage pris dans un marivaudage désinvolte sous le soleil ibérique. Plus récemment, dans Mon légionnaire, le deuxième long métrage de la réalisatrice française basée à Bruxelles Rachel Lang, il campait un soldat expérimenté dont la routine très régulée était marquée par l’éloignement et l’absence sous toutes ses formes. Prochainement, on le verra chez Michele Placido aux côtés d’Isabelle Huppert, chez le réalisateur de Martin Eden Pietro Marcello ou encore dans une nouvelle adaptation des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas… Louis Garrel, c’est sûr, ne chôme pas. Et quand il ne fait pas l’acteur, celui qui jouait il y a peu Jean-Luc Godard dans Le Redoutable de Michel Hazanavicius travaille sur ses propres projets en tant que réalisateur. Dont l’un, La Croisade, présenté à Cannes cet été, a été scénarisé par feu Jean-Claude Carrière et met en scène des enfants bien décidés à tout mettre en oeuvre pour sauver la planète du cauchemar climatique…

Face à l’urgence climatique, l’humanité a besoin aujourd’hui d’une réponse aussi forte que celle qui s’est imposée face à la Covid. C’est-à-dire qu’à un moment donné, on a tout arrêté. C’est de ça dont on a besoin: tout arrêter le temps de trouver une solution. A un moment, il faut pouvoir éteindre le moteur.

Cet été, à Cannes, votre film La Croisade intégrait une section spéciale du festival, qualifiée d’éphémère, en faveur de l’environnement, et baptisée « Le cinéma pour le climat ». Quel est votre rapport à l’écologie?

Ce qui est certain, c’est que je ne suis pas militant ou quelque chose de ce genre. Dans La Croisade, on s’est amusés avec Jean-Claude Carrière à imaginer des enfants un tout petit peu en avance sur ceux d’aujourd’hui. C’est-à-dire qu’ils ne se contentent plus de participer à des manifestations, ils construisent véritablement des choses pour un changement concret. Ils sont à l’étape d’après. Ils ne demandent plus l’autorisation pour avancer. Joseph, le personnage principal, a une douzaine d’années mais il n’est pas hystérique avec l’histoire de la cause militante, il a quelque chose de très détaché, et ça, ça me plaît beaucoup. Avec Jean-Claude, on ne voulait pas d’un film militant. Parce qu’un film militant, ça définit le Bien, le Mal, et par conséquent, ça accule les spectateurs. Je reste convaincu qu’il faut avant tout faire les choses avec humour. Je préfère toujours être dans la satire, la fantaisie. A travers un film, il faut pouvoir être capable d’évoquer un sujet important mais qu’on reste avant tout dans le plaisir du cinéma.

Quelles étaient vos préoccupations quand vous aviez 12 ans?

S’il y a bien un truc propre à l’enfance, je crois, c’est le plaisir qu’il y a à cacher des choses à ses parents. Donc à 12 ans, j’essayais un maximum de faire des trucs que mes parents ne savaient pas. Mais bon, soyons honnêtes, on est surtout très obsédé par la sexualité quand on a 12 ans. Donc moi, j’étais vraiment comme dans le livre de Philip Roth, Portnoy et son complexe. Ma jeunesse n’avait vraiment rien à voir avec celle de Greta Thunberg qui prend des bateaux et traverse l’Atlantique afin de lutter pour ses idéaux écologiques. C’était plutôt Portnoy ( sourire).

Louis Garrel aux côtés de son épouse, Laetitia Casta, dans La Croisade (2021), sa troisième réalisation.
Louis Garrel aux côtés de son épouse, Laetitia Casta, dans La Croisade (2021), sa troisième réalisation.© le pacte

Vous êtes vous-même le père d’une fille de 12 ans, d’origine sénégalaise, adoptée en 2009 avec l’actrice Valeria Bruni Tedeschi. Que pensez-vous justement de cette génération Greta Thunberg?

