La course- poursuite d’Hillary

Après son rebond spectaculaire dans l’Ohio et le Texas, la candidate démocrate devra multiplier les victoires pour tenter de rattraper son retard sur son rival, Barack Obama. Mais l’issue de la bataille pourrait se jouer hors des primaires.

De notre correspondant

Nous venions aux funérailles d’Hillary, avoue Paul Begala, un ami des Clinton. Et nous assistons à une résurrection.  » Sur les écrans du grand studio new-yorkais de CNN, un direct d’Ohio confirme le miracle : vêtue d’un tailleur rouge de combattante, un sourire d’adolescente lauréate aux lèvres sous un déluge de confettis, Hillary, enfin gagnante, dédie l’instant à  » tous ceux qui ont trébuché et su se relever « . Ce 4 mars, la sénatrice de New York célèbre autant sa large victoire dans l’Ohio, et ses succès dans le Rhode Island et au Texas, que son honneur retrouvé après un mois d’humiliation et 12 élections raflées par son rival. Curieusement, c’est Barack Obama, le messager du rêve et du changement, qui se charge, de San Antonio, au Texas, d’aligner des chiffres avant d’entonner un discours au vibrato très Martin Luther King :  » Quels que soient les résultats de ce soir, assure-t-il, nous gardons la même avance que ce matin dans le nombre des délégués. Et nous progressons toujours vers la nomination. « 

Une complexe répartition des votes

Il dit vrai : la complexe répartition proportionnelle des votes a amorti le grand coup de Hillary Clinton sans lui offrir, à première vue, plus qu’un sursis illusoire. Son rebond spectaculaire se solde par un gain insuffisant pour réduire l’avantage d’une centaine de délégués étoffé par Obama depuis le Super Tuesday, le 5 février dernier. Hillary ne pourrait espérer reprendre sa place de n° 1 de la course qu’en remportant toutes les primaires suivantes, dont la principale, en Pennsylvanie, le 22 avril, par 60 % des voix.

Cette prouesse semble impossible. Obama a remporté le Wyoming le 8 mars et le Mississippi le 11 mars. A moins d’un arrangement d’antichambre, la course folle risque de se prolonger jusqu’au 3 juin, date des derniers scrutins dans le Dakota du Sud et le Montana. Pour la première fois en quarante ans, la décision finale pourrait revenir aux 4 000 délégués réunis fin août, à Denver, lors de la convention du Parti démocrate. Soit deux mois seulement avant la présidentielle…

Pour les départager plus tôt, la direction du mouvement songe à réparer sa décision aberrante de janvier : deux Etats importants, le Michigan et la Floride, coupables d’avoir avancé, pour des raisons de prestige, la date de leurs primaires, ont vu leurs résultats annulés et leurs délégués radiés de la convention. Or Hillary Clinton a remporté ces deux scrutins. Ni Obama ni l’autre candidat John Edwards ne s’étaient présentés dans le Michigan, mais le triomphe de la sénatrice en Floride, où son principal rival était en lice, la conduit à exiger, par l’entremise de ses avocats, la validation du scrutin. Aux dernières nouvelles, de nouveaux votes, par correspondance cette fois, pourraient être organisés.

Il y aurait plus simple. Systématiquement devancé par Obama en nombre de délégués issus des votes populaires, le camp Clinton a longtemps cru l’emporter grâce aux faveurs d’une majorité des superdélégués du parti. Ce club de quelque 800 sages, professionnels de la politique, élus du Congrès et gouverneurs – parmi lesquels celui de New York, Eliot Spitzer, un proche d’Hillary, impliqué ces jours-ci dans un scandale sexuel – a été instauré au début des années 1980 pour éviter que la passion des électeurs démocrates n’aboutisse à l’investiture de candidats battus d’avance, comme le très populaire George McGovern, écrasé par Richard Nixon en 1972.

A eux seuls, ces notables représentent 20 % des suffrages du parti, soit, pour chacun, l’équivalent de 15 000 voix populaires. Juges de l’expérience et des aptitudes réelles des prétendants, ils étaient au départ favorables à Hillary Clinton, candidate  » inévitable  » de l’establishment. Avant que le vent tourne. Nombre d’entre eux, après les victoires d’Obama dans le Midwest, ont commencé à voir dans le sénateur de l’Illinois un présidentiable plus rassembleur et prometteur qu’Hillary, capable de rallier en novembre les indépendants et même les républicains modérés dans des Etats réputés conservateurs. Ils ont pris acte, aussi, des humeurs de leurs électeurs. Des caciques noirs comme John Lewis, figure de la Chambre des représentants, ont ainsi officiellement lâché Hillary en voyant l’électorat black de Géorgie voter à plus de 80 % pour Obama.

 » Le Texas et l’Ohio ont à nouveau bouleversé la donne, rappelle Hank Sheinkopf, l’un des meilleurs consultants new-yorkais de Clinton. Ce succès l’a remise dans la course et a gelé le grand revirement des superdélégués.  » Encore faudrait-il, pour confirmer cette perception dans les conclaves politiques et les médias, que l’écart dans les urnes se résorbe suffisamment. Hillary Clinton a pu prouver, le 4 mars, qu’elle maintenait sa supériorité dans les grands Etats, où sa notoriété lui confère un avantage. Elle peut arguer que le succès d’Obama auprès des 6 000 démocrates du Wyoming, quatre jours plus tard, ne peut rivaliser avec les millions de voix promises par la Pennsylvanie, le 22 avril prochain. Car sa base électorale est intacte : les femmes, et les familles blanches aux revenus moyens ou modestes de moins de 50 000 dollars par an, sensibles, comme dans l’Ohio en crise ou dans les friches industrielles de Pittsburgh, au prestige du nom Clinton en matière économique.

Un  » ticket  » avec son adversaire démocrate ?

Attaquée par Obama pour son vote de 2002 au Sénat en faveur de la guerre en Irak, Hillary dépeint son rival comme un naïf pacifiste promis à la catastrophe face à John McCain, son adversaire républicain. La sénatrice a profité aussi des gaffes du camp adverse. Ainsi, un conseiller économique d’Obama a insinué que les envolées protectionnistes de son candidat contre l’Accord de libre-échange nord-américain n’étaient que des propos de campagne. Quelques jours plus tard, une experte en politique étrangère a dû démissionner, pour avoir traité Hillary de  » monstre  » dans un journal écossais, et surtout pour avoir confié que le projet de retrait des troupes américaines d’Irak, l’une des raisons du culte d’Obama parmi les jeunes électeurs, serait  » appliqué en fonction des circonstances « .

Signe de la résistance d’Hillary, cette dernière s’est vue interroger sur un possible ticket présidentiel avec son adversaire démocrate. Après un sincère éclat de rire et une moue conquérante, la perdante d’hier a répondu :  » Je n’ai rien contre, mais les électeurs de l’Ohio ont clairement dit qu’ils souhaitaient que je sois la présidente.  » Obama, en décembre, avait rappelé qu’il ne concourrait pas pour une place de n° 2. Rien ne l’a encore fait changer d’avis. l

Philippe Coste

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