La glace et le feu

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

A 41 ans, Marie Arena quitte Binche pour s’installer à Forest. Les critiques pleuvent : la ministre-présidente de la Communauté française a le chic pour se les attirer. Retour sur une femme atypique, jetée dans un milieu trop typé. l

La veille, elle a dévoré une plaquette entière de chocolat aux amandes. Vite. Marie Arena, en guerre avec le temps qui passe au point d’être souvent en retard, est une femme impatiente. Malgré les années qui filent, la ministre-présidente de la Communauté française ne s’assagit pas. Ni sur le chocolat, ni sur le reste.  » Je suis une femme libre, dit-elle. Je n’aime pas qu’on m’indique ce que je dois faire. ça vaut pour la politique, comme pour les choix vestimentaires.  » Qu’on se le dise. De ses huit ans en politique, comme ministre à la Région wallonne (Emploi et Formation), au fédéral (Fonction publique et Intégration sociale) puis à la Communauté française, elle a tout de même retenu quelques leçons : d’abord que les idées, si belles soient-elles, mettent du temps à se concrétiser.  » Mais traîner constitue parfois une véritable non-assistance à personne en danger « , insiste-t-elle. Ensuite qu’il est des douches qui débordent. L’esclandre né des travaux de rénovation effectués dans son cabinet, en 2004, a laissé des traces durables. Dans la rue, certains la traitent encore de  » pétasse à la douche « .  » Je suis ce que je suis. Mais que l’on se trompe sur moi, que l’on me considère injustement comme une femme superficielle et capricieuse m’a profondément blessée.  » Marie Arena ne ferait plus, aujourd’hui, procéder à de tels travaux. Depuis lors, elle se méfie aussi davantage des médias.

Pour le reste, Marie Arena assume tout, y compris son image. C’est une femme de gauche, avec des yeux verts. Elle a du caractère et des convictions, qui peuvent évoluer en fonction des arguments qu’on lui expose, mais sa route est droite. Bombardée au poste de ministre wallonne de la Formation, en 2000, après avoir travaillé au Forem, cette économiste qui parle cinq langues sait gré à Elio Di Rupo de lui avoir mis le pied à l’étrier. Même si le prix à payer a été lourd. Aux yeux de certains, malgré les quatre élections qui se sont déroulées depuis lors, elle passe toujours pour  » la parachutée « .

 » C’était une espèce d’ovni politique, rappelle un conseiller. Placée très haut d’emblée, elle n’avait pas besoin de stratégie pour avancer.  » Ne pas avoir grandi dans le milieu politique lui a certainement donné du recul. Son absence initiale de plan de carrière, aussi.  » Mais les choses auraient été plus faciles pour elle si elle avait été blonde et conne « , lâche un de ses collaborateurs. Etre jeune, féminine et intelligente ne constitue pas le sésame absolu des amitiés en politique. Surtout si l’on n’est pas du sérail.  » Elle n’a pas été assez consciente de la méchanceté du milieu « , résume Gilles Mahieu, secrétaire général du PS. La rudesse, publique, des hommes politiques a effectivement étonné Marie Arena, comme d’ailleurs les liens sincères qui se nouent, en privé. Elle prétend que le pouvoir la laisse indifférente : savoir qui va tuer l’autre ne l’intéresse pas. En entrant en politique, elle avait, dit-elle, simplement envie de corriger les choses, dans un souci fondamental de justice.

Y parvient-elle ? Ses détracteurs ne se gênent pas pour rappeler ses hésitations et ses effets d’annonce, sur la suppression des cours de latin et des distributeurs de Coca dans les écoles, et les dérapages liés aux inscriptions en première année du secondaire. Sa prochaine installation dans la commune bruxelloise de Forest, motivée par des raisons personnelles, leur donne à nouveau du grain à moudre.  » Il n’y a pas de raison que ça marche mieux pour elle ici qu’à Binche, lance un socialiste hennuyer qui la trouve bobo. Marie ne s’est jamais imposée dans la région, par manque d’ancrage local. Les parachutages ne réussissent pas en Communauté française.  » Marie Arena le reconnaît : à Binche, c’est dans la proximité locale qu’elle a le moins investi. Et c’est bien un échec électoral personnel qu’elle y a connu : tête de liste PS et candidate-bourgmestre aux élections communales d’octobre 2006, elle réalisa un moins bon score que le deuxième sur la liste, Laurent Devin, finalement nommé bourgmestre.

Aujourd’hui, en attendant les élections communales de 2012, elle pilote l’enseignement obligatoire. Pugnace, dotée d’une très grande capacité de travail, elle s’attaque à des dossiers difficiles, sa popularité dût-elle en souffrir.  » Elle n’est pas sensible aux sondages « , affirme Olivier Jusniaux, l’un de ses anciens chefs de cabinet. Et elle connaît ses matières.  » Au parlement, elle n’a pas besoin d’avoir auprès d’elle dix conseillers qui lui glissent sans arrêt des petits mots, embraie Julie de Groote, présidente (CDH) de la commission Enseignement. Et, sur le fond, elle a l’envie de réformer l’enseignement en profondeur, comme personne ne l’a fait auparavant.  » Avec ses collaborateurs, Marie Arena est directe et exigeante.  » Elle cherche la perfection. C’est très dur de travailler avec quelqu’un qui place la barre aussi haut « , se rappelle son ancienne collaboratrice Sabat Gahouchi. Il lui arrive pourtant de se résigner à la fadeur de certains de ses proches, peut-être par loyauté… Dommage. Elle gagnerait à montrer ce qu’elle est vraiment.

Marie Arena sait qu’elle ne passe pas toujours bien, ni dans l’opinion publique, ni dans le monde politique. Timide, il lui faut du temps pour briser la glace. Elle garde l’image de quelqu’un de froid et distant. Elle pratique pourtant beaucoup l’humour, y compris l’autodérision.  » J’adopte sans doute une attitude fermée, de protection, dit-elle, mais elle ne me correspond pas.  » Tous en conviennent :  » Elle est glaciale quand on ne la connaît pas, mais, sur le fond, elle est très sympa « , témoigne le photographe Roger Job. Ses vrais amis se comptent sur les doigts des deux mains. Elle leur est fidèle, sans ostentation : en cas de coup dur, elle est toujours là. Emotive au point d’avoir demandé à son père de ne plus assister à ses interventions publiques, Marie Arena ne maîtrise ni ses émotions ni son langage non verbal.  » Quand quelqu’un raconte des âneries en réunion, cela se voit tout de suite sur son visage « , confirme un collaborateur.

Vieillira-t-elle en politique ?  » Je ne me vois pas vieillir « , répond-elle. Mais si la politique ne lui permet plus d’agir et de défendre les valeurs auxquelles elle croit, elle s’en ira doucement. Sans regrets. Ses deux grands ados seront ravis. D’autres projets, par exemple, dans la coopération au développement, l’attendent. Une femme libre, disait-elle.

Laurence van Ruymbeke

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