En un sens, je pense que ces jeunes ont une chance vraiment extraordinaire. Bon, le constat est extrêmement violent, bien sûr… C’est-à-dire que nous, on n’a pas grandi avec l’idée et l’angoisse que notre existence affectait l’environnement et la Terre. Eux si, ils grandissent avec ça constamment à l’esprit. Ils ne pourront donc plus être écolos d’une manière gentille. Parce que le problème aujourd’hui avec les écolos, c’est qu’ils sont un peu vus comme des gens gentils qui font de belles tomates bio. Il y a quelque chose de complètement désuet là-dedans. Quasiment new age. Je pense d’ailleurs qu’il faudrait changer les mots. On ne peut plus appeler un parti politique le parti écolo, par exemple, ce n’est plus assez fort. Ça dénote presque une forme de naïveté. Mais soit, c’est un autre débat. Je pense qu’il y a quelque chose de fort et de vital qui se développe chez les jeunes d’aujourd’hui en lien avec l’idée de préservation de la Terre. Beaucoup de jeunes ont une conscience de ce qui est juste. Et cette conscience ne se traduira plus forcément par des manifestations ou des grèves. C’est, je pense, plutôt l’idée de commencer à inventer, à imaginer des choses, et même d’être dans un rapport ludique, mais toujours constructif, au monde. Les jeunes ont complètement dépassé notre vision des choses. Ils ont conscience qu’on est à l’aube de quelque chose et qu’il faudra entreprendre des travaux dignes de Roosevelt, mettre en place une espèce de plan Marshall du changement climatique. On en est là.

Vous semblez plutôt optimiste…

C’est important de rester dans l’espoir par rapport à tout ça, oui, sinon on se tire une balle tout de suite. Il faut croire qu’une solution est possible. Je suis d’accord avec le philosophe Bruno Latour quand il dit que cette nouvelle conception du rapport de l’homme à la Terre qu’appelle l’urgence climatique tient d’une révolution digne de celle initiée par Galilée. Mais je pense qu’il faut aussi envisager tout ça comme quelque chose d’extrêmement réjouissant, comme une porte ouverte vers plein de nouvelles choses. Même si c’est angoissant, ça reste très enthousiasmant. Cette question historique qu’on est en train de vivre, elle ouvre des perspectives joyeuses, et pas des perspectives catastrophistes ou apocalyptiques. C’est une aventure, en fait. Il faut voir avant tout les possibilités de construction, de réinvention. Dans un état d’esprit très enfantin. L’enfance, c’est le moment de l’existence où on n’a pas encore de feuille d’impôts, où on n’a pas sa carte électorale et où, surtout, on n’a pas encore cette espèce de pseudo-rationalité qu’on traîne tous. Donc le terrain de jeu, il est beaucoup plus vaste. Quand on est petit, on dit toujours: « Quand je serai grand, je ferai ça, ça et ça… » Mais dans les faits, c’est très rare que ça se passe de cette façon. Parce que l’existence, c’est comme un entonnoir. Petit à petit, ça se rétrécit. Et on finit tout seul dans sa chambre avec son téléphone. Il faut pouvoir renouer avec le plaisir de l’enfance et de l’aventure. En épousant par empathie l’apparente naïveté des enfants, je pense que cette naïveté-là peut redevenir une vraie lucidité.

Les réponses politiques au problème climatique semblent bien dérisoires aujourd’hui…

C’est vrai que la réponse de la France a un moment donné, ça a été d’enlever les touillettes des cafés. Bon, comment dire, je crois que ça ne va pas être suffisant ( sourire). Je pense d’ailleurs que, en soi, ça ne sert même plus à rien de trier ses déchets. Dans le sens où ce n’est pas ça qui sera vecteur de changement. Face à l’urgence climatique, l’humanité a besoin aujourd’hui d’une réponse aussi forte que celle qui s’est imposée face à la Covid. C’est-à-dire qu’à un moment donné, on a tout arrêté. C’est de ça dont on a besoin: tout arrêter le temps de trouver une solution. A un moment, il faut pouvoir éteindre le moteur. On ne peut plus se contenter de dire: je suis en cinquième, je passe en quatrième. Ça, c’est juste complètement suicidaire. Si Greta Thunberg est si forte, je pense, c’est parce qu’elle fait peur. Et qu’elle est très juste dans ses happenings politiques. Quand on voit des gens qui l’attaquent, on a envie de la défendre. Elle a une intelligence lucide, politique, très forte. Elle est complètement dans le juste. C’est comme si elle avait la capacité de réveiller les gens qui dorment.

