La fin de l’ère glaciaire

Louis Michel limite les risques en Israël, où le dégel diplomatique se confirme

De notre envoyé spécial

Ce mardi 17 février, il faut moins d’une heure pour relier Jérusalem à Ramallah, située à une dizaine de kilomètres. Une estimation raisonnable car, aujourd’hui, la route est calme. Economie de la débrouille, contrôles militaires serrés au checkpoint de Qalandiya, un atroce no man’s land : le train-train quotidien dans cette ville sinistrée de Cisjordanie, où se terre Yasser Arafat, le chef de l’Autorité palestinienne.

Même jour, même heure, ou presque, à Jérusalem-Est. Des femmes, des enfants et des vieillards palestiniens escaladent des blocs de béton pour rejoindre la nouvelle enclave d’Abou Dis, un village voisin. Une jeune fille s’appuyant sur des béquilles doit être hissée de l’autre côté. Là, on passe encore. Cent mètres plus bas, un mur de 8 à 9 mètres coupe désormais la grand-route de Jéricho : plus d’accès aux hôpitaux du mont des Oliviers, ni aux écoles.

Louis Michel n’a pas visité ces endroits de ségrégation, pour les uns, de sécurité raffermie, pour les autres. Pas cette fois ! En avril 2001, le ministre des Affaires étrangères s’était rendu en Israël et dans les territoires occupés, où les conditions de vie des habitants l’avaient choqué. Lundi et mardi, Michel a plutôt marché sur des £ufs. L’ordre du jour ? Retisser les liens gravement distendus entre la Belgique et Israël, depuis l' » affaire Sharon  » : désormais oubliée, la perspective d’une condamnation du Premier ministre israélien devant un tribunal belge, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, avait jeté un froid glacial sur les relations entre les deux pays, depuis juillet 2001. Diplomate pragmatique, Louis Michel a laissé retomber le soufflé pour tourner la page de ces non-relations. De quoi calmer le gouvernement américain et l’influent lobby juif.

Au passage, le ministre libéral invente-t-il une nouvelle version de l' » équidistance  » ou de la  » neutralité active « , inaugurée il y a trois ans ? Certes, Louis Michel a rappelé à Ariel Sharon et à son homologue Sylvan Shalom les points cardinaux de son attitude par rapport au conflit israélo-palestinien : c’est non à l’option militaire choisie par Israël, non au mur de séparation érigé entre l’Etat hébreu et la Cisjordanie. Non encore au  » terrorisme barbare  » de certains groupes radicaux et aux ripostes excessives de l’armée israélienne. Des propos complets et courageux, en soi. Mais le vice-Premier ministre y a ajouté une bonne dose d’hyperréalisme. Si le gouvernement Verhofstadt critique officiellement le mur – Michel n’a pas trop insisté sur son tracé, qui ne respecte pas les frontières internationalement reconnues de l’Etat israélien -, il conteste aussi le recours palestinien devant la Cour internationale de justice ( lire page 46). Et puis, ce premier voyage depuis 2001 a fait l’impasse sur Gaza ou Ramallah. Au risque d’apparaître frileux sur la question humanitaire, alors que le ministre belge a été en pointe sur le sujet.

Pour donner le change, le Premier ministre palestinien Ahmed Qoreï a été accueilli en Belgique, ce mercredi. Et Louis Michel pourrait se rendre en Palestine en mars prochain. Sans exclure d’y rencontrer aussi Yasser Arafat, pourtant définitivement boycotté et rejeté par Sharon. Sur le plan politique, le PS a juré de marquer le chef de la diplomatie à la culotte, sans oser le critiquer ouvertement jusqu’ici. Le partenaire du MR au gouvernement vient de déposer une résolution parlementaire visant à soutenir l' » initiative de Genè- ve « , un plan de paix courageux, proposé par des personnalités israéliennes et arabes. Les socialistes comptent cependant laisser un peu de temps à Michel avant de juger sa nouvelle stratégie.  » Aller partout au cours du même voyage ? Cela créait finalement beaucoup de tensions inutiles, et suscitait une méfiance mutuelle « , tranche le ministre.

Il n’empêche : ni la Belgique ni l’Europe n’apparaissent actuellement en mesure de relancer le processus de paix au Proche-Orient. Pourtant, l’occasion est belle. A cause de la campagne présidentielle aux Etats-Unis, les Américains sont focalisés sur des enjeux de politique intérieure…

Au cours de sa récente tournée, notons que Louis Michel a aussi tendu la main à un ancien ami, jadis encombrant, de la Belgique. En quelques mois, Mouammar Kadhafi a opéré un retour spectaculaire sur la scène diplomatique, après des décennies de marginalisation. La Libye a commencé à indemniser les victimes d’attentats terroristes commis en 1988 et 1989. Elle s’est officiellement engagée à détruire ses armes de destruction massive. Michel y voit un allié utile pour sa politique africaine et – qui sait ? – proche-orientale. C’est aussi une  » pompe économique à activer « , dit-il, décidément pragmatique.

Philippe Engels

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