LA CONTRE-ENQUÊTE

Christophe Barbier
Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

Alors que Dominique Strauss-Kahn reste poursuivi dans l’affaire du Carlton, le journaliste américain John Solomon revient sur celle du Sofitel dans un livre dont Le Vif/L’Express publie des extraits exclusifs. Ils éclairent bien des zones d’ombre de ces semaines où s’est joué le destin de l’ex-patron du FMI.

Lui n’aurait jamais souhaité être un président normal, mais il aspire aujourd’hui à redevenir un citoyen comme les autres. Et si les feux de la rampe attirent toujours l’économiste courtisé qu’il demeure, le voici plus que las de la malsaine curiosité née en mai 2011. Mais – immanente justice de l’opinion – Dominique Strauss-Kahn ne sera jamais un Français anonyme, parce que toujours  » l’affaire DSK  » le poursuivra de son écho tonitruant et de son ombre portée. Celle-ci est lourde encore de secrets : sur ce qui s’est passé dans la suite 2806 du Sofitel de New York ; sur le système souterrain organisé depuis Lille pour les plaisirs du puissant.

A chaque justice le privilège de se mouvoir à son rythme et selon ses us. En France, l’enquête se poursuit, et DSK, présumé innocent, demeure suspecté. A l’horizon plane toujours le nuage d’un procès pour proxénétisme, qui poserait le masque du sordide sur la figure du libertin. L’ancien présidentiable, qui reconnut avoir manqué son rendez-vous avec les Français, devra-t-il honorer dans le box celui avec  » Dodo la Saumure ?  » DSK se défend, bec et ongles. Et il se défend bien. Mais le temps n’est pas encore, pour lui, au répit. Ni à de nouvelles ambitions : 69 % des Français, interrogés par BVA pour L’Express, refusent qu’il joue à l’avenir un rôle important.

Chauffé à blanc sur le brasier d’Internet et des tabloïds

Outre-Atlantique, l’affaire appartient désormais au passé, et le blindage du secret financier, le plus épais que les Américains aient inventé, protège l’information ultime : combien Dominique Strauss-Kahn a-t-il versé à Nafissatou Diallo en dédommagement des sept minutes fatidiques qu’ils ont passées dans la même chambre d’hôtel, un samedi de printemps, en mai 2011 ? A cette somme près, les détails de l’affaire sont tous connus, parce que les médias ont fureté et cureté, mais surtout parce qu’un exceptionnel journaliste d’investigation, John Solomon, a établi les faits et décrypté leurs soubassements. En exclusivité, les Editions de L’Express publient ce livre et nous vous en présentons ci-après quelques extraits édifiants, accompagnés des commentaires de l’auteur.

De Scandale DSK, le sous-titre dit tout :  » Le procès qui aurait dû avoir lieu « . Car l’abandon des charges dont a profité DSK à la fin d’août 2011 – et tant mieux pour lui – est le fruit de circonstances exceptionnelles. Elles sont d’abord techniques : les maladresses tout au début de l’affaire (il n’est ni interrogé ni examiné assez vite pour que cela soit efficace), les erreurs d’attribution au sein de l’équipe du procureur Cyrus Vance (les magistrats chargés de l’enquête ne sont pas assez expérimentés en matière de viols), les faits mal circonscrits (notamment les horaires d’ouverture des chambres du Sofitel concernées), etc. Plus que la faiblesse du témoignage de la victime présumée, Nafissatou Diallo, qui avait menti sur sa vie, Cyrus Vance craignit qu’un procès ne montrât les carences de son propre travail. Les circonstances sont aussi politiques : le procureur n’a de cesse de traiter l’affaire DSK comme une étape de sa campagne électorale pour conserver son poste. C’est pourquoi il se précipite d’abord et accable l’accusé, c’est pourquoi il panique ensuite et lâche la plaignante. Les circonstances, enfin, sont médiatiques. Ce fait divers est chauffé à blanc sur le triple brasier de l’Internet, des chaînes d’info et des tabloïds, les vrais, qui jamais ne démontrent ni ne corrigent. Le travail de Solomon dissèque, à l’oeuvre, l’hydre justice-politique-médias. Et dans cette affaire finalement sans coupable, il restera au moins une victime incontestable : la vérité.

Il n’a jamais dit ce qu’il avait fait

Au passage, John Solomon annihile ou relativise les derniers mystères du dossier, petits charbons pour la locomotive du train complotiste : le téléphone disparu de l’accusé, la  » danse de joie  » des vigiles, le mystérieux occupant de la suite 2820, les conversations téléphoniques de Diallo, en foulani, avec un ami emprisonné… Cet ouvrage passionnant s’achève sur les minutes du procès DSK… car il eut lieu ! Un ténor du barreau américain, Alan Dershowitz, le reconstitua avec ses étudiants en droit de Harvard à l’automne 2011. Pour lui, les éléments permettaient de présenter le cas devant un jury :  » Nous vous demandons d’examiner la totalité des preuves et des circonstances. […] Et je pense que si vous le faites, vous voterez la condamnation de cet homme pour agression sexuelle.  » S’imaginant procureur, il détruit un à un tous les arguments avancés par les avocats de Dominique Strauss-Kahn, dont on se demande bien ce qu’ils auraient pu répondre… Magistral final, qui nous rappelle que DSK, depuis le 14 mai 2011, a rabâché ce qu’il n’avait pas fait dans la suite 2806 du Sofitel, mais n’a jamais dit ce qu’il y avait fait. Il faut donc lire le livre de Solomon en attendant celui de Strauss-Kahn, s’il l’écrit un jour. Pour l’instant, DSK entame, comme le clama, paternel, à l’intention des deux parties, le juge Douglas McKeon, qui scella leur entente le 10 décembre, un nouveau chapitre de sa vie. Le reste est silence.

CHRISTOPHE BARBIER

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