Une règle d’or que Jean-Claude Carrière m’a apprise, c’est qu’il faut absolument éviter d’être psychologique dans l’écriture d’un film. Les personnages se définissent par ce qu’ils font, et non pas par une psychologie préétablie qu’on pourrait leur attribuer. Dans la vie, c’est comme ça aussi. L’action nous définit.

Le cinéma a-t-il un rôle à jouer? En s’emparant de vastes problématiques sociétales, peut-il contribuer à faire bouger les lignes?

C’est inévitable qu’il s’en empare. Parce qu’à vrai dire, aujourd’hui, s’il ne devait plus rester qu’un sujet, ce serait celui-là: l’urgence climatique. Il y va quasiment d’un sursaut de l’espèce. Parce que l’espèce humaine, elle veut survivre, elle veut continuer à se perpétuer. Moi-même, je n’ai pas de conscience globale. Au quotidien, je suis dans des problématiques très bas du front. Je pense à mes chaussettes, à mon pantalon à pinces ou sans pinces… Et pourtant, j’ai fini par m’emparer de ce sujet. Parce que Jean-Claude Carrière a attiré mon attention là-dessus. La Croisade, c’est le dernier film qu’il a scénarisé avant de tirer sa révérence. Il se sentait déjà très fatigué et je pense vraiment qu’il s’est dit qu’il n’y avait plus qu’un sujet qui valait la peine d’être encore traité, et c’est celui-là. Parce qu’aujourd’hui, soit la société bouge, soit bientôt le cinéma ne se résumera plus qu’à un ensemble de films de propagande pour sauver notre peau. Pour répondre à votre question, donc, je dirais qu’il serait temps que la société change pour que les films ne deviennent pas que ça. Parce que bientôt, on n’aura plus le choix. Au fur et à mesure que les températures augmenteront, on n’aura plus envie de filmer des histoires d’amour. A quoi ça servira? Ou alors limite du porno, parce qu’il fera trop chaud pour garder ses vêtements ( sourire). Aujourd’hui, le monde ressemble à un film d’anticipation devenu très réel.

Louis Garrel sur le tournage de son premier long métrage en tant que réalisateur, Les Deux Amis (2015).
Louis Garrel sur le tournage de son premier long métrage en tant que réalisateur, Les Deux Amis (2015).© DR

Jean-Claude Carrière est décédé en février de cette année. C’était un immense scénariste, qui avait travaillé avec Luis Buñuel, Milos Forman, Louis Malle, Volker Schlöndorff, Andrzej Wajda ou encore avec votre père Philippe Garrel… Parmi d’autres. Il avait en outre scénarisé vos deux dernières réalisations. Comment le décririez-vous?

Il était très intelligent et très curieux du monde en général. Ce n’était pas un cinéphile obsessionnel. Il avait une connaissance très précise de la géographie, des cultures, des religions, de l’histoire… Quand il faisait un film, il fallait que ça dise quelque chose. C’était vraiment un stakhanoviste de dingue. J’ai vécu un peu chez lui et quand je me levais à 13 heures, il me disait: « Regarde, moi j’ai déjà écrit tout ça aujourd’hui. » Ça me faisait beaucoup complexer. Une règle d’or qu’il m’a apprise, c’est qu’il faut absolument éviter d’être psychologique dans l’écriture d’un film. Les personnages se définissent par ce qu’ils font, et non pas par une psychologie préétablie qu’on pourrait leur attribuer. Dans la vie, c’est comme ça aussi. L’action nous définit. C’est une idée qui lui venait de Tchekhov. Moi, j’avais un rapport avec lui qui était très drôle, parce qu’on était vraiment très amis et c’est vraiment quelque chose d’étrange d’avoir comme meilleur copain un type de 89 ans. Je crois que lui aussi était très content de traîner avec un mec de 50 ans de moins que lui. Il me disait toujours que ça lui évoquait ses débuts, quand il coscénarisait les films de Pierre Etaix. Etaix était comme moi un acteur-réalisateur, et notre dynamique lui rappelait la leur.

