La justice n’est pas synonyme de résilience

Dans la foulée de la commission Lalieux, le Parlement s’apprête à voter l’allongement du délai de prescription pour les abus sexuels sur mineurs. Une fausse bonne idée ?

Mise sur pied après la révélation des scandales sexuels survenus dans l’Eglise catholique, la commission  » abus sexuels  » de la Chambre présidée par Karine Lalieux (PS) avait émis quelque septante recommandations, adoptées à l’unanimité. Les partis politiques se sont mis d’accord pour accorder la plus haute priorité à sept propositions de loi concrétisant certaines de ces recommandations. Les textes devraient être votés en séance plénière avant le 21 juillet.

Parmi eux figure un véritable monstre du loch Ness : l’allongement du délai de prescription à quinze ans après la majorité de la victime d’un abus sexuel. Aujourd’hui, ce délai est fixé à dix ans. Jusqu’à présent, chaque fois que le sujet était revenu sur le tapis, les parlementaires avaient repoussé cette option. La magistrature soulevait notamment la question de la déperdition des preuves. Cette fois, les députés vont franchir le pas. Non sans provoquer quelques inquiétudes, également dans le rang des spécialistes de l’aide aux victimes.

Experte auprès de la commission d’enquête parlementaire sur la traite des êtres humains et la pornographie enfantine (1992), intervenant régulièrement dans des dossiers d’abus sexuels, l’avocate Michèle Hirsch est, en effet, dubitative.  » Je crains que, malheureusement, le rallongement du délai de prescription n’apporte pas de réels changements, explique-t-elle. Cela pourrait même susciter de faux espoirs chez certaines victimes. D’une part, cette loi ne vaudra que pour l’avenir. D’autre part, le fait de prolonger les délais de prescription ne résout pas le problème de preuve inhérent aux violences sexuelles. En matière pénale, le droit de la victime de bénéficier d’une « présomption de prise en compte sérieuse » des faits qu’elle allègue se heurte à la présomption d’innocence dont doit bénéficier le prévenu. La présomption d’innocence n’est pas dirigée contre la victime. Mais si les preuves de la culpabilité ne sont pas suffisantes, les principes de notre droit impliquent qu’il n’y aura pas de condamnation et cela, quel que soit le délai de prescription. « 

Les moyens de la justice totalement inefficaces

Par rapport au volume des faits, très peu d’affaires de viol arrivent devant les tribunaux. D’abord, parce qu’une victime sur dix ne déposerait pas plainte, d’après une enquête française qui peut être extrapolée à la Belgique. Ensuite, parce que le parquet classe beaucoup sans suite, faute de preuves. Même lorsque la victime a fait constater médicalement l’abus, ce qui n’est pas son premier réflexe, elle doit encore franchir d’autres étapes.  » La plainte n’est que le début d’un processus extrêmement lent et incertain durant lequel la victime du viol devrait être accompagnée par des personnes compétentes : équipes SOS, aide aux victimes, médecins, psy, avocat, etc., détaille Me Hirsch. La manière dont les choses se passent tout au long de la procédure est aussi importante que l’issue du procès lui-même. Actuellement, le processus judiciaire est tellement long et aléatoire qu’il rajoute parfois du traumatisme au traumatisme. Il faut beaucoup de courage pour témoigner en justice. Témoigner, c’est revivre. Je ne voudrais pas que, sur la base de l’actualité, les victimes soient encouragées à déposer plainte sans que, sur le terrain, les mesures soient prises pour y répondre. Si les conditions de la justice s’améliorent, si le temps de la justice se réduit, si la victime est accompagnée par de bonnes personnes, chacune dans son rôle, alors le processus judiciaire peut participer à un processus de résilience. « 

MARIE-CÉCILE ROYEN

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