La fin d’une armée

Décimée au fil du temps, l’Armée Secrète sera dissoute le 25 novembre. Une page de l’histoire de la Résistance se tourne.

Omer Couvreur, 78 ans, consulte avec émotion son carnet d’adresses. Dans cette suite de noms, la plupart évoquent d’anciens compagnons de lutte, membres comme lui de l’Armée Secrète (AS) durant la Seconde Guerre mondiale. « Aujourd’hui, ils sont à peu près tous morts. J’ai beau tourner les pages, c’est partout la même réponse », se désole-t-il. « C’est bien simple, pour la Basse-Sambre, il n’y a plus que moi. »

Avec un effectif estimé à 60 000 hommes, l’AS était en Belgique le plus important des mouvements de résistance. Aujourd’hui, il en reste à peine 3 500, regroupés au sein de l’Union des Fraternelles de l’Armée Secrète. « Inutile de préciser que nous sommes du quatrième âge », commente l’un d’eux. Le 25 novembre, cette ASBL héritière du mouvement qui a marqué leur jeunesse sera officiellement dissoute. Faute de combattants valides. Elle laissera place en 2004 à une Fondation, en vue de soutenir les recherches sur la Résistance.

Les origines de l’AS remontent à juillet 1940, un peu plus d’un mois après la défaite de l’armée belge face aux troupes de Hitler. Quelques officiers se regroupent alors pour créer la Légion belge. « Leur but était autant de lutter contre l’occupation allemande que d’installer un régime autoritaire autour de Léopold III », explique Fabrice Maerten, chercheur au Centre d’études guerre et sociétés (CEGES). « Mais, à partir de l’été 1941, l’aspect politique est mis de côté et les noyaux extrémistes de l’organisation sont exclus. Les dirigeants estiment que la priorité est désormais de combattre l’envahisseur. Pour cela, ils doivent recevoir le soutien du gouvernement belge installé à Londres, et recruter massivement dans la population. Leur organisation ne pouvait donc être trop marquée à droite. » Ce revirement passe d’ailleurs par un changement de nom: la Légion belge, qui a une connotation trop autoritaire, devient Armée Secrète.

Entre-temps, le mouvement se développe et élargit son assise populaire. Gustave Delvaux est de ceux qui commencent à mettre sur pied des actions de sabotage, afin de désorganiser l’ennemi. « Je travaillais à l’atelier de réparation de matériel ferroviaire à Ronet (Namur), se rappelle-t-il. Là, j’ai constaté qu’il y avait moyen de faire du sabotage. Ce n’était pas très difficile, mais le tout était de saboter intelligemment. Il ne fallait pas que la locomotive tombe en panne un kilomètre après être sortie de l’atelier. On modifiait donc légèrement les normes mécaniques, et au bout de 5-6 mois, elle ne pouvait plus fonctionner.  »

A partir du printemps 1944, des armes destinées aux résistants de l’AS commencent à être parachutées sur le sol belge. Le 8 juin, Radio-Londres annonce que « Le Roi Salomon a chaussé ses gros sabots « . Pour Jérôme Denblyden, comme pour des centaines d’autres résistants, c’est le signal que des actions de plus grande envergure peuvent être envisagées. « A ce moment, nous savions qu’il fallait agir contre toutes les voies de communication: ponts, voies ferrées, lignes téléphoniques, etc.Les objectifs n’avaient pas été désignés de façon claire. Nous devions juger ce qu’il était utile de faire sauter. » Mais l’expérience fait souvent défaut aux résistants. Des opérations contre des lignes téléphoniques échouent, faute de matériel adéquat pour déterrer les câbles. Sans compter qu’il faut agir vite: en juin, les nuits sont courtes.  » Il fallait aussi faire attention au retour, une fois l’opération terminée, poursuit Jérôme Denblyden, surnommé « le mioche ». L’explosion avait donné l’alerte et chacun devait se débrouiller pour rentrer chez lui, le plus souvent à vélo. »

De leur côté, les divisions alliées progressent à toute allure. Elles entrent en Belgique le 2 septembre 44. Aux côtés des Anglais et des Américains, les membres de l’Armée Secrète participent alors à quelques escarmouches. « Ils n’étaient pas préparés à ces combats, explique l’historien Fabrice Maerten. Plusieurs centaines d’entre eux ont perdu la vie en raison d’une mauvaise appréciation du danger. » Pour les résistants, la libération du territoire belge sonne l’heure du retour à la vie civile. « Pour nous, c’était le terme d’une belle aventure, conclut Gustave Delvaux. Aujourd’hui, c’est une histoire d’un autre temps. »

François Brabant

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