LA FOLIE DES GRANDEURS

De Hulk à Magath : aucun autre championnat n’offre autant de millions.

64e minute. Des milliers de Chinois supporters de Shenhua conspuent Sun-Xiang, qui vient de casser la jambe du Sénégalais Demba Ba, auteur de vingt buts jusque-là. Sun-Xiang, international à 69 reprises, porte le maillot du SIPG, le voisin et rival de Shenhua. Ba a joué pour Hoffenheim et Chelsea. Il a été transféré pour 15 millions à Shanghai, en 2015. Il porte tous les espoirs de son club.

Cette passion surprend dans un pays qui n’autorise que la foi dans la nation et le parti. Les jours précédant le derby, une vague de nationalisme a soulevé la Chine. Des juges internationaux ont jugé illégales les manoeuvres militaires de celle-ci dans la mer de Chine. Des jeunes ont démoli des iPhones dans le métro, un Chinois a tabassé un compatriote qui avait le malheur de porter des chaussures Nike. A Shanghai, les fans de Shenhua ont voulu venger Ba et ont envahi le restaurant dirigé par l’amie de Sun-Xiang. Ils placent des baguettes devant sa photo – le signe de la mort.

Dans le stade, au terme du match, Sven-Göran Eriksson, l’entraîneur du SIPG, est assis à la table d’un sponsor, couverte de logos de Nike. La marque américaine débourse 15 millions de dollars par an, un fait plutôt étonnant pour un championnat récemment condamné pour corruption et qualifié par dérision de soi-disant Super-Liga. Désormais, Nike confectionne les maillots de l’équipe nationale chinoise, 81e au classement de la FIFA. La Chine occupe le numéro un en nombre d’habitants et elle offre donc un formidable potentiel de spectateurs. Le pays est aussi devenu leader en matière d’indemnités de transfert.

Eriksson, jadis sélectionneur de l’équipe nationale anglaise, doit offrir le titre à SIPG mais il n’est que troisième. Le Suédois entame sa conférence de presse en s’excusant pour la faute horrible commise par son joueur. Le SIPG a certes perdu mais ce soir-là, les rapports de force ont tourné à l’avantage d’Eriksson. Son club est sponsorisé par le port de Shanghai. Il a engagé Hulk trois semaines plus tôt. Les Chinois ont versé 56 millions d’euros au Zenit Saint-Pétersbourg, pour s’assurer les services de l’international brésilien. Shensua, le rival de SIPG, est soutenu par la troisième société immobilière de Chine mais l’équipe ne vaut que 28 millions d’euros. Ba, qui va sans doute devoir mettre un terme à sa carrière suite à sa double fracture tibia-péroné, en vaut la moitié.

TOUJOURS PLUS DE TRANSFERTS

La Chine fait ses emplettes, avec une rage jamais vue dans le monde : en février, le Brésilien Alex Teixeira a quitté l’Ukraine pour 50 millions d’euros. Destination, Jiangsu Suning, le club d’une ville inconnue, Nanjing. Une chaîne de 1.600 magasins spécialisés en électronique parraine le club. Quelques jours plus tard, Ramires a été transféré de Chelsea pour 28 millions d’euros. Guangzhou Evergrande Taobao, qui porte le nom du deuxième holding immobilier chinois et du plus grand vendeur en informatique du pays, a lui annoncé l’achat de l’attaquant colombien Jackson Martinez, de l’Atlético Madrid, pour 42 millions d’euros.

Début juin, Felix Magath, le fameux entraîneur, met le cap sur l’Empire du Milieu. Depuis, il dépense sans compter les sous de son nouveau club, Shandong Luneng, et de son sponsor, le plus grand fournisseur d’électricité du monde. Le club est situé à Jinan, au bord du Fleuve Jaune. Magath verse des salaires qui dépassent encore les montants des transferts. L’attaquant italien Graziano Pellé, du FC Southampton, entré dans l’histoire pour son penalty raté en quarts de finale de l’EURO, contre l’Allemagne, touche 16 millions d’euros par an. Le salaire de Hulk serait de quatre millions supérieur. Seuls Lionel Messi et Cristiano Ronaldo gagnent plus encore. Pour l’heure. La règle des acheteurs chinois ? Pour convaincre un joueur de venir en Chine, il faut lui proposer le double ou le triple des salaires versés en Premier League.

