La délicate relève de Moubarak

Problèmes de santé, contestation politique, débat sur la succession : le quatrième mandat du raïs a des allures de fin de règne

De notre correspondant

On n’efface pas facilement vingt-trois ans d’histoire. L’Egypte est tiraillée entre une certaine excitation et la peur de l’inconnu depuis le malaise spectaculaire, mais officiellement sans gravité, dont a été victime le président, Hosni Moubarak, en novembre, alors qu’il se remettait d’une simple grippe. Un malaise télévisé en direct, qui a porté sur la scène publique la question de la succession du raïs, jusqu’alors évoquée uniquement à voix basse au sein de l’élite politico-intellectuelle.

Hosni Moubarak, 75 ans, règne quasiment sans partage sur l’Egypte depuis l’assassinat, le 6 octobre 1981, de son prédécesseur, Anouar el-Sadate. S’il ne pratique pas le même culte de la personnalité qu’un Hafez el-Assad ou qu’un Saddam Hussein, le président est omniprésent, dans les médias comme sur les portraits géants qui ornent certains monuments. Signe des temps, c’est l’un de ces portraits que des centaines de jeunes ont déchiré et piétiné lors des violentes manifestations contre la guerre en Irak, en mars 2003, signe d’une contestation antigouvernementale sans précédent. L’omnipotence du Parti national démocratique (PND) du chef de l’Etat est, de fait, de plus en plus contestée. Opposition et organisations de défense des droits de l’homme allient désormais leurs efforts pour réclamer des réformes politiques et constitutionnelles. Quant aux citoyens, ils sont excédés par l’inefficacité du pouvoir face à la crise économique et à la dégradation de leurs conditions de vie. Tout le monde réclame donc du changement, jusqu’à la jeune garde réformatrice du PND. Mais, quand Hosni Moubarak a vacillé, en novembre, c’est tout un pays qui a tremblé avec lui. Nul ne sait en effet de quoi l’avenir de l’Egypte sera fait. Le raïs n’a toujours pas dit s’il briguerait un cinquième mandat l’an prochain et le nom de son successeur reste nimbé d’un halo de mystère.

Le nom qui revient le plus souvent depuis deux ans est celui deà Moubarak. Gamal de son prénom et fils cadet du président. Fringant quadragénaire, proche des milieux d’affaires américains, Gamal a effectué une fulgurante ascension au sein du PND, dont il dirige désormais le comité politique. Il n’en fallait pas plus pour que l’on imagine un scénario identique à celui qui a porté Bachar el-Assad au pouvoir en Syrie. Des spéculations que Hosni Moubarak a régulièrement démenties. Lors d’un discours à la radio le 1er janvier, le raïs l’a répété :  » L’Egypte n’est pas une république héréditaire.  »

Un  » intérimaire  » rassurant

Point final ?  » Il n’est pas sûr que ce scénario soit définitivement écarté, tempère le politologue Moustapha Kamal el-Sayed. Ça peut être aussi une façon de dire qu’il n’imposera pas son fils, mais que celui-ci sera appelé par le peupleà  » Autre hypothèse, envisagée dans les milieux diplomatiques, celle d’un  » intérim  » assuré par un proche de Moubarak, avec Gamal comme vice-président, pour laisser à ce dernier le temps de s’aguerrir et de se forger une légitimité. Outre sa filiation, Gamal Moubarak a, de fait, un autre handicap : celui de ne pas être issu des rangs de l’armée. Ce qui n’est pas rien dans un pays dont les derniers chefs d’état- major, Gamal Abdel Nasser et Anouar el-Sadate, étaient des militaires.

La toute-puissante armée égyptienne acceptera-t-elle de laisser les rênes du pays à un civil ?  » L’armée n’est plus aussi influente qu’à l’époque de Nasser et des guerres contre Israël, relève le chercheur Tewfik Aclimandos. On peut donc imaginer qu’elle prenne du recul, à condition de conserver le contrôle de postes clefs et ses avantages, notamment financiers.  » Puisque le commandant en chef des forces armées, le maréchal Mohamed Hussein Tantawi, ne semble pas nourrir d’ambitions politiques, les militaires pourraient trouver un  » intérimaire  » rassurant en la personne d’Omar Suleiman, chef des moukhabarat, les services de renseignement. Homme discret, quasi inconnu du grand public, Omar Suleiman, 68 ans, est un fidèle du président, qu’il accompagne dans tous ses déplacements. Respecté à la fois par les Palestiniens, les Israéliens et les Américains, il fait de plus en plus parler de lui depuis qu’il a endossé l’habit de médiateur du processus de paix, il y a un peu plus d’un an. C’est lui qui négocie l’acceptation d’une trêve par les groupes armés palestiniens, lui encore qui aplanit les différends entre Yasser Arafat et ses Premiers ministres successifs. Un rôle certes très exposé. Mais une montée en puissance aux allures de mise sur orbite politique, même si celle-ci tarde à convaincre les Egyptiens.

Des coups de gueule qui font recette

Quand on lui demande le nom de celui qu’il souhaiterait voir succéder à Moubarak, l’homme de la rue a en effet une tout autre réponse : Amr Moussa. La cote d’amour de l’ancien ministre des Affaires étrangères, âgé de 67 ans, reste en effet au plus haut depuis qu’il est devenu secrétaire général de la Ligue arabe. Une  » promotion  » perçue par certains comme une man£uvre de la présidence pour se débarrasser d’un rival trop populaire. Les coups de gueule d’Amr Moussa, notamment contre la politique israélienne, font pourtant toujours recette dans la rue égyptienne.  » Mais, pour revenir dans la course à la présidence, il faudrait qu’il soit choisi par une majorité du PND, ce qui semble d’autant moins probable que Moubarak ne l’aime pas beaucoup « , souligne Moustapha Kamal el-Sayed. Or les choix du raïs continueront de s’imposer aussi longtemps qu’il refusera d’instituer un scrutin présidentiel direct. Et le politologue de s’interroger :  » Pourquoi les Egyptiens n’auraient-ils pas les mêmes droits que les Yéménites ou que les Algériens ?  » Au risque, peut-être, d’ouvrir la voie aux islamistes.

Tangi Salaün

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