Dans vos deux dernières réalisations scénarisées par Carrière, vous jouez aux côtés de votre épouse, Laetitia Casta. Est-ce difficile, dans ces cas-là, de séparer le professionnel et le privé? L’aura du couple que vous formez ne risque-t-elle pas parfois de faire de l’ombre aux projets?

Quand on avait tourné L’Homme fidèle ensemble, j’avais fait des erreurs. La fois suivante, j’ai fait plus attention. D’ailleurs, Laetitia m’a dit à la fin du tournage: « C’est bien, tu as fait moins d’erreurs que la dernière fois, tu t’améliores. » ( sourire) Mon erreur quand je suis derrière la caméra, c’est parfois d’oublier que les acteurs connaissent mieux leurs personnages que les metteurs en scène. En tant que comédien, je devrais le savoir pourtant. Mais on a tendance à oublier qu’il faut donner davantage de liberté aux acteurs. Et peut-être que je me donnais le droit, comme je la connais très bien, d’être un tout petit peu plus envahissant encore avec Laetitia. Là maintenant, ça suffit. J’ai fait des progrès. Mais il y a autre chose. C’est que même si on se connaît très bien, un acteur aura toujours un côté docteur Jekyll et M. Hyde. C’est-à-dire que Laetitia sur un plateau de cinéma n’est pas du tout comme Laetitia dans la vie. C’est une nouvelle Laetitia. Et moi je brûlais de retrouver Mrs. Hyde. C’est pour ça que j’ai refait un film avec elle.

L’an dernier, vous apparaissiez dans la cinquième saison du Bureau des légendes. Quel est votre rapport aux séries télé?

Le cinéma, pour moi, c’est avant tout une expérience collective. Les films sont faits pour être vus à beaucoup dans une grande salle. Pour partager quelque chose tous ensemble. Pour ça, les séries, c’est un peu masturbatoire. On en revient à Portnoy ( sourire). Le cinéma, c’est plus orgiaque. Je préfère ( sourire). Et puis les séries, ce n’est vraiment pas ma culture. Moi j’aime bien les sprints, je n’aime pas les marathons. D’ailleurs, quand je regarde les Jeux olympiques, je regarde toujours la vitesse. J’adore le 100 mètres en athlétisme, qui reste vraiment l’épreuve reine. L’endurance, ça ne m’intéresse pas.

Il paraît que vous êtes un grand fan du cinéma de Nanni Moretti…

C’est vrai. Il est vraiment très fort. Il est toujours en train de naviguer avec un trait d’esprit humoristique tout en étant capable de composer un portrait très profond. C’est ce qui fait que ses films sont à la fois très légers, très faciles à regarder, mais en même temps qu’ils creusent quelque chose en vous. La légèreté, c’est la chose que je recherche le plus en général. Il y a une phrase de Milan Kundera qui disait en substance: « Est-ce qu’on est plus profond quand on est léger ou quand on est grave? » Je pense que quand on est léger, on est parfois capable d’atteindre une vraie et grande profondeur.

Bio express

1983 Naissance, à Paris, le 14 juin.

2001 Décroche son premier véritable rôle au cinéma dans Ceci est mon corps de Rodolphe Marconi, aux côtés de Jane Birkin.

2004 Joue pour la première fois devant la caméra de Christophe Honoré, dont il deviendra l’acteur fétiche ( Ma mère, Dans Paris, Les Chansons d’amour…) avant qu’une dispute ne les brouille.

2006 Reçoit le César du meilleur espoir masculin pour Les Amants réguliers de Philippe Garrel, son père.

2015 Réalise son premier long métrage, Les Deux Amis, dans lequel il joue aux côtés de Vincent Macaigne et Golshifteh Farahani.

2017 Epouse Laetitia Casta, aux côtés de laquelle il jouera dans ses deuxième et troisième longs métrages en tant que réalisateur, L’Homme fidèle et La Croisade.

2021 Joue dans Rifkin’s Festival, de Woody Allen.

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