Romain Woo, le principal manager du pays, s’est installé à Shanghai. Le Chinois poste sur Instagram des photos de ses voyages dans le monde du football : Milan, dont Suning, la chaîne chinoise d’électronique, vient d’acheter l’Inter, le Camp Nou de Barcelone, l’Allianz-Arena, lors du match Bayern-Hanovre en mai. Woo ne s’occupe quasiment que de joueurs chinois, ce qui le rend évidemment très sceptique sur la tournée d’achats de la Chine en Europe. Il est plus critique que Jorge Mendes, l’agent portugais qui gère les contrats de Ronaldo. En janvier, Mendes a accompagné son compatriote José Mourinho à Shanghai. Sur la scène de l’hôtel Shangri-La, l’entraîneur a annoncé la collaboration de son agent avec les Chinois de Fosun, un conglomérat qui vaut dix milliards d’euros. Le but ? Rafler les colossales commissions dues sur des transferts comme celui de Hulk.  » De tels contrats n’aident en rien notre championnat ni le développement des joueurs chinois « , explique Woo.  » La Chine ne pense plus qu’à l’argent. C’est dingue.  » Les scouts suivent les joueurs des grands clubs européens qui sont au faîte de leur carrière, poursuit-il.  » Ils ne viennent en Chine que pour une raison : parce qu’ils peuvent y gagner beaucoup plus que nulle part ailleurs.  » La Chine a pris la place de l’Arabie et de la Russie. Pendant la période hivernale des transferts, la Chine a claqué 340 millions d’euros. A la fin de la période estivale chinoise, durant laquelle les clubs ne peuvent échanger que deux joueurs, on en était à 130 millions.  » Ces investissements ne rapporteront rien « , insiste Woo.

SOUTIEN GOUVERNEMENTAL

En 2004, le championnat chinois s’appelait la Siemens Mobile Football League, en hommage à son bâilleur de fonds allemand. depuis lors, on annonce une révolution du football chinois avec la régularité d’un pendule, sans résultat. L’argument-massue des amateurs de la Chine, parmi les experts en football, est identique à celui de tous les entrepreneurs qui font affaire dans l’Empire du Milieu : en théorie, le marché a un potentiel exceptionnel. De fait, entre Pékin et Guangzhou vit une population gagnée par le football. En 2020, la Chine dépassera le cap du 1,4 milliard d’habitants. Officiellement, l’économie chinoise croît de 6,7 % par an. Personne ne fait mieux. En octobre 2015, une société de capital à risque a versé 1,3 milliard de dollars pour les droits de retransmission du football pendant cinq ans. La saison précédente, la télévision nationale n’avait versé que 11 millions d’euros. Quatre mois après un deal déclaré dingue, l’investisseur a revendu les droits de la Super-Liga pour deux ans à un site internet. Avec un gain de 35 %. La saison dernière, 420 millions de personnes ont suivi le championnat, dans tout le pays.

En Chine, politique et économie sont étroitement liées. Il y est particulièrement intéressant de faire des affaires en football. Le président Xi Jinping veut que la Chine organise le plus rapidement possible une Coupe du Monde mais aussi qu’elle la gagne. D’emblée, le football est devenu une matière obligatoire dans les écoles chinoises. Le gouvernement veut mettre sur pied 50.000 académies de football dans le pays, soit dix fois plus qu’actuellement, en l’espace de dix ans. Le fait que la Chine considère le football comme une priorité dans son programme économique fait croire aux investisseurs qu’ils s’aventurent dans un domaine sûr et que les clubs leur offrent une belle devanture pour leurs produits. Maintenant que les premiers milliards des droits TV affluent dans les clubs, ceux-ci peuvent acheter à la pelle. Les étrangers devraient défaire de leurs craintes leurs collègues restés en Europe et leur montrer que beaucoup d’argent les attend en Chine. Ce n’est pas inutile car il y a trois ans, Shanghai Shenhua a dû mettre un terme au paiement du salaire de Didier Drogba, la star de Chelsea, après six mois. Le joueur devait toucher 250.000 euros par semaine mais le club était en grave déficit, son propriétaire étant en faillite.

Selon Woo, la folie d’achats de l’Empire du Milieu va encore durer deux ou trois ans.  » Tant que les grandes entreprises en ont encore envie.  » Shenhua aurait déjà proposé 96 millions à Wayne Rooney au printemps, pour un contrat de trois ans. L’international de trente ans a refusé. Pour le moment.

PAR HENDRIK ANKENBRAND, FAZ. – PHOTOS BELGAIMAGE

Shenhua aurait déjà proposé 96 millions à Wayne Rooney au printemps, pour un contrat de trois ans.

Maintenant que les premiers milliards des droits TV affluent dans les clubs chinois, ceux-ci peuvent acheter à la pelle.

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