La croissance d’un géant

La journaliste Marie-Monique Robin a enquêté sur le leader mondial des OGM. Son livre passe au crible la formidable montée en puissance de la société américaine. Extraits.

La journaliste et réalisatrice Marie-Monique Robin a enquêté pendant trois ans sur le leader mondial du marché des OGM, la société américaine Monsanto. Elle lui a consacré un documentaire (diffusé sur Arte), et aussi un livre (aux éditions La Découverte). Cet ouvrage très documenté raconte comment la compagnie de Saint Louis (Missouri) a diversifié ses activités et connu un essor planétaire.

Monsanto, qui produit à la fois des semences transgéniques et des pesticides, dont l’herbicide Roundup, mérite-t-elle les charges récurrentes des anti-OGM ? Fallait-il interdire l’utilisation de son maïs MON 810, comme l’a décidé le gouvernement français ? A l’heure où la société défend ses produits, l’enquête de Marie-Monique Robin contribue au débat. M. Fts

Qui est Monsanto ?

[…] Avec 17 500 salariés, un chiffre d’affaires de 7,5 milliards de dollars en 2007 (dont 1 milliard de bénéfices) et une implantation dans 46 pays, l’entreprise de Saint Louis affirme s’être convertie aux vertus du développement durable, qu’elle entend promouvoir grâce à la commercialisation de semences transgéniques censées faire reculer les limites des écosystèmes pour le bien de l’humanité.

[…] Dans sa rubrique  » Qui sommes-nous/L’histoire de la société « , on ne trouve pas un mot sur tous les produits extrêmement toxiques qui ont pourtant fait sa fortune pendant des décennies : les PCB (polychlorobiphényles), des huiles chimiques employées comme isolants […] ; le 2, 4, 5-T, un herbicide puissant comprenant de la dioxine, composant la base de l’agent orange, le défoliant utilisé par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam […] ; le DDT, aujourd’hui prohibé ; l’aspartame, dont l’innocuité est loin d’avoir été établie ; les hormones de croissance laitière et bovine (interdites en Europe).

Histoire d’une découverte

[…] En cette année 1985, les chercheurs de Saint Louis n’ont qu’une obsession : trouver le gène qui immunisera les cellules végétales contre le Roundup [l’herbicide phare de la firme]. C’est d’autant plus urgent que Calgene, une start-up californienne, vient d’annoncer dans une lettre publiée dans Nature qu’elle est parvenue à rendre le tabac résistant au glyphosate [la molécule de l’herbicide Roundup]. […] Tous les géants de la chimie poursuivent le même but et désormais la concurrence est à couteaux tirés, car l’enjeu n’est pas seulement scientifique, mais surtout économique : on imagine déjà les brevets qu’on pourra déposer sur toutes les grandes cultures vivrières du monde…

A Saint Louis, en tout cas, le stress s’installe durablement, car le fameux gène reste introuvable. […]  » C’était […] l’antithèse de la manière dont on travaille dans un laboratoire : normalement, le scientifique fait une expérience, il l’évalue, en tire une conclusion, puis il passe à une autre variable [raconte Harry Klee, l’un des chercheurs de l’équipe]. Avec la résistance au Roundup, on essayait 20 variables à la fois : les mutants, les promoteurs, de multiples espèces végétales, on essayait tout en même temps. « 

De puissants alliés

Le 26 mai 1992, le vice-président [de George Bush père, Dan Quayle] rend publique la politique américaine en matière d’OGM :  » […] Les Etats-Unis sont déjà le leader mondial de la biotechnologie et nous entendons le rester. En 1991, la biotechnologie a rapporté 4 milliards de dollars. Nous tablons sur 50 milliards de dollars en l’an 2000, à condition de ne pas s’encombrer d’une réglementation inutile… « 

Trois jours plus tard, le 29 mai 1992, Monsanto a gagné : la Food and Drug Administration publie dans le Federal Register sa policy, sa réglementation concernant les  » aliments dérivés des nouvelles variétés de plantes  » […].  » Les aliments […] dérivés de variétés végétales développées par les nouvelles méthodes de modification génétique sont réglementés dans le même cadre et selon la même approche que ceux issus du croisement traditionnel des plantes.  » […]

Le  » principe d’équivalence en substance « 

[L’auteur cite un paragraphe de cette réglementation :]  » Dans la plupart des cas, les composants des aliments provenant d’une plante génétiquement modifiée seront identiques ou similaires en substance à ceux que l’on trouve communément dans les aliments, comme les protéines, les graisses, les huiles et les hydrates de carbone. « 

Ces quelques lignes, apparemment anodines, signent un concept qui a été repris un peu partout dans le monde comme la base théorique de la réglementation des OGM : celui du  » principe d’équivalence en substance « . […] En d’autres termes : les OGM sont grosso modo identiques à leurs homologues naturels.

