La Flandre hors la loi

Une fois de plus, la Flandre vient de se faire tancer par la Cour de justice européenne. Son ssurance-dépendance contrarie la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Union. Mais peu lui chaut…

Un nouveau coup porté à l’image de la Flandre, l’arrêt rendu le mardi 1er avril par la Cour de justice européenne, jugeant l’assurance-dépendance nordiste (lire l’encadré) contraire, sur certains points du moins, au droit européen ? Allons, donc ! Cela fait belle lurette que la Flandre se tamponne comme d’une guigne de la manière dont l’Europe juge ses réflexes de repli identitaire. Et les instances européennes, elles, accumulent observations et autres arrêts comme on fait des moulinets : en faisant du vent, mais sans agir aucunement sur la situation.

Ce n’est pas la première fois que des initiatives flamandes sont condamnées en haut lieu européen. A chaque fois, les francophones ont crié victoire. A chaque fois, les condamnations sont restées lettre morte, sans le moindre effet, ou presque, sur le terrain. Jugez plutôt. En 1968, la Cour européenne des droits de l’homme condamnait le fait que les écoles francophones de la périphérie soient accessibles aux francophones résidant dans ces seules communes. Rien n’a changé depuis. A quatre reprises, le Conseil de l’Europe a  » enjoint  » à la Belgique et à ses 7 assemblées législatives ( !) de ratifier la Convention-cadre pour la protection des minorités linguistiques, laquelle aboutirait, notamment, à élargir l’actuel régime des facilités linguistiques. En vain. Tout récemment, une commission des Nations unies, appuyée par la Commission européenne, s’est dite  » préoccupée  » par le  » Wooncode « , ce décret flamand qui subordonne l’accès aux logements sociaux à l’apprentissage du néerlandais (lire p. 24). Bernique. Le Conseil de l’Europe s’est saisi du dossier des trois bourgmestres de la périphérie dont la nomination est bloquée par la Flandre sous prétexte qu’ils ont envoyé des convocations en français aux francophones de leur commune. Cela ne semble guère émouvoir le ministère flamand de l’Intérieur.

C’est que la Flandre ne se situe pas sur le même registre que les instances européennes, qui £uvrent à l’harmonisation des législations et des esprits européens. Ouvrir ses frontières, élargir son horizon, poursuivre des objectifs d’intégration européenne ? La Flandre y est résolument favorable, surtout si cela peut servir ses intérêts, en particulier économiques. Les Flamands aiment l’Europe, apprécient de vendre leur villa aux eurocrates les plus offrants, adorent se rendre à ses grands-messes, envoyer des représentants aux Conseils des ministres européens, participer à des missions diplomatiques. D’ailleurs, n’est-ce pas Luc Van den Brande (CD&V) en personne, le très flamingant ex-ministre-président flamand, celui qui a donné son nom à une circulaire réduisant les droits des francophones en périphérie bruxelloise, qui préside le Comité des régions, cet organe consultatif européen ? Mieux : certains le voient déjà comme futur secrétaire général du Conseil de l’Europe, cette même institution qui a la Flandre dans son collimateur…

La Flandre répond par le mépris

Oui, vraiment, les Flamands aiment l’Europe. A condition, toutefois, qu’un principe de base soit respecté : que la  » tache d’huile  » francophone en périphérie soit essuyée à grands coups de torchon et, parallèlement, que Bruxelles ne soit pas abandonnée aux fransquillons. A condition, encore, que l’Europe n’entrave pas la marche résolue de la Flandre vers toujours plus d’autonomie et de prospérité, étant bien entendu que ce qu’elle fait seule, avec ses propres deniers, elle le fait mieux. Evidemment, ces  » détails  » ne sont pas du goût des instances européennes, lesquelles répètent régulièrement à la Flandre que son adoration aveugle pour le droit du sol contrevient aux principes fondateurs de l’Union européenne et à la législation communautaire. Depuis des années, donc, l’Europe tance la Flandre pour ses dérapages divers. Au début, certains s’en émouvaient, de l’autre côté de la frontière linguistique :  » Notre image de Belges et de Flamands a été ternie !  » s’exclamait par exemple un député ex-Volksunie en 2002, suite à l’  » invitation  » adressée par le Conseil de l’Europe à la Belgique de reconnaître ses minorités. Et pour cause : les condamnations répétées de l’Europe font tache, alors que la Belgique aime faire figure de modèle dans la construction de l’Union, qu’elle accueille sur son sol le Parlement européen et qu’elle ne dédaigne pas de distiller, ici et là, quelques leçons de démocratie. Mais un moment de honte est vite passé. Aujourd’hui, au lieu de faire acte de contrition, la Flandre conquérante répond par le mépris aux condamnations européennes. Qu’affirme-t-on, au Nord ? Que la complexité des institutions belges et la subtilité de nos lois échappent à la compréhension des instances européennes. Ou encore : que les observateurs étrangers chargés de juger de la conformité des décisions flamandes avec le droit européen, faute, sans doute, de maîtriser la langue de Vondel, ne prennent leurs informations qu’auprès des seuls francophones.

Peut-être les Flamands ont-ils raison sur certains points. Sans doute, les Européens ne comprennent-ils pas toutes les subtilités belgo-belges. Et c’est tant mieux. Car tous ces pinaillages, cette assurance-dépendance qui exclut les francophones, et tout ce que les Flamands mettent en place pour protéger leur sol de tout risque d’infection francophone, tout cela, donc, défie non seulement l’entendement et l’esprit européens, mais aussi, tout simplement, le bon sens. l

Isabelle Philippon

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