La fraude fiscale endiguée ?

Entamée par Alain Zenner, poursuivie par Hervé Jamar et consolidée par Bernard Clerfayt, la lutte contre la fraude fiscale est une des voies de salut pour atteindre les objectifs budgétaires. Et la machine turbine. Explications.

Du haut de la tour Galaxy jouxtant la gare du Nord, Bernard Clerfayt (MR), l’actuel secrétaire d’Etat en charge de la Lutte contre la fraude fiscale, n’est pas peu fier du travail accompli tout au long de l’année dernière par le staff de l’administration des Finances.  » La lutte contre la fraude fiscale a en effet permis d’enrôler, en 2010, près de 4,7 milliards d’euros, soit 7,7 % de plus qu’en 2009, et ce malgré un contexte économique difficile « , explique-t-il. Bien sûr, enrôler ne veut pas nécessairement dire encaisser, car certains débiteurs d’impôts en contestent le bien-fondé par toutes voies de droit (réclamation, action en justice), tombent en faillite et/ou deviennent insolvables, quand ils ne fuient pas carrément vers d’autres cieux !

Une explosion de contrôles

Entre 2009 et 2010, au niveau de l’impôt des personnes physiques, le nombre de dossiers contrôlés a augmenté de 82 % et les suppléments engrangés sont de 46 %. A l’impôt des sociétés, les hausses sont respectivement de 25 % et de 36 %. En matière de TVA, s’il n’y a eu  » que  » 11 % de contrôles supplémentaires, ils ont cependant permis de récolter des suppléments à hauteur de 574,8 millions d’euros contre 253,7 millions en 2009.  » Il faut toutefois nuancer ces chiffres par le fait que quelques dossiers, à eux seuls, représentent 99 % des 127 % de recettes supplémentaires « , précise Bernard Clerfayt. Tout cela serait-il le résultat du succès grandissant du Tax-on-web, de son équivalent à l’impôt des sociétés et de l’encodage déporté vers les entreprises ou les fiduciaires des déclarations à la TVA ?  » Il serait illusoire de croire que les agents jusqu’alors en charge de l’encodage des déclarations papier soient de facto affectés au renforcement des contrôles « , soutient Bernard Clerfayt. Un agent des Finances explique toutefois que  » la logique est de passer des contrôles « approfondis » aux contrôles « appropriés ». Ni ma hiérarchie ni les comptables ne savent m’expliquer la différence. Par contre, ça veut dire pour moi plus de contrôles et plus vite réalisés. Et c’est vrai que l’outil informatique des Finances nous y aide quand même. « 

Des actions ciblées

Beaucoup d’encre a coulé dans ce pays à propos des intérêts notionnels. Adulés par les uns, décriés par les autres, leur utilisation fait bien entendu l’objet de vérifications.  » De simples erreurs de calcul ont été constatées, explique Bernard Clerfayt. Mais à côté de cela, c’est surtout la question des « usages impropres » de cette législation qui a été passée au crible. Dans les groupes de sociétés, nous avons examiné les flux financiers entre les entreprises et pointé des opérations qui n’avaient pas d’autres justifications que fiscales, sans réelle explication économique. Les suppléments de base imposable réalisés en 2010 pour les seuls exercices d’imposition ont porté sur 80,85 millions d’euros. « 

En matière immobilière, beaucoup de contribuables « oublient » de déclarer à l’impôt des personnes physiques la plus-value liée à la revente d’un immeuble dans les cinq ans suivant son achat.  » Là aussi, des contrôles spécifiques, pour les années 2007 à 2009, tant sous le régime de la TVA que des droits d’enregistrement, ont produit 37,2 millions d’euros de suppléments de base imposable « , confirme Bernard Clerfayt. En tout cas, ces montants – et les recettes fiscales qui en découlent – pourraient assurément être bien plus importants si les notaires étaient concrètement impliqués dans le processus. Ne sont-ils pas en première ligne pour déterminer si, oui ou non, la transaction immobilière est ou non soumise à plus-value ? Dans l’affirmative, ils retiendraient l’impôt sur la plus-value à la source et la fraude disparaîtrait complètement.  » La question mérite en tout cas d’être étudiée « , répond Bernard Clerfayt.

Au niveau des grandes entreprises, le secrétaire d’Etat constate que les agents du fisc sont confrontés à diverses difficultés : des volumes considérables de données reprises sur des applications informatiques réalisées sur mesure et dans lesquelles il n’est pas toujours aisé de s’y retrouver ; l’appartenance à un groupe de sociétés – le cas échéant à l’échelon international – et la difficulté d’objectiver les prix de transfert ; le recours de plus en plus fréquent à l’ingénierie financière et fiscale. Sur les 512 dossiers contrôlés à ce niveau en 2010, les suppléments d’impôts enrôlés se chiffrent à 215 millions d’euros.

Même Big Brother !

L’administration fiscale est aussi présente là où on ne l’attend pas a priori : l’Internet. Le SPF Finances a en effet acquis une licence lui permettant de screener des sites Web, tels qu’eBay.  » Nombre de personnes y font beaucoup plus que de revendre des cadeaux dont ils n’ont que faire ou de vider leur fond de grenier, explique Bernard Clerfayt. Ils exercent en fait sur Internet une réelle activité économique, normalement soumise à la TVA et dont les bénéfices doivent être imposés à l’IPP !  » Le Belgian Internet Service Center (BISC), en charge de cette surveillance, n’a en tout cas pas chômé en 2010. Sur les 425 000 intervenants (pour 28 millions d’articles en ligne) qu’il a tenus à l’£il, environ 2 000 dossiers ont été transmis aux services compétents pour suivi. Au-delà, c’est surtout le data-mining [NDLR : la sélection des dossiers à contrôler via l’application informatique du SPF Finances] qui devient la règle et qui fait jaser, tant du côté des fonctionnaires que des professionnels du chiffre. Bernard Clerfayt tempère :  » Non seulement les dossiers « intéressants » sont sélectionnés, mais le programme indique aux contrôleurs les points à vérifier plus spécifiquement. Ce ciblage permet une plus grande efficacité du processus de contrôle et donc de s’intéresser à bien plus de dossiers. Les chiffres sont là pour le démontrer.  » Sur le terrain, l’explosion du nombre de contrôles fiscaux fait grincer les dents de Jean-Marie Conter, président de l’IPCF (Institut professionnel des comptables et fiscalistes agréés).  » Le fisc se braque sur les PME et les indépendants mais ignore complètement toute la question de la fraude sociale et… de la fraude fiscale qui en résulte. Un exemple ? On inquiète un plombier dont le chiffre d’affaires est en chute sensible, le data-mining l’a détecté. L’explication est pourtant toute trouvée : il a été gravement malade. En reste-t-on là pour autant ? Si ça se trouve, il aura droit à un contrôle indiciaire de sa situation ! Par contre, et c’est surtout cela qui me choque, l’ouvrier de ce plombier, bien qu’en chômage économique, n’a pas manqué de travailler au noir pour rentabiliser son temps et, surtout, pour largement arrondir ses fins de mois. Lui, il n’est pas inquiété le moins du monde par le fisc ! Ce n’est ni normal ni équitable ! J’aimerais en tout cas que la lutte contre la fraude sociale fasse l’objet d’une attention au moins égale à celle qui est de mise en matière de lutte contre la fraude fiscale.  » La question n’est en tout cas pas occultée dans la note déposée par le formateur…

J.-M. D.

 » Le fisc ignore complètement la fraude sociale… et la fraude fiscale qui en résulte  » Jean-Marie Conter

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