La course aux semences

[Robert Shapiro, PDG de Monsanto de 1995 à 1999] a su transformer en un temps record un géant de la chimie en un opérateur quasi monopolistique sur le marché international des semences. Pourtant, la partie était loin d’être gagnée. Car lorsque, en 1993, l’équipe de Stephen Padgette tient enfin son soja Roundup Ready, chez Monsanto personne ne sait quoi en faire… Bien sûr, le premier réflexe, c’est de déposer un brevet sur le précieux gène, mais après ?

La firme de Saint Louis n’est pas un semencier, et la seule solution, c’est de vendre sa trouvaille à des  » gens du métier « . […] Dès 1996, le PDG de Monsanto change de stratégie : comprenant que pour assurer le maximum de bénéfices il faut posséder les semences, il se lance dans un ambitieux programme d’acquisitions des entreprises semencières, qui bouleversera profondément les pratiques agricoles mondiales. […] En deux ans, Robert Shapiro a dépensé plus de 8 milliards de dollars et fait de Monsanto la deuxième firme semencière du monde (derrière Pioneer).

Vers la stérilisation des sols ?

Ce jour-là, Walter Pengue [un ingénieur agronome de l’université de Buenos Aires spécialisé dans la sélection génétique] a programmé une visite chez Jesus Bello, un paysan de la pampa qui s’est lancé dans le soja RR [Roundup Ready] dès 1997. […] Jesus est confronté à un problème qui s’accentue d’année en année : la résistance des mauvaises herbes au glyphosate. […]

 » L’argument commercial de Monsanto, qui dit que la technologie Roundup Ready permet de réduire la consommation d’herbicide, serait donc erroné ?

– Complètement ! me répond Jesus Bello. Je fais deux applications de glyphosate, l’une après les semis, l’autre deux mois avant la récolte. Au début, j’utilisais 2 litres d’herbicide par hectare, aujourd’hui il m’en faut le double !

– Avant l’arrivée du soja RR, l’Argentine consommait une moyenne annuelle de 1 million de litres de glyphosate, renchérit Walter Pengue. En 2005, nous sommes passés à 150 millions de litres ! Monsanto ne nie pas qu’il y ait un problème de résistance et annonce un nouvel herbicide plus puissant, avec une nouvelle génération d’OGM, mais on ne sort pas du cercle vicieux ! « 

Pour les producteurs, la facture est salée. Finie l’époque où, pour amorcer la pompe, Monsanto consentait une ristourne des deux tiers sur le prix de son herbicide. […]

De plus, l’usage intensif du Roundup tend à rendre la terre stérile.  » Je consomme toujours plus d’engrais, reconnaît Jesus Bello, car, sinon, les rendements s’effondrent. « 

Inde : les semences  » magiques « 

[L’auteur assiste aux funérailles d’un jeune cultivateur de coton Bt transgénique qui s’est suicidé en buvant un litre de pesticide. ]  » Dites au monde que le coton Bt est un désastre, s’enflamme un vieil homme. Dans notre village, c’est le deuxième suicide depuis le début de la moisson. ça ne peut qu’empirer, car les semences transgéniques n’ont rien donné !

– Ils nous ont menti, renchérit le chef du village. Ils avaient dit que ces semences magiques allaient nous permettre de gagner de l’argent, mais nous sommes tous endettés et la récolte est nulle ! Qu’allons-nous devenir ? […]

– C’est un cercle vicieux, ajoute Tarak Kate [un agronome qui dirige une ONG spécialisée dans l’agriculture biologique], un désastre humain. Le problème, c’est que les OGM ne sont pas du tout adaptés à nos sols, qui, dès qu’arrive la mousson, regorgent d’eau. De plus, les OGM rendent les paysans complètement dépendants des forces du marché : non seulement ils doivent payer leurs semences beaucoup plus cher, mais ils doivent aussi acheter des engrais – sans lesquels la culture est vouée à l’échec – et des pesticides, car Bollgard [la variété de coton Bt de Monsanto, intégrant un gène insecticide] est censé protéger contre les attaques du « ver américain de la capsule » (un insecte ravageur du coton), mais pas contre les autres insectes suceurs. Si vous ajoutez à cela que, contrairement à ce qu’affirme la publicité, Bollgard ne suffit pas à repousser les vers américains, alors c’est la catastrophe, car il faut, en plus, utiliser des insecticides.  » l

Le Monde selon Monsanto, par Marie-Monique Robin. La Découverte, 372 p.

Les intertitres sont de la rédaction.

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