La griffe du passé

Louis Danvers Journaliste cinéma

Son passé trouble revient hanter le héros de A History of Violence, le nouveau film émouvant et percutant de David Cronenberg

(1) Notamment Les Affameurs, où l’acteur considéré par le public américain comme le héros positif par excellence signait une prestation stupéfiante en ex-bandit devenu guide de caravanes et que la félonie d’un ancien complice force à reprendre une dernière fois les chemins de la violence qu’il croyait avoir définitivement quittés…

(2) Natif comme lui de Toronto, et ami depuis leurs jeunes années, Shore est le musicien attitré de Cronenberg, pour lequel il a signé la bande originale de 11 films ! Il est aussi connu pour son extraordinaire et monumentale partition du Seigneur des anneaux.

Une minute. Il n’aura fallu qu’une minute pour faire basculer la vie de Tom Stall, patron de restaurant dans une petite ville d’Amérique du Nord. Une poignée de secondes durant lesquelles deux malfrats excités ont menacé la vie de ses employés. Et une autre où les bandits ont été liquidés de façon expéditive par le restaurateur en état de légitime défense. Fêté comme un héros par ses concitoyens, Tom voit son visage affiché dans les médias locaux et même au-delà. Dans une grande ville où le récit de l’affrontement est parvenu, des gangsters croient reconnaître dans le portrait du bon mari et père de famille, sauveteur de ses employés, un des leurs, qui avait disparu après leur avoir causé bien des ennuis. Ils vont rapidement débarquer dans la petite ville dont la tranquillité ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir…

Ainsi débute A History of Violence, le nouveau film de David Cronenberg, qui poursuit sur un mode majeur son exploration fascinante du versant sombre de l’être humain. Sous la surface du thriller d’action au suspense prenant et aux rebondissements spectaculaires affleurent les troubles mouvements d’une âme tourmentée, de secrets mal enfouis, d’interrogations sur la capacité de l’homme à changer vraiment, à se réinventer.  » J’ai été touché par cette histoire d’une famille cherchant à mener une vie honnête, harmonieuse, et que des événements extérieurs viennent complètement remettre en question « , explique le cinéaste canadien à propos de ce qui est un film de commande, comme le furent auparavant l’adaptation de Stephen King, The Dead Zone, et le formidable  » remake  » du classique de l’épouvante La Mouche.  » Quand on m’a proposé de réaliser A History of Violence, raconte Cronenberg, j’ai mis comme condition de pouvoir totalement retravailler le script, qui n’était pas à mon goût, mais dans lequel je percevais de quoi pouvoir développer des thématiques qui me sont chères comme l’identité, la sexualité, la capacité qu’a ou non l’être humain de changer, de devenir un autre. A mes yeux, l’identité n’est pas quelque chose qui nous est donné génétiquement comme la couleur de nos yeux. Elle n’est pas un absolu mais une variable qu’il nous est donné de modifier, de faire évoluer, pour autant que nous ayons la volonté de le faire. Je pense que la volonté est essentielle, qu’il nous appartient chaque matin de recomposer notre identité en nous rappelant quelle personne nous sommes et en assemblant ensuite ses différents composants. C’était le sujet central de mon film précédent Spider. Je suis intimement convaincu qu’il nous est possible de devenir une autre personne, par la seule force de notre volonté…  »

L’impact réel de la violence

Pour jouer Tom Stall, le cinéaste a eu la très heureuse idée de choisir Viggo Mortensen, celui que le monde entier connaît pour être l’Aragorn de la trilogie du Seigneur des anneaux, exemple même de preux chevalier consacré à la cause du Bien. L’acteur incarne magnifiquement son nouveau personnage. Le bagage qu’il apporte avec lui, son image dans les yeux du public, sert idéalement le propos d’un film où le spectateur est invité à regarder sous la surface des apparences, à découvrir que le visage rassurant du héros positif peut révéler soudain des traits plus sombres, voire carrément inquiétants…

 » J’étais très conscient de la parenté du récit avec ceux de certains films anciens, notamment la série de westerns tournés dans les années 1950 (1) avec James Stewart dans le rôle d’un héros menant une existence juste et droite, mais que les circonstances confrontent à un passé violent, de hors-la-loi souvent, explique Cronenberg. J’ai d’ailleurs demandé à Howard Shore (2) de composer une partition dans l’esprit des grands westerns de John Ford, ces films avec lesquels lui et moi avons grandi.  » Pour le réalisateur,  » il y avait sans aucun doute, dès le départ, quelque chose d’épique, relié à la mythologie du western, dans l’histoire de cet homme qui se voit contraint de recourir à la violence pour défendre son foyer, sa famille : c’est un scénario américain classique…  »

L’intérêt majeur du film est que Cronenberg ne se contente pas d’assumer – de façon remarquable – le premier degré de l’action, du suspense. Le réalisateur de Faux semblants aime travailler le thème de la dualité sans manichéisme, et il nous plonge de manière saisissante dans les doutes existentiels d’un héros pour lequel exercer la violence, fût-elle dirigée contre des criminels sans scrupules, n’est pas chose facile.  » J’ai voulu faire éprouver de manière autant physique que morale à quel point les conséquences de la violence peuvent être terribles, pour celui qui la subit, bien sûr, mais aussi sur celui qui l’exerce, même s’il est – au regard du monde – dans son bon droit « , commente Cronenberg qui trouve, une fois de plus, les images les plus justes, les plus fortes, les plus dérangeantes pour faire saisir son point de vue de manière organique et non pas seulement intellectuelle.  » A ceux qui me reprochent certains plans, brefs d’ailleurs, je demande s’ils pensent que le film serait meilleur sans ces images, s’ils trouvent que c’est mieux de ne pas montrer les conséquences de la violence, ainsi que le font la plupart des films d’action américains « , conclut le cinéaste, en ajoutant :  » Mon idée est de dire que cette violence est réelle, qu’elle a un impact sur le corps humain qui n’est pas précisément plaisant, qu’elle est une chose très brutale, rapide, imprévisible, et a des conséquences terrifiantes… Je ne délivre pas de message précis, je ne me sens pas possesseur d’une certaine vérité à clamer aux autres. J’ai simplement une discussion avec moi-même, prolongée par une discussion avec les spectateurs. Je dis que ces choses dont parle le film m’intriguent, me dérangent, me plongent dans la confusion, et je me fraie un chemin dans cette matière complexe pour voir ce que je peux y découvrir pour clarifier peut-être une partie de l’ensemble.  »

Louis Danvers

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