La découverte de l’Amérique

(1) Des syndicats domestiqués. Répression patronale et résistance syndicale aux Etats-Unis, éditions Raisons d’agir, 175 pages.

Vu de l’extérieur, les Etats-Unis de George W. Bush apparaissent volontiers comme une nation monolithique. Surtout dans le contexte de ce que l’on appelle  » la crise irakienne « , laquelle pousse nombre de citoyens américains à faire bloc derrière leur président. Cet effet d’optique est néanmoins trompeur. D’abord, parce que les USA, en dépit du 11 septembre 2001 qui rend la pensée critique inévitablement malaisée, sont, comme toutes les démocraties, le théâtre d’intenses débats d’idées. Ensuite, parce que, si l’on admet le point de vue que les évolutions domestiques de la première puissance conditionnent celles de la planète, ce qui se passe chez les travailleurs ordinaires d’outre-Atlantique est aussi important que les shows de la Maison-Blanche. Or, si l’on en croit deux sociologues américains, quelque chose de fondamental pourrait bien y être à l’£uvre.

Observateurs scrupuleux de l’Amérique profonde, Rick Fantasia et Kim Voss (1), notent en effet que, progressivement, la culture de la solidarité se développe dans la sun belt où, loin du syndicalisme rigide de la  » vieille industrie « , les capitalistes de la  » nouvelle économie  » avaient naguère trouvé refuge auprès d’une population moins regardante sur les salaires et les conditions de travail. Cette agrégation inattendue de radicalités hétérogènes, constatent les deux auteurs, voit concrètement les travailleurs syndiqués de l’AFL-CIO faire peu à peu leur jonction avec les militants écologistes de la classe moyenne, les immigrés, les pacifistes, divers groupes ethniques et, last but not least, les étudiants dépositaires, depuis la lutte pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam, d’une robuste tradition contestataire. Bref, certains signes annonceraient, phénomène inédit aux States, l’émergence d’un vrai mouvement social…

Los Angeles, Las Vegas, Atlanta, Boston, Cleveland, Milwaukee, Minneapolis, Seattle : au travers de leurs campagnes communes û souvent victorieuses û pour un  » salaire décent  » ou contre les  » sweatshops « , ces catégories hétéroclites apprennent en effet ensemble, dans un pays où l’idée de lutte de classes est profondément refoulée dans l’inconscient collectif, à percer ainsi à jour l’exploitation de la force de travail à laquelle se livrent les grandes entreprises multinationales. La pédagogie du réel les aidant à saisir sur le terrain, sans l’apport d’une doctrine prophétique, le mode opératoire de la mécanique qui, à l’opposé du miracle économique affirmé, fait la trompeuse réputation d’efficacité du modèle américain, tous découvriraient une racine mère aux souffrances sociales qu’ils entendent éradiquer.

Quel est néanmoins l’avenir possible de ce processus d’agglomération, de ce nouveau désir de lien ? Le vieux syndicalisme gestionnaire hérité de la guerre froide va- t-il pour autant se métamorphoser en puissante protestation sociale ? Allons-nous assister demain à la naissance politique d’une classe laborieuse unifiée dont l’antique faiblesse explique largement le développement, ce dernier quart de siècle, du néolibéralisme comme discours et comme pratique politiques dominants ? Pour Fantasia et Voss, rien n’est moins sûr : la puissance du patronat américain et l’esprit corporatiste de maints salariés pourraient bien avoir raison, demain, du processus d’unification qui s’esquisse aux Etats-Unis pour plus de justice sociale. Mais  » ce qui importe, concluent les auteurs, c’est, que pour la première fois depuis bien longtemps, on peut penser qu’une telle chose est possible « .

de jean sloover

Ce qui ce passe chez les travailleurs américains est aussi important que les shows de la Maison-Blanche

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